L’éphéméride du 14 février : Guadeloupe, Martinique jours de mort les 14 février 1952 et 1974

En Guadeloupe et Martinique, le 14 février n’est pas le jour de l’amour mais le jour de la mort. En 1952, au Moule, 14 ouvriers sont blessés et 4 tués par des CRS alors qu’ils érigeaient un barrage visant à empêcher aux charrettes à cannes l’accès de l’usine Gardel. Cet évènement a pris le nom de  « Massacre de la Saint-Valentin« .

Le 14 février 1952, dans la commune du Moule en Guadeloupe, est organisée une grève par les ouvriers de l’usine Gardel pour une hausse de leurs salaires, part du mouvement revendicatif impliquant des petits planteurs et colons sur l’ensemble de l’île. Des barrages avaient été érigés par les grévistes sur le piquet de grève. Les forces de maintien de l’ordre sur place tirèrent sur la foule, le bilan est de 4 morts et 14 blessés. Ces événements sont connus à la Guadeloupe sous le nom de massacre de la Saint-Valentin.
Origine du mouvement
Le mouvement a commencé en novembre 1951 dans le nord Grande-Terre. Les revendications concernent alors la rémunération de la journée de travail et l’allègement des tâches sur les champs des békés. Les grévistes demandent que leurs salaires soient similaires à ceux des Français. Ils évoquent la loi du 19 mars 1946 qui faisait des colonies des Antilles des départements français. Puis les revendications s’étendent à une augmentation du prix de la tonne de la canne à sucre.

Au début de l’année 1952, les grévistes reçoivent le soutien des fonctionnaires qui réclament la revalorisation de leurs salaires. Un appel à la grève générale est lancé sur l’ensemble de la Guadeloupe. L’ensemble des sites de production de la canne sont touchés : Petit-Bourg, Capesterre, Comté, Beauport, Bonne Mère, etc.

Massacre

Le 11 février, les CRS prennent position dans la commune de Moule, qui accueille à l’époque, plusieurs usines de sucre et de distilleries de rhum et le seul port de la côte atlantique. Le 14 février 1952, les grévistes érigent un barrage à l’entrée du boulevard Rougé pour empêcher l’accès de l’usine Gardel aux charrettes de cannes à sucre2.

La tension monte et les gendarmes et CRS tirent sur la foule. Le communiqué officiel de l’époque publié par le ministère de l’intérieur dans la presse métropolitaine 4 jours plus tard parle de légitime défense après que les forces de l’ordre aient reçu « des coups de feu blessant un officier et plusieurs gendarmes et C.R.S (…) et des bombes incendiaires » .

Quatre Guadeloupéens sont tués : Constance Dulac, Capitolin Justinien, François Serdot et Édouard Dernon. 14 autres personnes sont blessées. Certaines victimes n’avaient pas de liens avec les manifestants.

Mémoire
Chaque année des manifestations commémoratives sont organisées le 14 février par des organisations politiques et syndicales de la Guadeloupe. Une stèle est érigée devant le cimetière du Moule. Un odonyme local (Rue du 14-Février-1952) rappelle ces événements.

Notes et références
« 14 février 1952: une grève en Guadeloupe réprimée dans le sang, France24.com, 14 février 2009 »(Archive • Wikiwix • Archive.is • Google • Que faire ?)
Le petit lexique colonial [archive]
« Trois morts, neuf blessés graves » [archive] (consulté le 16 septembre 2016)
« Les précédentes émeutes en Guadeloupe (1952 et 1967) » [archive], sur Le Nouvel Observateur

Source : Wikipedia

Illustration : extrait d’une œuvre de Claude Cauquil

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Le 14 février 1974 en Martinique, dans une effervescence sociale exacerbée, deux ouvriers du secteur des bananeraies, qui revendiquaient des augmentations de salaires, sont tués sur le plateau de Chalvet à Basse-Pointe.

Au commencement était la grève. Et la suite, une chanson appelant à se souvenir d’un jour funeste. Portée par le timbre du chanteur martiniquais Kolo Barst, une composition d’un titre à succès de cette histoire sur la grève des ouvriers des plantations de bananes de février 1974 prend sa place dans la liste des révoltes et luttes sociales dans le répertoire folklorique de la Martinique. S’inspirant de cet événement politique et de ces grèves, avec Févriyé 74, Kolo Barst met sa popularité au service des luttes. Et comme pour les esclaves d’antan, qui trimaient en chantant, les forçats d’aujourd’hui continuent de résister et leurs histoires sont mises en chanson.

« Manmay manmay kouté, kouté sa qui pasé / Sété an févriyé, févriyé 74…» (Écoutez, écoutez ce qui s’est passé / C’était en février, en février 74.)

Dès les années 1960, en Martinique, la crise sévit dans le secteur agricole. Plus particulièrement touchée, la filière de la canne à sucre voit fermer les unes après les autres ses usines. En 1962, le nombre de sucreries en Martinique passe de douze à deux en 1974. Sur soixante-deux rhumeries en 1962, on n’en dénombre plus que vingt en 1974. C’est la débâcle qui voit le nombre de chômeurs s’allonger sans cesse. Petit à petit, la canne est arrachée pour laisser place à la banane.

« Adan chan zannanna, tou pré komin’ Basse-Pointe / Asou bitation Chalvet, tè bétché ni pou ta yo/ Ouvriyé agrikol, té ka manifèsté…» (Dans les champs d’ananas, à proximité de la commune de Basse-Pointe / Sur l’habitation Chalvet, propriété des békés / Les ouvriers agricoles de la banane manifestaient.)

Dans un climat marqué par la précarité, les ouvriers agricoles exécutent les souhaits de leurs patrons. Sans règles ni durée horaire de travail. Ils travaillent sans sécurité ni hygiène, en baignant à longueur de journée dans les produits toxiques. Et cela pour des salaires de misère.

« Pou bétché té ogmanté, lè jounen bannan’la / Maléré bien organizé, té ka rivanditjé…» (Réclamant une augmentation de salaire / Les malheureux bien organisés, revendiquaient.)

En février 1974, le pays est paralysé par les grèves. C’est en vain que les ouvriers réclament des augmentations de salaires. Même épaulés par les employés du secteur public, qui eux aussi voulaient faire entendre leurs voix. La situation ne faisait qu’empirer. Comme de l’huile sur le feu, les grèves et manifestations s’étendaient à d’autres communes : Rivière-Pilote, Gros-Morne, Robert…

« Déjà 3 jou yo ka lité, négosiasion blotjé / Nèg di sa pé pa diré, fok yo ni sa yo lé / Genyen sa yo mérité, jiska lité san rété… » (Déjà trois jours de lutte, les négociations bloquées / Les Nègres voulaient en finir, obtenir ce qu’ils réclamaient / Gagner ce qu’ils avaient mérité, prêts à aller au bout de leur combat.)

Le 13 février, une proposition est faite par les patrons. Ils proposent aux ouvriers de la banane 32 francs au lieu des 35,46 francs réclamés. Mais cela ne suffit pas aux ouvriers qui décident de continuer à se battre. Ils passent alors d’habitation en habitation pour expliquer la nécessité de tenir.

Vérité pété tèt kolon ki préféré rété séré / épi olié yo négosié, yo criyé polisié / Polisié ki fèt épi nèg, katjilé avan alé… (Face à cela les colons ont préféré se cacher / Et loin de négocier, ils ont fait appel aux policiers / Les policiers, frères des Nègres, ont hésité.)

Les policiers appelés en renfort peinent à maintenir l’ordre. Aux jets de pierres, ils répliquent à coups de gaz lacrymogène.

« Alo pou ranplasé yo vwéyé mitrayèt / Mitrayèt ki pa ni tjè, aksèpté mision-a / Pli nèg té ka vansé, pli bal réyèl ka tiré… » (Ils ont alors été remplacés par des gendarmes / Les gendarmes, sans cœur, ont accepté la mission / Plus les nègres avançaient, plus les balles sifflaient.)

La situation est très tendue. Et c’est dans ce contexte que se produit le drame du 14 février. Face à tous les foyers de protestation, le préfet prend une décision qui sera lourde de conséquences en décidant de mettre un terme à la révolte ouvrière.

« Ouvriyé pran kouri séré, bal réyèl kontinué tiré / Deux kanmarad tonbé, Ilmany épi Marie-Louise / Ilmany tonbé Chalvet, Marie-Louise tonbé apré… » (Les ouvriers se mirent à l’abri, les balles continuaient de pleuvoir / Deux camarades s’écroulèrent, Ilmany et Marie-Louise / Ilmany tué à Chalvet, Marie-Louise ailleurs.)

Sur la route de Basse-Pointe, sur l’habitation Chalvet, les ouvriers sont attaqués par plus de deux cents gendarmes et un hélicoptère. Ceux-ci les encerclent et leur tirent dessus.

« Sété an févriyé, févriyé 74 / Marie-Louise tonbé Lorrain, yo mennen-y lakapot’ / Sété an févriyé / Févriyé 74… » (C’était en février, en février 74 / Marie-Louise tué au Lorrain, son corps fut transporté au Morne-Capot / C’était en février, en février 74.)

Au cours de la fusillade, on relève de nombreux blessés. Un jeune ouvrier agricole a eu moins de chance. Il est mort. Il s’appelait Ilmany Sérier, dit Renor. Un deuxième cadavre, Georges Marie-Louise, ouvrier maçon de 19 ans, est découvert plus tard sur une plage de Basse-Pointe, à proximité de Chalvet.

« Manmay manmay kouté, kouté sa ki pasé / An févriyé 74 yo tjwé nèg ka chaché manjé… » (Écoutez, écoutez ce qui s’est passé / En février 74, on a tué des Nègres qui cherchaient à se nourrir.)

Le texte en créole est le texte complet de la chanson de Kolo Barst.

Un rendez-vous de la mémoire ouvrière. Basse-Pointe est une petite commune rurale. Elle est campée sur des falaises vertigineuses et se trouve au bout du bout de la Martinique. Le personnage le plus illustre du lieu est Aimé Césaire, qui y est né le 26 juin 1913. L’habitation Chalvet ou habitation la Capot était au XVIIIe siècle une habitation sucrière. Elle évoque aujourd’hui pour la population martiniquaise les événements de février 1974. Visite tous les jours de 10 heures à 16 heures.

Lundi, 19 Août, 2013
Fernand Nouvet
Source L’Humanité.fr