Lettre ouverte (1) à Oliwon Lakarayib sur les évènements de décembre 1959.

— Par Yves-Léopold Monthieux —

La reprise systématique d’infos empilés sur les vieilles étagères des rédactions confirme une récurrence à laquelle les médias semblent avoir définitivement renoncé à se détacher : la répétition d’une histoire écrite à partir de vérités fabriquées sur les tréteaux électoraux. Le BUMIDOM est-il évoqué sur un plateau de télévision, aussitôt on vous ressort mécaniquement des placards une vidéo racontant l’histoire des enfants réunionnais de la Creuse. Non, messieurs-dames les nouveaux journalistes, les archives laissées par vos aînés ne sont pas des pages d’Évangile.

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« Les archives laissées par vos aînés ne sont pas des pages d’ Évangile  »

On ne sait pas pourquoi, on a encore ressorti ce samedi le couplet convenu relatant, en deux lignes et trois photos misérabilistes, les incidents de décembre 1959, de l’OJAM ou de la fusillade du Lamentin. Il n’est pas tenu compte, par exemple, des travaux conduits sous la direction de l’éminent historien Benjamin Stora, spécialiste mondial de la décolonisation. Pour s’en tenir aux évènements de 1959, entre les allégations politico-historiennes tendant à y voir une quasi-révolution et les conclusions de la commission Stora affirmant qu’il n’en fut rien, la doxa intellectuelle – presse, historiens et autres adeptes des sciences humaines – soucieuse de ne pas heurter la bien-pensance, a décidé une fois pour toutes de tourner le dos à la vérité historique. Même le préposé martiniquais ayant participé à ladite commission a pris le parti de s’affranchir de la réalité historique rapportée par le professeur Stora. C’est ainsi que les conclusions de l’historien ont fait pschitt au sein du microcosme intello-politique martiniquais.

Aussi bien, nous en appelons aux historiennes de l’association Oliwon Lakarayib, dont le sérieux et l’indépendance intellectuelle sont apparus au cours d’une émission sur une télévision privée, à se pencher sur la réalité de cette date importante pour la Martinique, laquelle n’a nul besoin de colifichets politicards pour révéler son caractère douloureux et historique ; à donner un avis sur les travaux de cette commission.

De « l’affaire de voyous » à l’émeute politique

La légèreté de l’ouvrage du préposé martiniquais saute aux yeux dès l’apparition du croquis qui en a été fait des lieux de l’incident : une totale inadéquation avec la réalité géographique. Plus grave, l’auteur va jusqu’à ignorer la présence en nombre, ce soir-là, d’appelés du contingent – selon lui, ces militaires étaient habillés en tenue civile, ce qui ne fut autorisé par l’armée qu’en 1969 – ; de même qu’à près de 40 ans d’études sur le sujet, l’auteur ignorait encore que le protagoniste martiniquais de l’incident déclencheur qu’il dit avoir rencontré près d’une dizaine de fois n’avait été autre que le fils du principal mis en cause dans l’affaire de l’assassinat d’André Aliker. D’où, en apprenant la nouvelle, la réaction du frère de ce dernier, Pierre Aliker, Maire-Adjoint de Fort-de-France, qui vit dans l’incident une « affaire de voyous ». Cette déclaration, peut-être affective, n’est pas dénuée de signification politique et, me semble-t-il, historique : d’où vraisemblablement les divergences (historiques ?) d’interprétations par le PPM et le PCM. Les historiens ainsi que l’essayiste auront préféré celle du PCM, qui est d’orientation politique.

Ainsi donc, le caractère faussé de la relation des faits qui se sont déroulés le premier jour des incidents incite à craindre que ne soit romancée la description qui a été faite des 2 jours qui ont suivi. L’attente de la disparition des témoins paraissant être une méthode martiniquaise d’occultation de l’histoire – les médecins ayant ausculté le cadavre de Marie-Louise n’ayant jamais été interrogés, comme pour garantir le flou historique dans laquelle on se complaît – nous vous prions de bien vouloir conserver ce papier quelque part, en mémoire non morte, cette conclusion qui va à l’encontre de l’histoire fabriquée et que ne contredisent pas les conclusions de la Commission Stora : « Décembre 1959 fut un incident de ville de Garnison qui a dégénéré ».

Les 20 années de parutions sur ce sujet et autres n’ayant pas provoqué le moindre frémissement du microcosme – politique, média, historiens – usons donc d’un procédé qui pourra être renouvelé et qui, par son caractère interpellatif et public, peut paraître – on le regrette – iconoclaste.

Bien cordialement.

Fort-de-France, le 14 septembre 2020