— Par Jean-Marie Nol —
En Guadeloupe comme dans l’ensemble du territoire français, les signaux d’alerte s’accumulent. À l’heure où les projecteurs se braquent sur les grands indicateurs économiques, une angoisse sourde et profonde traverse la société en cette date symbolique du premier mai pour l’ensemble des travailleurs . L’économie vacille dangereusement , la consommation ralentit, et derrière les chiffres, une réalité humaine plus inquiétante se dessine : celle d’une population fragilisée mentalement, écartelée entre incertitudes économiques et détresse psychique.Sur le plan professionnel, les conséquences sont tout aussi alarmantes. Le burn-out, les troubles anxieux et dépressifs explosent, notamment chez les jeunes salariés. 44 % des actifs seraient aujourd’hui en détresse psychologique, et les troubles mentaux constituent désormais la première cause d’arrêts de travail longue durée. Dans certaines entreprises, le désengagement professionnel devient un réflexe de défense face à une pression devenue insoutenable. Le coût pour les entreprises et les finances publiques est colossal. D’ici 2027, les arrêts maladie devraient représenter plus de 23 milliards d’euros par an. Cette spirale ne peut être brisée que par une reconnaissance politique claire de l’enjeu. Le dernier tableau brossé par l’Institut d’émission des départements d’outre-mer (IEDOM) dans sa synthèse annuelle pour l’année 2024 est sans équivoque : la Guadeloupe entre dans une phase de ralentissement généralisé, avec des répercussions déjà tangibles sur tous les pans de l’activité.
La consommation des ménages, traditionnel moteur de la croissance locale, recule nettement. L’indicateur du climat des affaires baisse à 104,5 points, après avoir culminé à 108,1 en 2023. Ce repli est d’autant plus préoccupant qu’il s’inscrit dans une tendance baissière continue sur les trois premiers trimestres de l’année. Pourtant, les chefs d’entreprise affichent encore un certain optimisme, soutenu par le ralentissement de l’inflation (+2,6 % en 2024 contre +3,9 % en 2023) et un sursaut d’investissement en fin d’année. Les mesures mises en place pour contenir la vie chère, comme l’élargissement du Bouclier Qualité-Prix ou l’exonération de TVA sur de nombreux produits de première nécessité à partir de mars 2025, témoignent d’une certaine volonté politique de protéger le pouvoir d’achat. Mais ces dispositifs, bien que salués, ne suffisent pas à redonner confiance à une population qui doute des élus et gronde sur la vie chère .
L’économie réelle, elle, donne des signes d’essoufflement. Le secteur du BTP, qui avait porté une bonne part de l’activité économique en 2023, subit un net repli : fin de grands chantiers, contraction de la commande publique, baisse des logements autorisés et du chiffre d’affaires (-4,6 %). Les signes sont clairs : permis de construire en chute libre, consommation de ciment en recul, faiblesse de la demande privée. Seule lueur d’espoir : Le tourisme, traditionnel levier de croissance, résiste mieux. Le chiffre d’affaires de l’hébergement et de la restauration progresse encore (+10,3 %), et le niveau de fréquentation reste élevé. Toutefois, les problèmes d’approvisionnement en eau et les tensions sociales pèsent lourdement sur l’image de la destination. Les projets d’annulations d’escales de croisières, motivées par des craintes financières et sécuritaires, en sont la preuve. Si les autorités locales ont réagi en renforçant les mesures de sécurité, la confiance des compagnies et des touristes reste fragile.
Le commerce, quant à lui, subit de plein fouet la baisse de la consommation. Le chiffre d’affaires chute de 1,2 %, les ventes automobiles s’effondrent, et les commerçants pointent la baisse du pouvoir d’achat comme facteur principal. Dans le secteur agroalimentaire, les exportations s’effritent, notamment pour des produits emblématiques comme le rhum. Le secteur primaire, malgré des exportations de bananes encore stables, souffre d’un net recul dans l’élevage et d’une fragilité financière persistante. 2025 s’annonce comme une
année de transition, marquée par l’attente de retombées concrètes de l’existence potentielle de grands projets en cours de réflexion par la région et le département .
Ce tableau guadeloupéen, aussi préoccupant soit-il, n’est que le reflet d’un malaise plus large qui touche l’ensemble de la société française. En mars 2025, l’Hexagone enregistre une chute historique de 1 % de la consommation des ménages, en dehors de tout contexte de crise sanitaire. Derrière cet indicateur technique, c’est un phénomène bien plus grave qui se profile : la peur de l’avenir. Cette anxiété collective, alimentée par la précarité croissante, le coût de la vie, l’instabilité professionnelle et les transformations technologiques, mine peu à peu les fondements mêmes de la cohésion sociale. Le repli sur soi, l’épargne de précaution et la réduction volontaire de la consommation deviennent des réflexes de survie.
La précarité s’étend à des pans entiers de la population autrefois épargnés : jeunes diplômés, familles monoparentales, salariés à temps partiel, travailleurs indépendants. Près d’un quart de la population vit aujourd’hui sous la menace d’une précarisation durable. Et cette déstabilisation matérielle s’accompagne d’un basculement psychique inquiétant. Le malaise mental gagne du terrain, devenant l’une des premières causes d’arrêt de travail longue durée. Le burn-out, les troubles anxieux et dépressifs frappent massivement, notamment chez les jeunes, premières victimes d’un monde professionnel perçu comme imprévisible, exigeant et déshumanisé.
Les chiffres sont édifiants : un Français sur cinq souffre chaque année d’un trouble psychique, les tentatives de suicide chez les adolescents ont bondi de 40 %, et les troubles mentaux constituent désormais la première cause de dépense de l’Assurance maladie. La France est l’un des pays les plus exposés aux risques liés à la transformation technologique de l’emploi. En raison de l’importance de la disruption provoquée par l’intelligence artificielle et la robotisation, plus de deux millions d’emplois pourraient disparaître dans les cinq prochaines années, selon l’Institut Sapiens. Cette perspective nourrit une insécurité latente, y compris parmi ceux qui occupent encore un poste. L’angoisse du déclassement et l’impression de ne jamais être à la hauteur d’un monde en mutation permanente alimentent une crise de confiance généralisée.
Et pourtant, cette détresse psychique reste souvent enfouie, taboue, mal comprise. Un tiers des Français associe encore les troubles mentaux à la dangerosité, et la moitié des personnes concernées préfère se taire. Le silence tue, retarde les soins, coûte des vies. Une personne se suicide chaque heure en France. L’espérance de vie des personnes atteintes de troubles psychiatriques est réduite de quinze ans. Ce n’est plus seulement un enjeu de santé publique, c’est une alarme nationale.
Face à cette spirale qui irait vraisemblablement en s’amplifiant , la réponse doit être forte, claire et immédiate. Faire de la santé mentale la Grande cause nationale en 2025 n’est pas une option : c’est une nécessité pour la Guadeloupe .
Car une société ne tient pas uniquement par ses indicateurs macroéconomiques. Elle tient par les liens de confiance, de solidarité et d’espérance qu’elle parvient à maintenir vivants entre ses membres. En Guadeloupe comme ailleurs, il est temps de reconnaître que le véritable défi ne se joue pas seulement sur les courbes de croissance, mais dans la capacité collective à entendre et à soigner cette détresse invisible qui grandit dans l’indifférence . C’est à ce prix que pourra se construire un avenir plus résilient, plus humain, et réellement porteur de sens pour les guadeloupéens. À l’heure où l’économie montre ses limites, c’est dans le regard porté sur la détresse invisible que se joue l’avenir du pays.
» Bèf dèyè ka bwè dlo sal ».
Traduction littérale : Le bœuf de derrière boit de l’eau sale.
Moralité : Les derniers arrivés ont les restes.
Jean Marie Nol économiste