Les triporteurs de la discorde

— Par Christian Antourel —

 « Notre intention, c’est aussi établir un pont entre l’Education Nationale et le théâtre professionnel, qui puisse nourrir les espoirs d’une action culturelle soutenue »
(Hervé Deluge)

–__-  Le Tartuffe d’Hervé Deluge

Le Tartuffe est une comédie de mœurs. La pièce étudie et fait la satire appuyée des dévots. C’est dans Tartuffe que Molière définit le mieux son but qui est de peindre les hypocrisies religieuses, l’aveuglement et les problèmes de l’extrême dévotion. L’analyse se veut fine et également met en relief les rapports maîtres/serviteurs. La pièce a été le plus grands succès de Molière. C’est l’histoire d’une famille aux prises avec un prédateur. Les personnages qui doivent occuper le devant de la scène sont Orgon, Elmire et Tartuffe. Selon le schéma hérité de la farce médiévale avec la femme, le mari, et l’amant : ce personnage intrus qui s’immisce dans le couple. Mais la pièce est bien plus sophistiquée qu’elle le semble .Passions, rires, larmes et rebondissements, doivent en faire une comédie divertissante. Hervé Deluge dans des proportions qui prennent toujours le risque de l’audace cherche derrière la farce et la bouffonnerie de la pièce, un plus délirant, excentrique même,  dans cette famille qui est un champ de bataille ou stratégies, ruses, attaques et coups d’éclat se succèdent. C’est dans ce décor qu’apparaît Tartuffe, hypocrite à son tour, manipulé par ceux qu’il croyait soumettre à son pouvoir. Son passage comble les non-dits, révèle les antagonismes exacerbés. Les tensions laissent finalement chacun face à une nouvelle vie où les masques tombent. Hervé cherche toujours à créer un théâtre holistique (qui considère les différents éléments en présence, comme constituant un tout cohérent) Ainsi il veut, que les comédiens, l’action, le décor soient inextricablement liés.

« Que viennent faire des vélos dans Tartuffe ? »

Nous y voici : Par une alternance de niveau de jeux des acteurs, rendre vivante cette histoire apparemment éloignée de notre temps, écrite dans une forme à laquelle il est difficile d’attacher à priori notre imaginaire. Cette poésie innombrable, si écartée de nos manières. C’est d’abord ça. Il y a là du drame, là de la comédie, là de la tragi-comédie, et de la farce. Mais la mise en scène veut laisser flotter dans l’air une part de mystère délicieux, une ambiance « d’énigme mathématique »que nous devons entendre, dans le sens de la nuance et du clair-obscur des alexandrins. Nous voulons « inviter les imaginaires du public à notre mécanique scénographique » affirme Hervé. Ce n’est pas un vain mot. La mise en scène veut rejoindre alors un monde de l’émotion spectaculaire. Ici Hervé Deluge, décide de réactiver ce théâtre en choisissant d’abolir les unités d’espace et de temps, au profit de la tension, de la dynamique, de l’action dramatique et du rythme. Faire de cet écart de langage scénique, une richesse et une poétique ouverte à ce Tout-Monde que chante le poète Edouard Glissant. Démontrer ainsi que de l’une à l’autre on peut passer en douceur, entre deux cultures. Avec ces drôles d’engins pour une animation voulue véloce et un tantinet agitée. Ces stratégies dramaturgiques permettent d’échapper à la routine théâtrale. « C’est le temps qui passe, qui file » Mieux encore, certains y voient des poussepousses, façon débridée, que la musique filigrane, pentatonique infalsifiable, d’Alfred Fantone suggère. Des vélib’, pourquoi pas ? Les yé krik, ! yé krak ! cette façon de capter l’attention de l’auditoire de nos contes bô kay Et autres calèches ou carrosses. Moyens de locomotion et locomotive de la pièce.

« Nous pensons que notre entreprise peut apporter aux enseignants et aux élèves le moyen de s’approprier cette langue, par l’expression des multiples enjeux dramatiques et par la variété des formes » déclare Hervé « c’est l’occasion d’offrir à notre jeunesse l’opportunité d’assister aux représentations d’un spectacle qui offre aux enseignants comme aux élèves une large sphère d’investigation » Cette possibilité d’étude va des disciplines concernées du français à la littérature et au théâtre. Comment trouver un intérêt a la littérature, une ouverture au théâtre ? Etudier les personnages évoluant sur une scène. En étudier les problématiques essentielles ou en déceler les pièges ? Le système des personnages dans la mise en scène est donc intéressant à étudier dans un spectacle original. On ne peut l’étudier sans savoir ce qu’était la société française au XVIIème siècle. On doit l’étudier comme on étudie une belle page d’histoire vivante. Et que dire de l’art de la rhétorique ? Le metteur en scène interroge avec urgence le rapport du théâtre à l’histoire, à la vérité par la force dramatique, dans la scansion organique d’un genre littéraire qui en est la charpente dynamique vibrante. Dans un trajet d’énergies qui oscillent entre classique et vivacité contemporaine. Loin d’une mise en scène glacée, mais incandescente du Tartuffe de Molière, Hervé déroule le fil tendu à l’extrême des passions humaines inconciliables, dans le rythme -décor qui s’approprie l’espace ou seule une cage grillagée relit l’articulation de ce « Tartuffe »surgissant de dessous les planches par des trappes qui claquent comme autant de portes et ponctuent le textes de sursauts orgueilleux. Un grand théâtre du monde  contemporain où l’imagination, la poésie et la rhétorique, le lyrisme et l’humour, et l’extravagance créative du metteur en scène et de Michel Bourgade sont au pouvoir. Par le premier et rapide coup d’œil jeté sur l’ensemble de l’œuvre, et par son examen minutieux et attentif, sont constatées plusieurs vérités irréfutables. D’abord la pièce est desservie par une sonorisation défaillante et inadaptée. On dirait que cette technique projette sa méthode à distance. Ce singulier phénomène semble penser par lui-même indépendamment de l’harmonie préétablie de l’idée qu’elle habille, cependant, les alexandrins, prononcés et peu fluides par instant, ne nous semblent pas venir d’une autre galaxie. Orlane et Joby sont confondus, dépossédés de la force de l’aimant, ils ne sont pas aussi comédiens qu’ils aimeraient le paraître. On dirait un feu latent qui se fait deviner, qui pourrait mais qui ne peut rayonner, et leur malaise est bien impossible à enfouir dans les profondeurs de la dissimulation. Et s’il il est vrai qu’aux antipodes des lumières projetées magiques le texte allégé de vers, banalisés par Hervé est une erreur, pour ne pas en dire d’avantage. On pourrait faire à cette œuvre un reproche plus grave : c’est le temps qui lui a été imparti pour accomplir un miracle attendu par Atrium école.

Qu’on ne se méprenne pas sur notre intention. Ni encenser, ni déprécier. Seulement être objectif. Sans pour cela pêcher dans un surnaturalisme de circonstance, ou par le biais d’un anachronisme guilleret, coute que coute en phase avec ce phénomène déroutant. Combien même un punch, une flamme plus chaude eut donné à la pièce une fragrance plus glorieuse ; ce n’est pas complaisance courtoise que d’admettre que la pièce tient bien le rôle qu’on veut lui faire jouer, et que le metteur en scène parvient à mettre l’art en vibration. Au lieu de l’éternelle revendication, ce Give me up ! tonitruant, pour une fois, ne pouvons- nous pas nous suffire de ce naturel sophistiqué ? «  Mais il faut pour qu’il soit compris, que le critique, le spectateur opère en lui-même, une transformation qui tient du mystère, et que par un phénomène de la volonté agissant sur l’imagination, il apprenne à participer au milieu qui a donné naissance a ce jaillissement insolite » La critique est aisée mais l’art est difficile…. Pour une fois. Aucun voile scolaire, aucun paradoxe universitaire, aucune utopie pédagogique, ne devraient s’interposer entre eux et la complexe vérité. Les enseignants sont conscients et habiles en cette matière et savent l’inévitable rapport entre la forme et la fonction. Ils ne critiquent pas ; ils découvrent et étudient en retrait du rythme accoutumé et de l’allure classique ; cette forme qui trompe et taquine le regard, et révèle aux sens, des idées qui appartiennent a l’imaginaire : Toute cette vitalité spontanée qui s’ajoute à la mise en scène, transformant le théâtre en école.
Cette intrigue passionnelle, entre figures d’un autre temps, qui enserrent la comédie de Molière sur fond conflictuel, verserait aisément dans les raffinements surannés des sentiments de fureur et vengeance à cran. Mais l’homme de théâtre Deluge, veut stimuler l’énergie et l’ironie tragique, qui s’y distille comme une fatalité. Motivant puissamment l’action et l’âme des personnages pour donner à l’ensemble un caractère de tragi-comédie inaltérable, déstabilisant et circassien. In fine, lui conserver tout le comique d’une situation qui ne l’est pas.

Le défi d’Hervé est de «  s’approprier la pièce de façon vivante, contemporaine, et… sans complexe.

Christian Antourel

« Texte adapté par l’auteur à partir d’un article publié dans la magazine de France-Antilles »

Atrium Octobre 2011.

Lire aussi :

http://www.madinin-art.net/theatre/tartuffe_comedie_introuvable.htm

http://www.madinin-art.net/theatre/sabra_tartuffe_deluge.htm

http://www.madinin-art.net/theatre/sabra_deluge_tartuffe_interview.htm

http://www.madinin-art.net/theatre/antourel_tartuffe_deluge.htm

http://www.madinin-art.net/theatre/tartuffe_beau_spectacle.htm