« Les Indes galantes » de Jean-François Rameau, m.e.s. par Clément Cogitore

Jeudi 21 novembre 2019 à 19h. Madiana

de Jean-François Rameau
m.e.s. par Clément Cogitore
Avec Sabine Devieilhe, Florian Sempey, Jodie Devos plus
Genre Opera
Nationalité Français
Date de sortie 10 octobre 2019 (3h 40min)

Synopsis :
Œuvre‑phare du siècle des Lumières, Les Indes galantes s’apparente à un éblouissant divertissement. Mais le premier opéra-ballet de Rameau témoigne également du regard ambigu que l’Européen pose sur l’Autre – Turc, Inca, Persan, Sauvage… En 2017, le réalisateur Clément Cogitore signe un film explosif et très remarqué, adaptant un extrait des Indes galantes avec le concours de danseurs de Krump. Avec la chorégraphe Bintou Dembélé, il s’empare cette fois de cette machine à enchanter dans son intégralité pour le réinscrire dans un espace urbain et politique dont il interroge les frontières.

Voir la vidéo ci-après.

Clément Cogitore adapte une courte partie de ballet des « Indes galantes » de Jean-Philippe Rameau, avec le concours d’un groupe de danseurs de Krump, et de trois chorégraphes : Bintou Dembele, Grichka et Brahim Rachiki.

Faire évoluer des danseurs hip-hop sur de la musique baroque. L’idée peut surprendre mais c’est pourtant le défi que se sont lancés le metteur en scène Clément Cogitore et la chorégraphe Bintou Dembélé. Le duo prolonge ainsi un travail amorcé en 2017 pour la plateforme 3ème Scène, où il associait déjà le krump à l’oeuvre de Rameau.

Qu’est-ce qui a interpelé Clément Cogitore dans cette œuvre emblématique de Jean-Philippe Rameau ? Le rapport à l’autre, le mythe du « bon sauvage » véhiculé par Les Lumières.

A l’exotisme exacerbé des Indes Galantes (Turquie, Amériques, Perse), le metteur en scène préfère nous confronter à nos propres préjugés en plongeant l’action dans un milieu urbain contemporain. Dans nos villes en effet, communautés et minorités se côtoient sans toujours se rencontrer.

Krump, voguing… aux saltos de la Compagnie Rualité s’ajoutent les acrobaties vocales d’un plateau de haute-volée : Sabine Devieilhe, Florian Sempey, Jodie Devos, Edwin Crossley-Mercer, Julie Fuchs, Mathias Vidal, Alexandre Duhamel et Stanislas de Barbeyrac.

La fosse n’est pas en reste avec un Orchestre Cappella Mediterranea placé sous la direction de Leonardo García Alarcón. Sur scène, trois chœurs obéissent au chef Thibault Lenaerts : le Chœur de chambre de Namur, la Maîtrise des Hauts-de-Seine et le Chœur d’enfants de l’Opéra national de Paris.

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C’est le 23 août 1735 que le public français découvre pour la première fois les Indes galantes, opéra-ballet de Jean-Philippe Rameau, écrit sur un livret de Louis Fuzelier. Il s’agit de son deuxième coup d’essai pour la scène lyrique, après Hippolyte et Aricie, créé deux ans plus tôt. Le compositeur a 50 ans passés et pourtant, tous ses grands opéras restent à venir.

Dans les Indes, le thème est exposé dans le Prologue : comme la jeunesse européenne a délaissé l’amour au profit de la guerre, les dieux décident d’envoyer les amours vers des contrées plus lointaines. S’en suivent quatre tableaux indépendants qui nous font voyager en Turquie, au Pérou, en Perse et en Amérique du Nord.

Exotisme et rêves de voyage

Au XVIIIe siècle, le terme « Indes » a un sens différent de celui qu’on lui prête aujourd’hui. Plus vague, il désigne à la fois l’Est de l’Asie et les Amériques.

A l’époque, les grandes aventures font rêver. Le lointain attire et effraie tout à la fois. Les conquêtes coloniales alimentent nombre de fantasmes. On lit les récits de grands voyageurs comme Théodore de Bry, on se passionne pour la traduction en français des Mille et une nuits (1717) ou pour les récits des Lumières, parmi lesquels les Lettres persanes de Montesquieu (1721) ou Zadig de Voltaire (1747). Littérature, musique, peinture… aucun art n’est épargné par la vague d’exotisme qui envahit l’Europe.

C’est aussi grâce au commerce avec les « Indes », et de manière plus générale avec l’étranger, que les Français découvrent de nouvelles denrées, notamment le maïs et le café.

Les Indes galantes, avec ou sans stéréotypes ?

Dans les Indes galantes comme dans la plupart des œuvres de l’époque, la vision de l’étranger qui s’impose apparaît déformée. En témoigne la Quatrième Entrée, celle des « Sauvages », sorte de comédie pacifique ajoutée en 1736 et qui est probablement la plus célèbre de l’œuvre. Elle reprend à son compte le mythe du « bon sauvage » qui idéalise les peuples indigènes qui vivent au contact de la nature. Peu attirée par ses prétendants européens, l’un inconstant, l’autre trop sérieux, la jeune Indienne Zima leur préfère Adario, chef des guerriers.

Pourtant, Fuzelier prend parfois le contrepied de l’imaginaire populaire : dans la Première Entrée, le personnage d’Osman est bien loin de l’image du tyran sanguinaire. Il est un sultan magnanime, inspiré d’une personnalité réelle, le grand vizir Topal Osman. Cependant, l’histoire qu’il en tire est invraisemblable : fou amoureux de son esclave Emilie, Osman doit se résigner car elle en aime un autre, Valère, qui avait rendu sa liberté à Osman lui-même, des années auparavant.

De la danse et du spectaculaire

A l’époque de Rameau, deux genres lyriques se partagent l’affiche : la tragédie lyrique et l’opéra-ballet. Notre compositeur s’est essayé aux deux avec cinq œuvres pour le premier, six pour le deuxième.

Héritier du ballet de cour, l’opéra-ballet connaît son âge d’or de la fin du XVIIe au milieu du XVIIIe siècle. L’Europe galante d’André Campra, créé en 1697, serait l’un des premiers.

Si le genre mêle danse, airs, récitatifs, chœurs, symphonies, il vise surtout le spectaculaire. Les entrées sont indépendantes les unes des autres et cette grande souplesse plaît aux directeurs de théâtres. A tel point que ceux-ci n’hésitent pas à fragmenter les œuvres pour proposer au public les actes les plus satisfaisants, parfois même d’auteurs différents !

Ainsi sur 130 œuvres données à l’Opéra de Paris entre la création de l’Europe galante et celle des Indes galantes, 40 sont des opéra-ballets.

Le Crépuscule des dieux

Avec l’opéra-ballet, les dieux perdent de leur superbe. On recherche davantage de naturel, de vraisemblance. Dans les Indes galantes, hormis dans le Prologue où apparaissent les dieux Hébé, Bellone et Amour, et à la fin de l’acte de la Fête des Fleurs, on ne trouve aucune présence divine dans le livret de l’opéra.

« Un Auteur occupé du soin de plaire au Public a-t-il tort de penser qu’il faut quelquefois essayer de le divertir sans le secours des Dieux et des Enchanteurs ? », Louis Fuzelier, préface des Indes galantes.

En effet, Rameau et Fuzelier délaissent la mythologie au profit de la nature. « S’il faut du merveilleux (…), un peu plus conforme à la « nature », que son explication soit possible par la physique (ou par la physique amusante) », d’après le musicologue Philippe Beaussant (Avant-Scène Opéra). Ainsi, une tempête ou une éruption volcanique ne sont plus le fait des dieux mais s’expliquent tout simplement par des lois physiques. Il ne faut pas oublier que nous sommes au siècle des Lumières…

Trop ou pas assez de musique ?

Quand Rameau présente ses Indes Galantes en 1735, sa réputation est celle d’un compositeur « scandaleux ». Tout le monde a encore en tête son opéra Hippolyte et Aricie, dans lequel on lui reprochait un « excès » de musique. Campra disait même : « il y a assez de musique dans cet opéra pour en faire dix ».

Lors de la création, les Indes galantes créent la surprise, en particulier chez les partisans de la musique de Lully. On cherchait à se divertir, à être émerveillé par les danses, le jeu des machineries, la beauté des costumes… en un mot, on venait au spectacle. Or la musique, omniprésente, éclipse tout le reste et va à l’encontre du style prôné par Lully.

Rameau ne fait pas non plus l’unanimité auprès des Italiens. Plus tard on lui reprochera cette fois-ci de… délaisser la musique ! En effet pour les Italiens, trop de récitatif et pas assez de chant. La fameuse querelle des Bouffons ne tardera pas à éclater…

Oubliées pendant plus d’un siècle

Au XIXe siècle, si on parle de Rameau, on joue peu sa musique. Pourtant, malgré ses débuts houleux, l’opéra a fini par s’imposer peu après sa création et a été régulièrement repris jusqu’en 1761. Et selon Berlioz« Rameau est le premier musicien français qui mérite le nom de maître ». Mais jusqu’au début du XXe siècle, on n’entendra plus que des extraits des Indes Galantes.

La première édition moderne de l’œuvre paraît en 1902 et en 1952, l’œuvre est reprise à Garnier ; on ne l’avait pas entendue jouée en intégralité depuis 1761.

Source : FranceMusique.fr