Lettre ouverte à Maria Corina Machado, Prix Nobel de la PAix 2025

 Par Adolfo Pérez Esquivel, Prix Nobel de la Paix 1980 

Je vous envoie le salut de la paix et du bien dont l’humanité et les peuples qui vivent dans la pauvreté, les conflits, les guerres et la faim ont tant besoin. Cette lettre ouverte est pour vous exprimer et partager quelques réflexions.

J’ai été surpris par votre nomination au prix Nobel de la paix qui vous a été décernée par le Comité Nobel. Je me suis souvenu des luttes contre les dictatures sur le continent et dans mon pays sous des dictatures militaires que nous avons endurées de 1976 à 1983 et nous avons résisté aux prisons, à la torture et à l’exil avec des milliers de disparus, des enfants enlevés et disparus et les vols de la mort dont je suis un survivant.

En 1980, le Comité Nobel m’a décerné le prix Nobel de la paix, 45 ans se sont écoulés et nous continuons à travailler au service des plus pauvres et aux côtés des peuples latino-américains. Au nom de tous, j’ai assumé cette haute distinction, non pas pour le prix lui-même, c’est pour l’engagement avec les peuples partageant les luttes et les espoirs pour construire une nouvelle aube. La paix se construit jour après jour et nous devons être cohérents entre dire et faire.

À 94 ans, je suis toujours un apprenti de la vie et je suis préoccupé par votre position et vos décisions sociales et politiques. Je vous envoie donc ces réflexions.

Le gouvernement vénézuélien est une démocratie avec ses lumières et ses ombres, Hugo Chávez a marqué le chemin de la liberté et de la souveraineté du peuple et a lutté pour l’unité continentale, c’était un réveil de la Grande Patrie. Les États-Unis l’ont attaqué en permanence, ils ne peuvent permettre à aucun pays du continent de sortir de son orbite et de la dépendance coloniale ; il continue de soutenir que l’Amérique latine est sa « arrière-patrie ». Le braquage de Cuba par les États-Unis depuis plus de 60 ans est une attaque contre la liberté et le droit des peuples. La résistance du peuple cubain est un exemple de dignité et de force

Je suis surpris de voir comment vous vous accrochez aux États-Unis et vous devez savoir qu’ils n’ont pas d’alliés, pas d’amis, ils n’ont que des intérêts. Les dictatures imposées en A. Latina ont été instrumentalisées par leurs intérêts de domination en détruisant la vie et l’organisation sociale, culturelle et politique des peuples qui luttent pour leur liberté et leur autodétermination. Les peuples résistent et se battent pour le droit d’être libres et souverains et non une colonie des États-Unis.

Le gouvernement de Nicolás Maduro vit sous la menace des États-Unis, le blocus, il suffit de garder à l’esprit les forces navales dans les Caraïbes et le danger d’invasion de votre pays. Vous n’avez pas dit un mot ou soutenu l’ingérence de la grande puissance contre le Venezuela. Le peuple vénézuélien est prêt à faire face à la menace

Corina je te demande. Pourquoi avez-vous appelé les États-Unis pour qu’ils envahissent le Venezuela ?- Lorsque vous avez reçu l’annonce que vous avez reçu le prix Nobel de la paix, vous l’avez dédié à Trump. L’agresseur de votre pays, mentant et accusant le Venezuela d’être un trafiquant de drogue, un mensonge similaire à celui de George Bush qui a accusé Sadam Hussein de avoir des « armes de destruction massive ». Prétexte pour envahir l’Irak et le piller, faisant des milliers de victimes, des femmes et des enfants. J’étais à la fin de la guerre à Bagdad, à l’hôpital pédiatrique et j’ai pu voir la destruction et la mort de ceux qui se proclament défenseurs de la liberté. La pire des violences est le mensonge.

N’oubliez pas Corina que le Panama a été envahi par les États-Unis causant des morts et des destructions pour capturer un ancien allié, le général Noriega, l’invasion a fait 1200 morts à Los Chorrillos. Aujourd’hui, les États-Unis ont l’intention de reprendre le canal de Panama. C’est une longue liste d’interventions et de douleur en Amérique latine et dans le monde pour les États-Unis. Les veines de l’Amérique latine sont toujours ouvertes, comme le dit Eduardo Galiano

Je m’inquiète que vous n’ayez pas dédié le prix Nobel à votre peuple et à l’agresseur du Venezuela. Je pense Corina que vous devez analyser et savoir où vous en êtes, si vous êtes une pièce de plus de la colonie américaine soumise à ses intérêts de domination, ce qui ne peut jamais être pour le bien de votre peuple. En tant qu’opposant au gouvernement de Maduro, vos positions et vos options génèrent beaucoup d’incertitude, vous avez recours au pire lorsque vous demandez aux États-Unis d’envahir le Venezuela

Il est important de garder à l’esprit que la construction de la paix demande beaucoup de force et de courage pour le bien de votre peuple, que je connais et que j’aime profondément, là où autrefois il y avait des bidonvilles sur les collines survivant dans la pauvreté et l’indigence aujourd’hui il y a des logements décents, la santé, l’éducation et la culture. La dignité du peuple ne s’achète ni ne se vend.

Corina, comme le dit le poète : Marcheur, il n’y a pas de chemin, il y a un chemin en marchant. Maintenant, vous avez la possibilité de travailler pour votre peuple et de construire la paix, de ne pas provoquer plus de violence, un mal ne se résout pas avec un autre plus grand mal, nous n’aurons que deux maux et jamais la solution du conflit.

Ouvrez votre esprit et votre cœur au dialogue, à la rencontre de votre peuple, videz la cruche de la violence et construisez la paix et l’unité de votre peuple pour que la lumière de la liberté et de l’égalité entre.

Adolfo Pérez Esquivel 12-10-25

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Adolfo Pérez Esquivel : L’art, la foi et la non-violence comme fondements d’une éthique de libération

Adolfo Pérez Esquivel, lauréat du prix Nobel de la paix en 1980, incarne une figure singulière du XXᵉ siècle latino-américain : un artiste devenu militant, un croyant enraciné dans la foi chrétienne mais ouvert à la pluralité spirituelle, et un penseur qui a fait de la non-violence non pas une posture morale abstraite, mais une stratégie politique et culturelle de libération. Son itinéraire, profondément marqué par les convulsions de l’Amérique latine des années 1960-1980, révèle une vision du monde où l’art, la spiritualité et l’action sociale se rejoignent dans une même quête de dignité humaine.

1. Une éthique née de la pauvreté et de l’injustice
La trajectoire d’Esquivel ne se comprend qu’à partir de son ancrage dans la réalité sociale de l’Argentine et plus largement du cône sud de l’Amérique latine. Né en 1931 à Buenos Aires dans une famille modeste, il est très tôt sensibilisé aux inégalités et à la souffrance des plus pauvres. Ce contexte d’injustice structure son rapport au monde et nourrit son engagement futur. Contrairement à d’autres militants formés dans la sphère politique ou syndicale, Esquivel vient de l’univers artistique et éducatif : un milieu où la création devient un langage de résistance et de réconciliation.
Sa formation à l’École nationale des beaux-arts et à l’université nationale de La Plata lui ouvre un espace pour penser la culture comme instrument de transformation sociale. Pour lui, l’art n’est pas un luxe ou un divertissement : il est une manière de « voir » le monde, de rendre visible la dignité cachée des peuples opprimés. Dès cette époque, il conçoit la création artistique comme un acte de libération, porteur d’une dimension spirituelle et communautaire.

2. L’art au service de la mémoire et de la dignité
L’œuvre plastique d’Esquivel s’inscrit dans la continuité d’une tradition latino-américaine qui associe art et engagement, à l’image de Diego Rivera ou Oswaldo Guayasamín. Mais là où ces artistes exaltent souvent la force des masses, Esquivel privilégie la symbolique de la paix et de la réconciliation. Ses fresques, tapisseries et monuments traduisent une volonté de mémoire et de réparation.
Le Monument des Réfugiés au siège du HCR en Suisse, ou encore les peintures murales de Riobamba et de Pucahuaïno en Équateur, inscrivent dans la pierre et la couleur la présence des victimes oubliées : peuples indigènes, exilés, disparus. À travers ces œuvres, il entend restaurer le lien entre spiritualité et justice sociale. La beauté, chez lui, devient un langage de résistance contre la violence structurelle.
Ses tapisseries sur Le Chemin de Croix et Le Carême, exposées en Europe et en Amérique latine, révèlent cette articulation entre souffrance et espérance. Le Christ qu’il représente n’est pas un Dieu lointain mais un frère du peuple, vêtu du poncho andin, symbole de l’unité entre le sacré et la réalité populaire. Cette figure, reprise plus tard dans son livre Le Christ au Poncho, traduit l’essence de sa théologie : un christianisme libérateur, enraciné dans la vie quotidienne des opprimés.

3. La non-violence comme chemin de libération
L’un des apports majeurs d’Esquivel réside dans sa réinterprétation latino-américaine de la non-violence. Inspiré par Gandhi, Martin Luther King et les mouvements pacifistes chrétiens européens, il en propose une lecture adaptée au contexte des dictatures militaires. Pour lui, la non-violence n’est pas passivité ni soumission ; elle est une stratégie de lutte qui refuse de reproduire la logique de l’ennemi. Elle repose sur trois principes : la dignité humaine, la solidarité communautaire et la foi dans la transformation morale de l’histoire.
Dès les années 1960, il s’engage dans des mouvements chrétiens de base travaillant avec les pauvres, les paysans et les indigènes. Il y découvre que la pauvreté n’est pas une fatalité, mais le produit d’un système d’exploitation. À partir de 1973, il publie la revue Paix et Justice, organe de diffusion de cette pensée de la résistance non-violente. C’est dans ce contexte qu’il contribue à la fondation du Service Paix et Justice (SERPAJ), organisation œcuménique vouée à la défense des droits humains.
Le SERPAJ n’est pas un simple organisme de dénonciation : il devient un laboratoire d’expériences collectives, reliant les mouvements populaires à une réflexion éthique et spirituelle sur la paix. Esquivel y joue un rôle de catalyseur, fédérant religieux, laïcs, intellectuels et militants autour d’une conviction : on ne peut pas défendre la vie en utilisant les instruments de la mort.

4. Résister à la terreur d’État
Son engagement prend une dimension tragique avec l’installation des dictatures militaires en Amérique latine, notamment en Argentine à partir de 1976. Le « Processus de réorganisation nationale » mené par la junte de Jorge Videla plonge le pays dans un régime de terreur : disparitions, tortures, exils forcés. Dans ce contexte, Esquivel devient l’un des porte-voix les plus constants de la résistance pacifique.
Avec d’autres militants, il soutient les Mères et Grands-Mères de la Place de Mai, ainsi que des organisations telles que l’Assemblée permanente pour les droits humains. Son action consiste à tisser un réseau international de solidarité, alertant les institutions religieuses, diplomatiques et humanitaires sur les violations massives des droits fondamentaux. Ce travail de documentation et de plaidoyer, mené au péril de sa vie, confère au SERPAJ une crédibilité internationale.
En 1976, il est arrêté et torturé sans procès pendant quatorze mois. Sa détention symbolise la volonté du régime d’éteindre toute voix dissidente, même pacifique. Loin de le réduire au silence, cette épreuve renforce sa conviction que la non-violence n’est pas une faiblesse mais une forme supérieure de courage moral. Durant son incarcération, il reçoit le Mémorial de la paix Jean XXIII décerné par Pax Christi, reconnaissance du monde chrétien à son engagement.

5. Le Nobel de la paix : une victoire des peuples
En 1980, le prix Nobel de la paix attribué à Esquivel marque une étape décisive : c’est la première fois que cette distinction consacre explicitement un mouvement non-violent issu du Tiers Monde. Dans son discours de réception, il insiste : « J’accepte ce prix au nom des peuples d’Amérique latine, et en particulier des plus pauvres. » Par cette formule, il refuse la personnalisation du prix et réaffirme que la paix n’est pas l’absence de conflit, mais la construction de la justice sociale.
Le Nobel confère à Esquivel une autorité morale internationale. Il s’en sert non pour sa propre gloire, mais pour amplifier la voix des peuples en lutte. Il multiplie alors les missions de médiation et de solidarité, du Nicaragua à la Pologne, de la Birmanie à l’Afrique du Sud, du Chiapas au Moyen-Orient. Partout, il cherche à relier les causes locales à un horizon universel : la dignité humaine comme socle de la paix mondiale.
Son approche est profondément œcuménique. Il dialogue avec le Dalaï-lama, Desmond Tutu, Mairead Corrigan ou encore Aung San Suu Kyi, contribuant à tisser une véritable communauté internationale de la non-violence. À travers ces rencontres, il développe une conception de la paix fondée sur la responsabilité partagée : chaque peuple, chaque individu doit devenir acteur de son propre processus de libération.

6. Éducation, enfants et culture de la paix
Une constante dans la pensée d’Esquivel est sa confiance dans l’éducation comme outil de transformation. Dès les années 1980, il conçoit des programmes de formation aux droits humains et à la paix, destinés aux enseignants, aux communautés paysannes et aux populations indigènes. Pour lui, la paix n’est pas seulement un objectif politique ; elle doit devenir une culture vécue, apprise et transmise.
Cette idée trouve son prolongement dans le projet Aldea Niños para la Paz (Village des enfants pour la paix), destiné aux enfants en situation de risque social. L’objectif est d’apprendre la coopération, la solidarité et le respect à travers la vie communautaire. Il affirme que « la non-violence ne s’enseigne pas, elle se vit ». D’où son insistance sur l’exemplarité : les éducateurs doivent incarner les valeurs qu’ils transmettent.
Cette vision éducative s’étend à son travail académique. Professeur à l’université de Buenos Aires, il fonde la chaire « Culture pour la paix et les droits de l’homme », cherchant à inscrire la non-violence dans le champ intellectuel et universitaire. Il promeut une éducation intégrale, reliant savoir, spiritualité et engagement social. Ce modèle s’inspire à la fois de Paulo Freire et de la pédagogie chrétienne des communautés de base.

7. La foi comme moteur de l’action
Esquivel ne dissocie jamais la foi de l’action politique. Pour lui, la foi chrétienne est inséparable d’un engagement pour la justice. Elle ne se limite pas à la sphère privée : elle oblige à se confronter aux structures de péché que sont la pauvreté, la guerre ou l’exclusion. Cette perspective s’inscrit dans la mouvance de la théologie de la libération, sans jamais sombrer dans le dogmatisme idéologique.
Le Christ au Poncho, son ouvrage de 1981, en est la meilleure illustration : il y relit les Évangiles à partir de la réalité des peuples andins. Le Christ y apparaît comme un frère de lutte, proche des humbles, symbole d’une humanité réconciliée. À travers cette lecture, Esquivel relie le spirituel et le politique, montrant que la foi peut être une force de résistance face à la peur et à la haine.
Sa démarche s’oppose autant au marxisme autoritaire qu’au capitalisme néolibéral : il refuse toute forme de domination, qu’elle soit économique, militaire ou idéologique. Sa spiritualité, faite d’intériorité et d’action, lui permet de rester libre face aux pouvoirs. Il incarne ainsi une figure rare : celle du militant contemplatif, capable de conjuguer silence intérieur et parole publique.

8. L’altermondialisme et la culture de paix mondiale
À partir des années 1990, Esquivel élargit son horizon au mouvement altermondialiste. Pour lui, la mondialisation économique ne peut être acceptée que si elle s’accompagne d’une mondialisation de la solidarité. Il participe activement aux forums sociaux mondiaux et fait partie des signataires du Manifeste de Porto Alegre en 2005, qui propose une alternative à la domination du marché global. Son discours s’appuie sur la conviction que la non-violence est une réponse politique à la globalisation inhumaine.
En 1997, il lance l’Appel des prix Nobel de la paix pour les enfants du monde, initiative qui aboutira à la proclamation par l’ONU de la Décennie internationale de la culture de la paix et de la non-violence (2001–2010). Il voit dans cette action la possibilité de fédérer les énergies de la société civile autour d’un même idéal : transformer la culture de la guerre en culture de paix.
Il s’oppose aux interventions militaires, qu’il s’agisse du Panama, du Salvador, de l’Irak ou de l’Afghanistan, et plaide pour la résolution pacifique des conflits fondée sur le dialogue et la justice. Pour lui, le désarmement ne se limite pas aux armes physiques ; il doit s’accompagner d’un désarmement intérieur, d’un travail sur la peur et la haine. Cette dimension spirituelle confère à son message une portée universelle : la paix n’est pas un projet d’État, mais une conversion de conscience.

9. L’homme de réseaux : institutions et reconnaissance
Esquivel a toujours conçu l’action collective comme une nécessité. Il ne s’est jamais contenté d’être un témoin moral ; il a construit des institutions durables. Le SERPAJ, devenu une ONG reconnue par l’ONU et l’UNESCO, agit dans onze pays latino-américains. Son statut consultatif auprès des grandes organisations internationales lui permet d’influencer les politiques publiques en matière de droits humains et d’éducation à la paix.
Son rayonnement académique reflète la reconnaissance mondiale de sa pensée : docteur honoris causa de multiples universités (Georgetown, Lima, São Paulo, San Andrés…), recteur et professeur émérite dans plusieurs institutions, il utilise ces tribunes pour diffuser une vision intégrale de la paix, fondée sur la culture, l’éducation et la participation citoyenne.
Les distinctions qu’il reçoit – Citoyen illustre de Buenos Aires, Prix Pacem in Terris, Prix de l’Éducation à la paix de l’UNESCO – ne sont pas pour lui des honneurs personnels, mais des signes de reconnaissance pour les luttes collectives qu’il représente. Il refuse d’être un « héros » : il se veut un relais entre les peuples.

10. Les fondements philosophiques de sa pensée
L’originalité d’Esquivel tient à la synthèse qu’il opère entre plusieurs traditions : la mystique chrétienne, l’éthique gandhienne et la praxis latino-américaine de libération. Trois concepts structurent sa philosophie :
1. La non-violence active : loin d’être neutralité, elle est action consciente visant à transformer les structures injustes sans recourir à la destruction.
2. La solidarité communautaire : la paix ne se construit pas individuellement ; elle exige la participation collective et l’autonomie des peuples.
3. La transcendance de la justice : la foi en Dieu, ou en la dignité humaine, donne à l’action un sens qui dépasse le calcul politique.
Pour lui, la non-violence est une pédagogie : elle enseigne la patience, le courage et la cohérence. Elle suppose une transformation intérieure : « Celui qui veut changer le monde doit d’abord se changer lui-même. » Ainsi, son œuvre entière peut se lire comme une tentative d’unir l’intériorité spirituelle et l’engagement historique.

11. L’universalité d’un témoin
La portée d’Esquivel dépasse les frontières latino-américaines. En s’engageant aux côtés des peuples d’Afrique, d’Asie et d’Europe de l’Est, il a démontré que la lutte pour la dignité humaine est universelle. Son langage simple et direct, sa cohérence entre parole et action, lui confèrent une autorité morale semblable à celle d’un Mandela ou d’un Tutu.
Mais contrairement à beaucoup de leaders charismatiques, il refuse la personnalisation : sa mission n’est pas d’incarner une cause, mais de rendre visibles les voix collectives. Son action montre que la paix ne naît pas des grandes institutions, mais des communautés qui résistent, éduquent et créent.

12. Héritage et actualité de sa pensée
Aujourd’hui encore, la pensée d’Esquivel garde une grande actualité. Dans un monde marqué par la violence économique, la montée des nationalismes et les crises écologiques, sa conception de la paix comme construction culturelle offre une voie d’espérance. Il nous rappelle que la non-violence n’est pas seulement un moyen de lutte, mais une manière d’être au monde : une éthique du respect, du soin et du lien.
Le SERPAJ continue de promouvoir des programmes d’éducation à la paix, de défense des droits indigènes et de développement durable. Esquivel, même âgé, reste actif comme président d’honneur, intervenant dans les forums et les universités. Il incarne une vision du militantisme où la cohérence personnelle devient un acte politique.
Son héritage se situe à la croisée des arts, de la foi et de la citoyenneté. Dans une époque où la violence prend des formes multiples – guerre, exclusion, désinformation – il rappelle que la paix commence dans la relation : entre l’homme et la nature, entre les peuples, entre le corps et l’esprit. Sa vie témoigne qu’il est possible de résister sans haïr, de combattre sans détruire.

13. L’espérance comme devoir
Adolfo Pérez Esquivel n’est pas un saint ni un idéologue ; il est un témoin d’espérance lucide. Toute son œuvre exprime une conviction : la paix ne viendra pas d’en haut, mais de la capacité des peuples à se reconnaître frères. En refusant la fatalité de la violence, il nous apprend que la non-violence est un choix exigeant, à la fois politique, éthique et spirituel.
Son parcours d’artiste, d’éducateur et de militant compose une leçon d’universalité : la beauté, la foi et la justice ne sont pas des domaines séparés, mais les trois dimensions d’une même humanité réconciliée. Dans un monde où la peur tend à diviser, Esquivel propose la fraternité comme stratégie de survie collective.
Ainsi, son nom reste attaché à une conviction simple : la paix n’est pas un état, c’est un chemin. Et sur ce chemin, la non-violence, loin d’être naïveté, est la plus haute forme de courage.