« Les Rencontres pour le lendemain » – Premier bilan

— Par Selim Lander —

mairie Saint-EspritOrganisées à la médiathèque du Saint-Esprit, à l’initiative d’un écrivain philosophe, Faubert Bolivar, épaulé par un petit groupe de volontaires passionné(e)s, les Rencontres du lendemain dont la première a eu lieu au mois de janvier 2016 se sont déroulées jusqu’ici au rythme annoncé d’une par mois. Il s’agit à chaque fois de donner à la personnalité autour de laquelle s’organise la soirée l’occasion de se faire connaître du public autrement que par ses œuvres, d’une manière plus personnelle, plus intime. Le déroulement de chaque soirée suit toujours à peu près le même canevas : les deux ou trois personnes que la tête d’affiche a souhaité avoir auprès d’elle pour témoigner s’expriment avant qu’elle ne prenne elle-même la parole, puis un débat s’ouvre avec le public. Dans les intervalles, un film peut être projeté à la demande de la personnalité invitée et les organisateurs s’arrangent pour lui ménager quelques « surprises » : la lecture à plusieurs voix d’un de ses textes, une chanson accompagnée au clavier ou au tambour, un témoignage qu’elle n’avait pas sollicité, par exemple de la part de quelqu’un d’éloigné qui se sera fait filmer pour la circonstance…

Les témoignages sont très divers : ils peuvent émaner de membres de la famille de l’invité, de ses amis, de personnes qui ont travaillé ou collaborent encore avec lui, de personnes qui connaissent bien son œuvre. Ces témoins ne sont pas nécessairement de brillants orateurs, le rôle qui leur est assigné est tel qu’ils ne peuvent guère se montrer autrement qu’élogieux, néanmoins cette séquence apparaît toujours utile en ce qu’elle remplit son but qui est de projeter sur le héros de la soirée des regards extérieurs qui complètent ce que ce dernier voudra bien livrer de lui-même.

Toute règle supporte des exceptions. En l’occurrence, ce fut le cas de la première soirée puisque l’invité, Monchoachi, avait fait savoir dès le début de la préparation de l’événement le concernant qu’il le soutenait mais qu’il ne serait pas là lui-même, ayant pris depuis longtemps la décision de ne plus paraître en public. Fort heureusement, un long entretien avec lui, filmé par Arlette Pacquit, a permis qu’il fût au moins présent par la voix et par l’image. Les organisateurs tenaient à ce que la soirée eût lieu, non seulement parce que Monchoachi réside au Saint-Esprit – et que c’était ainsi une manière d’honorer à travers lui la commune qui abrite les Rencontres –, mais encore et surtout parce qu’il s’agit d’un immense poète, publié chez un éditeur prestigieux et pourtant trop peu connu des Martiniquais.

Les trois événements suivants furent par contre conformes au schéma normal. En février, la Rencontre avec Ernest Breleur a permis à ceux qui ne le connaissaient pas de découvrir son parcours de peintre et de sculpteur jusqu’aux œuvres les plus récentes et, en l’écoutant, de saisir la réflexion à la fois profonde et savante d’un créateur ouvert à l’universel, qui s’adresse à l’universel, qui ne renie pas pour autant le lieu dont il est issu. Comme l’a souligné Patrick Chamoiseau, au rang des témoins, Ernest Breleur est un peintre « considérable ». Pourtant, comme Monchoachi, il demeure insuffisamment célébré dans son île-même. Les organisateurs des Rencontres pour le lendemain se veulent des passeurs de culture : en mettant en lumière des personnalités comme Monchoachi et Breleur, justement renommées à l’extérieur mais insuffisamment connues chez elle, ils remplissent exactement leur rôle.

L’invitée du mois de mars, la chanteuse Jocelyne Béroard, est certes mieux connue des Martiniquais, en raison de son appartenance au groupe Kasav. La soirée aura fait entendre un autre répertoire, plus poétique, et laissé percevoir une personnalité empathique et généreuse que l’on n’attendait peut-être pas chez une vedette du showbizz. Enfin, la soirée de ce mois d’avril a donné carte blanche à Hassane Kassi Kouyaté. Metteur en scène d’origine burkinabé, comédien de réputation internationale, il a accepté de prendre la barre de l’Atrium dans une passe particulièrement difficile. Grâce à ce nouveau capitaine, le vaisseau qui a retrouvé le label « Scène nationale » semble désormais voguer sur une mer plus calme. Il avance, en tout cas, comme en témoigne une programmation qui tient l’équilibre entre le « national » et le « local ». La présence parmi ses témoins d’un de ses cousins, Adams Kwateh, a donné aux assistants l’occasion d’entrevoir l’importance des rites et du respect dans les relations interpersonnelles en Afrique. Pour conclure la soirée, Hassane Kouyaté a coiffé sa casquette de griot et offert deux contes au public.

Le public, justement ? Il convient de souligner qu’il a toujours répondu présent, preuve que ces Rencontres pour le lendemain, dans la formule qui a été adoptée, répondent à un véritable besoin, celui de connaître la personne qui se dissimule derrière le masque du créateur. Et sans doute cela donnera-t-il à plus d’un l’envie d’approfondir la connaissance de l’œuvre ou, à défaut, de la découvrir, ce qui est justement le but poursuivi par les organisateurs de ces Rencontres.