« Les menstruations, Let’s talk about it” de Yolanda Naranjo

C’est à l’initiative de l’Union des Femmes de Martinique (UFM) et l’Atelier le Point Rouge que Yolanda Naranjo s’est vue offrir une résidence d’artiste centrée sur le thème des menstruations. Le féminisme ne s’est intéressé aux règles que depuis peu. Le corps féminin a souvent été un point aveugle de la pensée féministe aux prises avec la domination patriarcale. L’émancipation supposait de nier les spécificités pour atteindre un idéal égalitaire neutre qui en réalité proposait, masqué, le masculin comme neutralité. Cette invisibilisation des règles était soutenue par les discours religieux. Les religions sémitiques (notamment juives et musulmanes) associent différentes croyances et interdits aux règles. Les femmes sont considérées en état d’impureté rituelle lorsqu’elles ont leurs règles. En Islam, pendant son cycle menstruel, la femme musulmane n’a pas le droit de faire sa prière ni son jeûne ni d’avoir un rapport sexuel (avec pénétration) avec son mari. Par ailleurs, pendant le pèlerinage de la Mecque, la circumambulation lui est interdite. Ces restrictions, ces interdits ne sont pas l’exclusivité des monothéismes, sikhisme, jaïnisme, hindouisme etc. y concourent eux aussi. Les menstrues des femmes étaient taboues hier et elles le sont encore aujourd’hui. Les sexologues Master & Johnson écrivaient en 1987 : «En 1878, le prestigieux British Medical Journal édita une série de lettres de médecins qui donnaient des « preuves » que le contact d’une femme qui avait ses règles pouvait abîmer le jambon qu’elle avait touché ! »

Plus récemment encore, en 2017, un groupe multinational vendant des protections périodiques, Essity, lance dans de nombreux pays une campagne publicitaire montrant un liquide rouge simulant le sang menstruel, au lieu du liquide bleu habituellement utilisé pour le représenter, avec le slogan Le sang c’est normal, le montrer devrait l’être aussi. Cette campagne déclenche en Australie les foudres de 600 téléspectateurs, qui se plaignent auprès de l’autorité de contrôle du caractère « désagréable », « inutile », « choquant et inapproprié », « dérangeant », « dégradant pour les femmes » de la campagne et du fait qu’elle « ne convient pas aux enfants », sans toujours réaliser que le sang affiché lors de scènes de violence ne les fait pas réagir.

Si comme l’affirme Blaise Cendrars « Sans contradictions il n’y a pas de vie », alors on peut dire que Yolanda Naranjo est bien vivante. Tout d’abord, puisque le sang est normal et que le montrer est tout aussi normal on peut s’interroger sur le parti pris de l’artiste de choisir un endroit caché, difficile d’accès, un champ marécageux au fond du parc de Tivoli. Il faut emprunter des palettes posées sur le sol pour parvenir à une cabane en bois chancelante d’une quinzaine de mètres carrés. Ensuite, à l’intérieur une dizaine d’œuvres, dont les plus grandes, des morceaux de draps sur lesquels sont brodés aux fils noir et rouge, des corps ou des morceaux de corps de femmes laissant voir un sang qui coule. A la douleur de l’occultation, de la négation de l’existence des règles et de l’oppression qui en résulte l’artiste oppose comme medium la légèreté d’un voile qui flotte librement balancé par le vent. Enfin, elle reprend à son compte un mode d’expression on ne peut plus genré : celui de la broderie dont elle dit qu’il lui fût enseigné dans son enfance, mais sans doute pas par des hommes. Un tableau, figurant une femme nue assise de coté, qui laisse s’échapper d’entre ses suiises, sur une draperie de fleurs, des fils rouges a été recouvert d’une encaustique comme au temps jadis. Au delà de ce dialogue, de ce débat entre la forme et le fond se dégage de l’ensemble des œuvres exposées une finesse et une délicatesse qui fuyant le registre de la dénonciation emprunte, avec bonheur à celui du « dévoilement ».

 

Fort-de-France, le 18/12/2021

R. S.