« Les guetteuses du 7 octobre » : silence d’État, voix brisées

Visible sur la plateforme france.tv jusqu’au 14/03/2028

Elles étaient jeunes, elles étaient invisibles. Une trentaine de jeunes femmes, âgées de 18 à 20 ans, effectuaient leur service militaire obligatoire au camp de Nahal Oz, à quelques centaines de mètres à peine de la bande de Gaza. Leur rôle ? Observer. Alerter. Surveiller en continu une frontière toujours sous tension, depuis la salle de contrôle de l’unité 414, spécialisée dans la vidéo-surveillance. En Israël, on les appelle les tatzpitaniyot — les guetteuses. À travers leurs caméras, elles ont vu venir l’horreur. Mais personne n’a voulu les écouter.

Durant les semaines précédant l’attaque du 7 octobre 2023, ces jeunes soldates remarquent un changement de rythme. Des groupes d’hommes armés patrouillent le long de la clôture. Ils s’arrêtent à chaque poste d’observation, escaladent les talus pour scruter les bases militaires israéliennes, parfois même ouvrent le feu ou déposent des explosifs. La tension est palpable, les incidents s’accumulent. Maya Desiatnik, alors âgée de 21 ans, et d’autres guetteuses, transmettent à plusieurs reprises des signalements aux services de renseignement. « On a tout vu, tout écrit. On a prévenu tout le monde », dit-elle, aujourd’hui survivante mais marquée à vie. Les messages d’alerte, pourtant rédigés noir sur blanc, n’ont pas été relayés, ni pris au sérieux.

Puis vient le matin du 7 octobre. Peu après 6 heures, les guetteuses lancent un ultime cri d’alarme : des hommes courent vers la clôture. « Ils ont fait sauter la barrière. Vous me recevez ? » Aucun retour. En quelques minutes, une trentaine de miliciens du Hamas investissent la base de Nahal Oz. Quinze guetteuses sont tuées. Sept autres sont prises en otage. Parmi les victimes, Roni Eshel, Noa Marciano, Shahaf Nissani, et tant d’autres. Certaines périssent brûlées vives dans la salle de contrôle. D’autres meurent en tentant de fuir.

À travers le documentaire « Les guetteuses du 7-Octobre », diffusé sur France 5 et réalisé par David Korn-Brzoza, leurs voix résonnent enfin. Témoignages des rescapées, récits poignants de parents dévastés, extraits de vidéos captées par les soldates ou les assaillants eux-mêmes : le film éclaire l’aveuglement tragique des autorités militaires et politiques israéliennes. Un désastre que certains comparent à Pearl Harbour ou à la guerre du Kippour.

Ce n’est pas faute d’avoir su. Le Shin Bet — service de renseignement intérieur — disposait d’informations sur des exercices militaires organisés par le Hamas, simulant la prise de bases israéliennes. Les guetteuses, elles, observaient chaque jour la préparation de l’assaut, consignant dans leurs rapports les mouvements suspects. Mais leur statut de jeunes femmes non gradées, souvent perçues comme de simples exécutantes, aurait rendu leurs avertissements inaudibles. Une hypothèse que réfute en partie le réalisateur : « Ce n’est pas qu’elles étaient des femmes, mais qu’elles n’étaient pas officiers », expliquent les survivantes.

Pour les familles, l’incompréhension est totale. Eyal Eshel, père de Roni, refuse de se taire : « Elles savaient tout. Elles ont vu l’attaque arriver. Pourquoi personne n’a réagi ? » D’autres parents, comme Avi Marciano, se remémorent les derniers appels de leurs filles, paniquées, piégées, impuissantes. Aujourd’hui, ils exigent des réponses, dénoncent les défaillances d’un système qui a préféré détourner les yeux.

Car à l’époque, toute l’attention des hautes sphères israéliennes était tournée vers l’Iran, le Hezbollah, et la Cisjordanie. Le Hamas ? Jugé trop faible, trop corrompu. Une menace de second rang. Un chef militaire du Shin Bet parle de triple erreur : « mépris de l’ennemi, arrogance et suffisance ». Les services israéliens, pourtant réputés, auraient ignoré les signaux évidents, y compris ceux diffusés en libre accès sur les réseaux sociaux, utilisés stratégiquement par les combattants palestiniens.

Dans ce chaos, les guetteuses sont devenues bien plus que des sentinelles oubliées. Pour Maya, elles sont « des amies pour la vie, que j’ai perdues ». Pour Doron Avital, ancien commandant d’unité d’élite, elles incarnent un symbole, celui d’une jeunesse israélienne qui a tout donné, sans jamais être entendue.

Alors que le conflit entre Israël et le Hamas semble s’enliser dans une guerre sans fin, la voix de ces jeunes femmes, diffusée dans ce film bouleversant, rappelle que derrière les décisions d’État, il y a des vies. Et des silences qui tuent.