Les Affaires : une présomption générale d’irresponsabilité ne grandirait pas les Martiniquais.

— Par Yves-Léopold Monthieux —

Les suites données aux consultations populaires de janvier 2010 ont démontré qu’il n’est pas besoin d’obtenir l’accord du peuple pour modifier le parchemin institutionnel. Il suffit que le pouvoir le veuille, et que la presse et les juges se taisent. Les électeurs martiniquais avaient nettement exprimé leur attachement au département, c’était l’échec des élus évolutionnistes à convaincre le peuple. Nicolas Sarkozy est passé outre la volonté exprimée par les électeurs : le département a été supprimé.

S’affranchir des rigueurs du pouvoir régalien

Plus généralement, l’expérience des 20 dernières années prouve que le statut d’une collectivité peut changer de fait lorsque l’Etat renonce à exercer quelques-uns de ses pouvoirs. L’Etat a en effet compris que contrairement aux déclarations destinées à enfumer les Martiniquais («  la France conservera toujours le pouvoir régalien »), le véritable objectif des évolutionnistes est de s’affranchir des obligations envers ce pouvoir régalien. Le contrôle des actes administratifs des collectivités locales est l’une des prérogatives de l’Etat. Aussi, pour avoir renoncé à deux reprises à remplir cette mission, l’Etat s’est retrouvé complice des actes reprochés à l’ancien président de feue la Région Martinique.

En 2013 – 2014, le préfet d’alors m’exprimait son désaccord quant à mes réserves sur la réalité de ce contrôle. Peut-être avait-il lu ma tribune « Le leurre du pouvoir régalien » et d’autres écrits qui traduisent ma conviction que depuis une vingtaine d’années déjà la Martinique n’était plus gérée comme les autres départements. « Vous verrez, ajoutait-il, que l’affaire en cours ira à son terme ». Il s’agissait de l’affaire dite du Green Parrot. On voit que celle-ci s’évanouit aujourd’hui dans les placards de la justice.

Une atmosphère politique du laisser-faire

« C’est triste ». Ce fut ma seule réaction en apprenant le renvoi de l’affaire. Je ne faisais pas allusion aux personnes, n’étant pas par exemple convaincu d’un manque de probité de la part de l’ex-président de région. Je pensais à la Martinique. Le report aux calendes grecques de l’affaire éviterait de régler en droit le problème en même temps qu’il dispenserait l’Etat de se voir rappeler ses propres torts. La justice participerait ainsi de cette atmosphère politique du laisser-faire. Aussi, les atermoiements judiciaires ou administratifs observés dans les affaires en cours semblent accréditer l’idée que le pouvoir aurait décidé de laisser les Martiniquais régler leurs affaires entre eux. En effet, la justice semble naviguer à vue, attentive à échapper à l’accusation de « justice coloniale ». Sans préjuger de la culpabilité des uns et des autres, ces décisions de renvois ressemblent à des non décisions. En effet, on a rarement vu dans le milieu judiciaire une charge aussi forte que celle portée contre le Parquet de la Martinique par son homologue parisien. Songeons que tous ces magistrats ont été formés à la même école. Outre la proclamation d’incompétence de ses confrères martiniquais, le procureur de la république de Paris aurait confié hors audience son étonnement que les avocats martiniquais n’aient pas plaidé la relaxe de leurs clients. Drôle de confession de la part du représentant de l’Etat.

La peur du soupçon de « justice coloniale »

Ainsi, la justice serait prête à prononcer la fin des poursuites, si elle leur était demandée. Cette unanimité de l’accusation et de la défense rappelle une autre unanimité exprimée en un mot – « apaisement » – dans l’affaire qui secoue l’université des Antilles (UA). Là encore, on a rarement vu l’avocat d’une institution publique, à vocation éducative de surcroît, se rapprocher de ceux qui sont accusés de la déshonorer. Dans les deux cas, le rapprochement des plaideurs peut donner le sentiment que la justice se retire du jeu et se conforme ainsi à ce qui ressemble à une nouvelle philosophie de l’Etat : ne pas se mêler des affaires entre Martiniquais et ne rien faire, contre eux, qui ressemble à une sanction. De là à affirmer que d’autres situations qui alimentent la rumeur demeureraient hors du champ d’intérêt de la justice, il n’y a qu’un pas.

Cette posture n’était pas absente de l’« oubli » de se réunir des membres du conseil de discipline de l’assemblée nationale où un député martiniquais avait été déféré. Une absence de quorum téléguidée tira d’affaire l’élu d’une ancienne colonie. On ne soupçonnera donc pas la France de répression coloniale. Cette condescendance s’étendrait à l’Europe, laquelle n’est pas pressée de sanctionner les manquements aux conditions de dévolution de ses aides. Ainsi, s’agissant des retards accumulés par le TCSP, les élus sont très peu inquiets d’une éventuelle demande de remboursement des fonds versés par l’Europe.

On peut s’étonner que les Martiniquais se satisfassent de ces générosités douteuses, pire, qu’ils en tirent gloriole. Notre niveau d’exigence et de dignité se serait-il à ce point affaibli ? Comment ne pas voir dans le renoncement à condamner ces actes un signe de mépris, vis-à-vis de citoyens mineurs ? Si l’ancien colonisateur veut se faire pardonner ce n’est pas en reconnaissant à l’homme public martiniquais une présomption générale d’irresponsabilité qui ne grandirait personne.

Paris, le 31 mars 2018.

Yves-Léopold Monthieux