Les « Vaxxeuses » luttent contre les infox des groupes anti-vaccins

— Par Maïwenn Bordron —

Alors que la campagne de vaccination contre le Covid-19 a commencé en France, les infox véhiculées par les anti-vaccins se multiplient sur les réseaux sociaux. Plusieurs collectifs de citoyens, comme les Vaxxeuses, tentent d’organiser une riposte et luttent contre cette désinformation.

De fausses informations autour de la vaccination sont relayées régulièrement depuis des années dans le monde, mais particulièrement en France. Cette tendance s’est accélérée depuis le début de la crise sanitaire et ne va pas s’arrêter, alors que les premières doses du vaccin Pfizer-BioNTech contre le Covid-19 ont été administrées en France le dimanche 27 décembre. Depuis plusieurs années, des groupes de citoyens tentent de déconstruire ces « fake news » sur les vaccins qui circulent sur les réseaux sociaux, mais avec le coronavirus, leur travail est plus important. Parmi eux, les Vaxxeuses, un groupe composé d’une quinzaine de bénévoles actifs sur Facebook qui cherche à contredire les théories des anti-vaccins. D’autres groupes existent comme « Vaccins France – Information et Discussions« , Stop à la propagande anti-vaccins ou Covid19 Fédération. Comment fonctionnent-ils ? Quelle est la portée de leur travail ? Explications avec deux membres des Vaxxeuses et des chercheurs en sciences de l’information et la communication.

« Ne pas laisser la place libre aux anti-vaccins sur les réseaux sociaux »

Les Vaxxeuses se présentent comme étant un « collectif de citoyens inquiets au sujet de la défiance vis-à-vis des vaccins et qui souhaite faire de l’information et lutter contre les intox« . Les deux membres fondateurs se sont rencontrés sur les réseaux sociaux en 2017 et ont lancé ce groupe pour répondre aux opposants à la vaccination. « _Le groupe est né pendant l’été 2017, quand le projet de loi sur l’extension de la vaccination de 3 à 11 vaccins obligatoires a été proposé au Parlement_. Nous nous sommes rencontrés au cours de discussions avec des opposants à la vaccination sur des groupes qui étaient publics et où beaucoup de gens répandaient des mensonges sur les vaccins. Nous avons essayé de leur répondre puis nous nous sommes faits gentiment bannir. Nous avons décidé de monter notre propre groupe pour pouvoir répondre un peu aux théories anti-vaccins », retrace Pierre, un des deux membres fondateurs des Vaxxeuses. Cet homme, qui se dit quadragénaire, utilise un prénom d’emprunt. Les Vaxxeuses tiennent à leur anonymat après avoir reçu des menaces de mort. Aujourd’hui, une quinzaine de personnes font partie de ce groupe, dont l’objectif premier est « de ne pas laisser la place libre aux anti-vaccins sur les réseaux sociaux« . Leur travail de déconstruction des « fake news » se concentre sur la vaccination car cette désinformation sur le sujet leur semble être la plus dangereuse « de par le risque qu’elle fait courir aux personnes les plus faibles qui pourraient être tentées de ne pas se vacciner ou de ne pas vacciner leurs enfants« , souligne Pierre.

Les Vaxxeuses, qui sont aujourd’hui suivis par 20 000 personnes sur Facebook, repèrent une fausse information qui circule sur les réseaux sociaux et regardent « s’il y a matière à faire un article dessus pour démonter l’info », explique Pierre. « _Mais notre mode d’action principal depuis le lancement de la page, c’est clairement de se moquer des arguments anti-vaccins_. Tous les jours, on publie ce qu’on appelle les perles des anti-vaccins. C’est une capture d’écran qu’on fait sur un groupe Facebook anti-vaccins, avec un argument complètement farfelu. Il y a l’exemple de l’histoire de la puce 5G qui serait ajoutée au vaccin : on la publie mais on ne va pas faire un article pour démonter cela parce que je pense il n’y a pas besoin de le faire. Une fois que les personnes viennent sur notre page, a priori pour se marrer des arguments anti-vaccins, c’est à ce moment-là qu’on en profite pour donner des sources d’informations plus fiables, pour écrire des article qui démontent les arguments anti-vaccins« , décrypte-t-il. Le groupe a peu de membres pour travailler à déconstruire ces fake news et doit donc prioriser les sujets à traiter. Parmi les urgences du moment, il y a notamment les informations « sur une éventuelle modification possible de nos gènes via ce vaccin ARN« . « Ce sont des mots compliqués qu’on n’entend pas souvent, qui peuvent faire peur. C’est donc une information sur laquelle on va travailler : on va relayer des articles qui expliquent comment fonctionnent ces vaccins ARN, qui expliquent pourquoi un vaccin ARN ne peut pas modifier notre génome et comment fonctionne cette vaccination en particulier. On juge cette information urgente, simplement parce qu’on vit depuis un an dans une situation qui n’est agréable pour personne et que cette vaccination est la meilleure solution qu’on a pour en sortir rapidement », affirme Pierre.

David contre Goliath ?

Les Vaxxeuses ont bien conscience d’être David contre Goliath dans leur combat face aux anti-vaccins. Leur travail est une goutte d’eau par rapport au flot de contenus qui circulent quotidiennement. Pour relayer leurs contre-informations, les membres du groupe doivent donc apprivoiser les codes des algorithmes. « Quand les gens cherchent des informations sur les vaccins, par exemple ils tapent sur internet « dangers vaccins ». Cela les envoie forcément sur les sites d’intox qui leur balancent à volonté que, oui les vaccins sont dangereux. Les gens n’ont pas la formation pour voir qu’il faudrait plutôt chercher « sécurité des vaccins ». Là, oui, on tombe sur des choses plus objectives. En plus, les algorithmes leur envoient forcément des sites ou des vidéos qui tournent sur le même thème. Ils ont donc l’impression que tout le monde pense comme eux, que tout le monde pense qu’il y a un danger », regrette Anna, une autre membre des Vaxxeuses, qui s’exprime également avec un prénom d’emprunt.

Les articles des Vaxxeuses doivent donc reprendre des mots clés pour être mis en avant par les algorithmes. « Les algorithmes ne comprennent pas réellement le sens des phrases ou des énoncés. Ils analysent surtout un certain nombre de mots clés et la pondération de ces mots clés par rapport à des échelles statistiques. L’algorithme peut tout à fait mettre en avant des éléments d’information scientifiques, tout comme il peut mettre en avant, pour des raisons de viralité, les éléments de désinformation, que prônent les groupes antivax« , décrypte Olivier Ertzscheid, maître de conférences en sciences de l’information à l’université de Nantes. Si les Vaxxeuses publient par exemple une étude, « qui a l’air de faire l’unanimité, qui va un peu à contre-courant et qui amène des nouveaux éléments d’information sur la question vaccinale », l’algorithme va la mettre en avant, selon ce chercheur. « C’est un élément qui va être beaucoup partagé, parce qu’il est inédit, parce qu’il est récent, parce qu’il est un peu à contre courant : c’est la statistique qui va faire le travail, c’est-à-dire que plus cet élément va être exposé sur les réseaux, plus il y a de gens qui vont le voir et qui vont être susceptibles de le partager. Il y a alors ce qu’on appelle les effets boule de neige« , analyse Olivier Ertzscheid.

Quand on fabrique des éléments d’information sur les vaccins, les gens à qui on s’adresse ne sont pas ceux qui sont déjà convaincus : on s’adresse en priorité à des gens qui hésitent, qui n’ont pas d’opinions déjà établies. Ce sont ces gens-là, qui constituent souvent une majorité, qu’il importe d’essayer de convaincre.                
Olivier Ertzscheid, maître de conférences en sciences de l’information à l’université de Nantes.

Romain Badouard rappelle lui que le débat en ligne sur la vaccination, mais également sur d’autres sujets, est « toujours un débat à trois personnes ». « On a tendance à dire que ces initiatives de fact-checking ou de contre-discours sont inutiles parce qu’elles n’arrivent pas à convaincre ceux qui diffusent des fausses informations. Mais en fait, il y a deux internautes qui discutent et il y a le public qui regarde l’échange. Les journalistes fact-checkeurs, comme les internautes qui tentent de sourcer leurs propos ou de montrer des contre-arguments, jouent un rôle important pour alerter le public qui regarde la joute verbale sur le caractère falsifié de certaines informations auxquelles il pourrait être exposé », souligne ce maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’Institut français de presse. Selon lui, pour que le fact-checking soit efficace face aux fausses informations, il faut « qu’un démenti arrive rapidement après la publication de la fausse nouvelle« . « Il faut que le démenti soit sourcé et qu’il ait le soutien de la communauté. Cela veut dire qu’il doit être partagé massivement sur les réseaux sociaux ou alors quand il s’agit d’un commentaire, qu’il soit liké par les autres internautes pour le faire remonter dans le fil des commentaires. C’est justement à ce niveau-là que les internautes ont un rôle à jouer par rapport aux algorithmes qui organisent la visibilité sur les réseaux sociaux« , décrit Romain Badouard, auteur du livre Les nouvelles lois du Web, modération et censure. 

Ainsi, même si le travail des Vaxxeuses peut sembler vain au premier abord pour lutter contre un nombre important de fake news, il peut finir par payer : tout est question de temporalité. « À partir du moment où le travail existe en ligne, on va être en capacité de les remobiliser mais avec des temporalités qu’on ne maîtrise pas. Peut-être que dans trois mois, un influenceur avec une communauté importante va relayer un des éléments d’information que ce groupe-là avait proposé en ligne et à partir de-là, il y a cet effet boule de neige qui va se mettre en place« , souligne Olivier Ertzscheid, maître de conférences en sciences de l’information à l’université de Nantes. Les Vaxxeuses refusent en tout cas de recruter de nouveaux membres pour l’instant face aux menaces que certains de ses membres ont reçu. « Il y a beaucoup d’hystérie pour savoir qui nous sommes. On échange avec d’autres collectifs si on a besoin d’aide, mais on évite le recrutement pour le moment« , affirme Anna, une des membres.