L’enfer n’est pas forcément où on le croit

— Par Gérald Rossi —

Il n’y a pas sur le plateau une religion plus méchante que les autres… (DR)

Après « Djihad », Ismaël Saidi poursuit avec « Géhenne » sa dénonciation des délires mortifères de l’embrigadement idéologique au nom des religions.
Juste en fond de scène, rideau ouvert, par dessus un crâne et des flammes qui semblent danser, un mot en lettres géantes, le titre du nouveau spectacle de Ismaël Saidi : « Géhenne », qui signale l’enfer dans la bible, ou encore la douleur et le martyre. De quoi se douter que ce second opus du belge Ismaël Saidi, dont « Djihad » a fait un carton la saison passée, ne sera pas un bon moment au pays des gentils petits barbus.
Première confirmation, le spectacle commence par un déluge de cris, de flash et d’explosions dans la salle. Venu le moment des saluts, Saidi dit son « émotion de jouer ici » (le Palais des Glaces) alors que la folie et la haine ont tué tout près, le 13 novembre 2015. En témoigne une plaque sur la grille d’un maigre square proche de la place de la République.

La sale guerre

« Djihad » suivait avec un humour décapant le périple de trois individus « radicalisés » sur la route d’une sale guerre faite au nom de pseudo théories, détournés des dites « saintes écritures ». Dans « Géhenne » Ismaël Saidi est un des djihadistes en question. Cloué sur un fauteuil roulant, le jeune homme n’a rien perdu de sa hargne, de ses convictions bornées, de son rejet de ceux qu’il définit comme « mécréants ».
Tout d’orange vêtu, il s’imagine prisonnier. La suite démontrera que cette prison sera éternelle. Étrange enfermement d’ailleurs, qui le contraint à fréquenter un prêtre catholique (Shark Carrera), lequel n’hésite pas à tirer des plis de sa soutane un joint qu’il partage… puis à avouer malicieusement son homosexualité. L’autre personnage que le fanatique côtoie est une jeune femme (Audrey Devos) plutôt dingue, qui joue à la poupée de chiffon, mais qui surtout est juive « laïque » comme elle dit pour brouiller un peu lus les pistes; mais qui pour perpétuer « la tradition » respecte « hanouka, la fête des lumières ».
Avec humour, Saidi distribue les baffes. Et tente de ramener un peu de bon sens, d’humanisme et de bonne parole au centre du débat. Ce qui n’est pas une mince affaire. « Pendant deux ans j’ai parcouru les salles de France, de Belgique et d’ailleurs avec le premier spectacle. Nous avons voyagé dans l’esprit de trois gars qui veulent aller se battre en Syrie et qui donc à ce moment là ne sont pas encore des terroristes (…) nous revenons avec un seul homme qui a commis l’irréparable » précise-t-il.
Et c’est efficace en diable. Il n’y a pas sur le plateau une religion plus méchante que les autres, mais un univers humain déglingué. Il y a surtout un individu, rejeton de l’endoctrinement mortifère, qui avoue, la belle affaire, n’avoir jamais « parlé ni vu Dieu » ni lu la moindre « page du Coran ». Mais qui s’est comporté comme un soldat de la haine, de l’intolérance absolue, pour tenter d’imposer une barbarie totalitaire dont il ne perçoit, et encore dans la brume, que quelques dogmes qui lui ont été vendus comme des vérités vraies. « Géhenne » ne fait pas dans la dentelle. Mais vise un public sensible et fait appel à son intelligence, sa raison profonde. 110 000 spectateurs dont 65 000 adolescents ont assisté à l’épisode 1. « Plus les attentats se multipliaient, plus je sentais le besoin de plonger dans l’esprit d’un criminel » ajoute l’auteur et metteur en scène. Pour allumer des projecteurs contre l’obscurantisme.

« Géhenne », jusqu’au début juin, du mercredi au samedi à 19h30. Palais des glaces, 37 rue du Fg. du Temple Paris 10e. Tél : 01 42 02 27 17.

Source : L’Humanité.fr