Les appels à la haine de Dieudonné ne relèvent pas de la liberté d’expression

dieudo_reviso_luzCharlie Hebdo, Dieudonné, jusqu’où va la liberté d’expression ?
par Yacine Sahnoune mercredi 14 janvier 2015 17:37, mis à jour le mercredi 14 janvier 2015 à 18h45

Le polémiste Dieudonné est régulièrement poursuivi pour des propos tenus publiquement
Qui n’a pas été choqué par les propos d’un journal, d’un humoriste ou d’une figure médiatique ? Parfois, certains d’entre eux vont très loin. Mais où se situe la ligne rouge ? Que dit la loi ?

« Je me sens Charlie Coulibaly », « Bal tragique à Colombey »… Certains usages de la liberté d’expression choquent. Si pour Me Emmanuel Pierrat, avocat au Barreau de Paris, la « liberté d’expression est un principe quasi absolu », il peut y avoir des « abus ». Et ces abus sont déterminés par la loi.

C’est le cas pour Dieudonné, qui a récemment mêlé « Charlie » au nom de l’auteur de la prise d’otages Porte de Vincennes vendredi dernier. Il est poursuivi pour « apologie du terrorisme », selon la Loi Anti-Terroriste voulue par le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve. C’est jusqu’à cinq à sept ans de prison si ces propos sont tenus sur Internet.
Le bon grain et l’ivraie
Le droit français fixe en fait deux grandes « familles » d’abus : il y a la diffamation ou l’injure, et puis il y a les paroles ou écrits qui appellent à la haine. Parmi eux : l’apologie de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre, les propos racistes et antisémités ou les propos homophobes.

A charge pour les juges de « faire le tri entre le bon grain et l’ivraie. De savoir si, oui ou non, celui qui se présentait comme humoriste hier n’a pas des propos qui relèvent de l’abus et non plus du droit à l’humour », explique Me Emmanuel Pierrat. Du coup, la dimension d’appel à la haine est fondamentale dans l’appréciation des juges. Emmanuel Pirat fait une différence entre les « abus » de Charlie Hebdo et ceux du polémiste Dieudonné.

« Lorsque le procès a eu lieu pour les caricatures de Mahomet, les juges n’ont pas une seule seconde soupçonné Charlie Hebdo de haine. Quand Dieudonné est poursuivi en justice, il a contre sa charge tout ce qui s’est passé entre le moment où il est passé d’humoriste à une sorte de politicien, de pamphlétaire, ainsi que les nombreux dérapages et poursuites judiciaires dont il a fait l’objet. » (Me Emmanuel Pierrat)

Pour Me Emmanuel Pierrat, dans le cas de Dieudonné, « on n’est plus dans l’humour mais dans quelque chose à prendre au premier degré ».

Me Emmanuel Pierrat, avocat au Barreau de Paris, spécialiste de la liberté d’expression

Même constat pour Me Christophe Bigot. Il est avocat au Barreau de Paris, spécialiste du droit des médias. Selon lui, « le droit français ne protège que les personnes » et non « les croyances, la foi ou les figures spirituelles ». Les caricatures de Mahomet publiées par Charlie Hebdo sont donc permises par le droit français.

Me Christophe Bigot, avocat au Barreau de Paris, spécialiste du droit des médias

Au-delà des abus de liberté d’expression, il faut voir le but recherché. C’est en fonction de ce but qu’on fait la loi. Et ce but, « c’est d’éviter d’exacerber les tensions sociales, raciales en France », souligne Eric Fassin, sociologue et professeur à l’université Paris VIII. « Il ne faut donc pas déroger à la règle lorsqu’il s’agit de Dieudonné ».
« Il ne faut pas constituer Dieudonné en exception » Eric Fassin, sociologue

Poids lourds du Net

La plupart de ces abus se diffusent largement sur Internet. Un terrain où il est facile de détecter, mais compliqué de condamner. Comme les poids lourds du web (Facebook, Twitter, YouTube) traitent beaucoup de données, il faut un laps de temps pour retirer les publications. Cela laisse le temps aux messages de se propager. Et comme ces géants sont américains, les lois ne sont pas harmonisées avec la législation française ou européenne. Il n’est pas tout le temps possible de trouver un accord sur le retrait d’une publication.

Les Etats-Unis sont, par tradition, plus « libéraux » dans leur approche de la liberté d’expression. Selon Me Emmanuel Pierrat : « les chaînes de télévision censurent les mots un peu vulgaires », mais « Paradoxalement, on peut aussi dans ce pays défiler avec le KKK ou des croix gammées en brassard au nom de la liberté d’expression ».
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