Les Antilles mal préparées au « Big-One »

— Par Marie-Christine Tabet,

 

>Les rapports sur le risque sismique ne manquent pas. Sans véritable suivi pour l’instant. Enquête et reportage à la Guadeloupe.

« Et si ça nous arrivait à nous? » Depuis le 12 janvier dernier, la question taraude les Antillais. Et pour cause. Ce jour-là, à moins de 1.200 kilomètres de l’archipel français, un tremblement de terre de magnitude 7 à 7,3 a fait plus de 250.000 victimes en Haïti. Or les sismologues sont certains qu’un « Big One », du type de celui qui a terrassé Port-au-Prince et ses environs, surgira un jour des entrailles de la terre dans l’un des deux départements antillais d’outre-mer. Et puis le séisme « historique » qui a frappé la Guadeloupe en 1843, faisant plusieurs milliers de morts, n’a-t-il pas frappé un an après que plusieurs villes haïtiennes ont été détruites?

En Guadeloupe, où le risque d’un séisme majeur est le plus fort, un tel scénario catastrophe aurait de terribles conséquences. L’aéroport serait en partie impraticable, les gros porteurs ne pouvant plus atterrir. Un tiers de la piste, posée sur un terrain « liquéfiable », deviendrait instable… Le centre hospitalier universitaire de Pointe-à-Pitre ne résisterait pas. Quant au parc HLM, que les bailleurs ont fait expertiser et qui n’est plus aux normes parasismiques, plus du tiers de ses 30.000 logements sont jugés dans un état de vulnérabilité « forte, à très forte ». En Martinique, l’état des lieux n’est guère plus rassurant. Le centre opérationnel départemental de Fort-de-France, cœur névralgique de l’organisation des secours en cas de crise, n’est même pas assuré de rester debout.

Cette situation est jugée suffisamment préoccupante pour que la Cour des comptes ait discrètement envoyé un de ses magistrats dans les Caraïbes en février dernier. Ses conclusions, pour l’instant confidentielles, devraient constituer un des morceaux de choix du prochain rapport annuel de la juridiction. Car malgré un plan séisme Antilles ambitieux, annoncé en fanfare en janvier 2007 par Nelly Olin, la ministre de l’Ecologie de l’époque, le chantier n’avance pas vite. Le gouvernement Villepin avait décidé de consacrer 5 milliards d’euros pendant 20 ans pour sécuriser l’habitat en renforçant ce qui peut l’être et en détruisant le reste. Soit un investissement moyen de 250 millions d’euros par an! Un engagement que Nicolas Sarkozy, en visite en Martinique en février dernier, a renouvelé.
Moins de 100 millions de crédits

Quelques réalisations de qualité ont, certes, vu le jour, comme l’hôtel de police de Pointe-à-Pitre ou le centre de secours des pompiers du Robert, en Martinique. Le plan national de rénovation urbaine a aussi permis la démolition et la reconstruction de plusieurs milliers de logements dans le respect des normes parasismiques. Mais trois ans après le démarrage du plan séisme, on reste très loin du compte… Moins de 100 millions de crédits ont été effectivement « engagés » depuis 2007. Et encore… En langage administratif, cela signifie que la décision de financer tel ou tel projet a bien été prise mais que celle-ci ne garantit aucunement que les travaux ont effectivement commencé. Un comble alors que la tâche est titanesque. « C’est un retard criminel, confie un fonctionnaire. On sait qu’un tremblement de terre peut survenir d’une minute à l’autre. Le retard se paiera en milliers de vies humaines. »

Depuis le drame haïtien, en janvier, l’Elysée a pris conscience que la machine était grippée. Olivier Biancarelli, conseiller politique du président en charge de l’Outre-Mer, a ainsi reçu la consigne de surveiller le dossier de « l’aléa sismique » comme le lait sur le feu. Un dossier sensible qui recèle tous les maux de la difficile relation entre l’Etat central et ses lointains départements : absence d’autonomie financière de collectivités trop pauvres pour prendre en main leur avenir, manquements d’un Etat trop endetté pour rattraper avec un gros chèque les erreurs du passé… D’autant que, chaque mois, il faut honorer la facture sociale de départements plombés par le chômage. Au quotidien, Guadeloupéens et Martiniquais restent plus préoccupés par les prix qui ne baissent toujours pas dans les supermarchés que par le tremblement de terre.

Le préfet de Guadeloupe peste: « Il n’y a pas assez d’argent et les chantiers sont multiples, de l’assainissement des eaux au traitement des déchets en passant par le risque sismique, le cyclone, le tsunami… L’Etat ne peut pas mettre des milliards dans un domaine et oublier les autres », explique Michel Fabre en signalant que son propre bureau est vulnérable. Construit dans les années 1930 à Basse-Terre, l’ancien palais du gouverneur, qui abrite la préfecture et sa cellule de crise (le centre opérationnel départemental), ne répond pas aux normes parasismiques!

Marie-Christine Tabet, envoyée spéciale à Pointe-à-Pitre – Le Journal du Dimanche

Dimanche 06 Juin 2010 JDD