Les expatriations fiscales, entre mythe et réalité

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Rapport du syndicat Solidaires Finances Publiques
(ex SNUI-SUD Trésor)
Les expatriations fiscales au coeur du débat fiscal

Les expatriations fiscales sont souvent convoquées dans le débat fiscal, surtout s’il porte sur le patrimoine.Pour les partisans d’une réduction des impôts directs, qu’il s’agisse des impôts des personnes physiques (impôt sur le revenu, impôt de solidarité sur la fortune voire droits de donation et de succession)ou des personnes morales (impôt sur les sociétés, taxe professionnelle, désormais remplacée par la contribution économique territoriale), les expatriations de contribuables contribueraient donc à dégrader les recettes fiscales et l’activité économique, elles s’expliqueraient par un niveau excessif d’imposition.
Pour les partisans d’un système fiscal plus progressif assis notamment sur une plus grande place des impôts directs, les expatriations auraient une incidence marginale sur les recettes publiques et l’activité économique.
Au-delà des slogans et des affirmations, un constat s’impose : il est difficile d’y voir clair, d’analyser les raisons et d’estimer l’impact réel des expatriations, notamment celles qui sont présentées comme des expatriations fiscales.Notre organisation, convaincue qu’une fiscalité plus juste est nécessaire, a souhaité faire le point sur cette question sensible qui occupera à n’en pas douter une place importante dans le débat public. Elle a donc mené un travail d’analyse à partir des données publiques disponibles sur cette question. Des expatriés ont également été rencontrés1.
Le présent rapport a pour objectif de livrer une synthèse des arguments et données disponibles sur les expatriations fiscales, principalement sur celles des personnes physiques.
I – Approche générale des expatriations
Définition
L’expatriation consiste à changer légalement et effectivement de résidence et, au cas particulier, de pays. Les raisons d’une expatriation peuvent être nombreuses. S’agissant du débat fiscal, les termes d’expatriations fiscales ou d’exil fiscal sont indistinctement fréquemment employés, les délocalisations fiscales concernant pour leur part davantage les entreprises.
Principaux effets théoriques des expatriations
Lorsqu’une personne (ou une entreprise) s’expatrie ou se délocalise, il change de régime fiscal, ce qui implique une perte fiscale pour l’Etat de départ et à un gain pour l’Etat d’arrivée.Suivant le profil de l’expatrié (investisseur, entreprise), et nonobstant l’analyse des causes de l’expatriation ou le volume des éventuelles installations sur le territoire national d’agents économiques en provenance d’autres pays, il peut y avoir une perte pour la richesse nationale si les capitaux investis sont eux aussi délocalisés, voire une perte en emplois si l’activité de l’entreprise est également délocalisée.
Un contexte de mobilité
Des éléments qui favorisent la mobilité
Plusieurs facteurs facilitent la mobilité et, par suite, les expatriations.
Il en va ainsi de la libre circulation des personnes, qui fait partie des libertés fondamentales assurées par, et au sein de, l’Union européenne (liberté de circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux). Au-delà, la libre circulation des personnes est garantie au sein de l’espace Schengen né des accords éponymes de 1985, définissant la liberté de circulation des personnes, et de la convention d’application de 1990. Les accords de Schengen ont instauré la suppression des contrôles aux frontières au sein d’une zone regroupant 22 Etats membres de l’Union européenne, la Suisse, l’Islande et la Norvège.
Il en va également de la libre circulation des biens, des personnes et des capitaux qui vient également offrir des possibilités de localiser (voire, de  localiser) plus facilement des activités économiques.
Il en va en outre de l’utilisation des nouvelles technologies de l’information qui permettent une plus grande interaction des économies et une plus grande mobilité des capitaux notamment.
Il en va enfin, plus globalement, des effets de la mondialisation qui génère une plus grande mobilité de l’activité économique, donc des emplois et des richesses.
Mais une inégalité certaine devant la mobilité
Cette mobilité n’est cependant pas le fait de tous les agents économiques. On distingue notamment des « bases immobiles » (l’immense majorité des ménages et des PME) et des « bases mobiles » (qualification traditionnellement retenue sur le plan fiscal). Ces dernières sont avant tout constituées :
– de personnes physiques dont la richesse (héritée et/ou créée) autorise une diversification et une internationalisation des placements,
– des personnes physiques qui, du fait de leur emploi, sont amenées à se déplacer et, au besoin, des’installer à l’étranger,
– des personnes morales qui ont une surface économique et financière internationale (multinationales, filiales à l’étranger…),
– des personnes morales et physiques qui, quelle que soit leur activité, utilisent, légalement ou non,
les différences existant entre les législations (notamment fiscales), pour réduire leur niveau globald’imposition.
De leur côté, les bases immobiles sont principalement constituées de l’immense majorité :
– des salariés,
– des retraités,
– des indépendants,
– et des petites et moyennes entreprises.
La fiscalité à l’épreuve des expatriations et de la mobilité
Potentiellement, tout système fiscal est concerné par la mobilité de sa base fiscale. Mais certains impôts demeurent toutefois plus concernés que d’autres :
– l’imposition du patrimoine dont l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et les droits d’enregistrement (succession, donation…) : l’assiette de l’ISF est majoritairement constituée de valeurs mobilières et de liquidités, aisément délocalisables, en théorie. Mais surtout, les redevables de l’ISF (qui sont aussi en théorie et par extension, également redevables des droits de succession voire de donation) font partie des « bases mobiles », leurs possibilités de se déplacer
est plus grande que pour un salarié « moyen »,
– l’impôt sur le revenu : pour les mêmes raisons que ci-dessus, certains contribuables aisés peuvent se mouvoir aisément,
– l’impôt sur les sociétés ; une société dont la surface est internationale est davantage en capacité de déplacer certaines de ses activités qu’une petite entreprise dont l’activité est purement nationale.
II – Le cas très particulier de l’impôt de solidarité sur la fortune
Depuis 2011 et la réforme du gouvernement Fillon, l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) est dû par les personnes physiques dont le patrimoine net (le patrimoine global diminué des exonérations, partielles ou totales, des abattements et des dettes) est supérieur à 1,3 million euros. Auparavant, le seuil ’entrée était moins élevé (il était actualisé et s’élevait avant la réforme de juin 2011 à 800 000 euros).
On rappellera pour mémoire l’évolution du nombre de redevables à l’ISF.

 

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