« L’enclos de l’éléphant » : au piège des mots

— Par Roland Sabra —

Le texte d’ Étienne Lepage a été mis en scène plus d’une fois. C’est dire qu’il rencontre un réel intérêt parmi les gens de théâtre. Étrangeté d’un monde si proche et si lointain.

Après la lecture mise en espace par Lucette Salibur dans le cadre du Festival des Petites Formes, une partie du public dans laquelle, figuraient deux écrivains, a encensé, a couvert d’éloge le texte. Ont même été évoqués Dostoïevski, principalement, et Kafka en mode mineur. Qu’un objet renvoie à autre chose que lui-même est certes un hommage, quand on le compare à plus grand que lui, mais peut être entendu comme la mise en évidence de son manque à être par ce qu’il est intrinsèquement. De quoi est-il question dans ce texte ? Un homme Paul vient sonner à la porte d’une maison bourgeoise pour demander à être héberger le temps d’une averse. Il n’a pas de parapluie dit-il. Alexis, le médecin se laisse convaincre et le fait entrer. Paul affecté d’une diarrhée verbale, d’une incontinence langagière va saisir dans le filet tentaculaire de ses mots le pauvre Alexis et le contraindre à s’humilier. Très vite on comprend avoir à faire avec un pervers narcissique, un de ces personnages qui dans le déni de la castration ne reconnaît comme loi que celle de son propre désir et réduit tout autre au rang d’objet. Les mots sont simples, parfois d’une grande banalité, ils sont dits de telle sorte que leur destinataire n’a pas le temps de répliquer. Faux paralogismes, procès d’intention, prétéritions, raisonnement ad hominem et ad personam, sophismes sont convoqués pour saisir Alexis, qui se révèle consentant. Émerge alors une figure on ne peut plus classique et banale du couple sado-masochsiste dont on devine très vite qu’elle donnera lieu tôt ou tard à un non moins banal intervertissement des rôles. Paul fait montre d’une fascination pour le langage, pour les mots, non pas en ce qu’ils peuvent être le véhicule d’une pensée, un moyen vers un but, mais en ce qu’ils sont pour eux-mêmes. Il y a là comme une réification du langage, une addiction auto-érotique dont on oublie la cause si tant est qu’elle existe en dehors de l’acte d’écrire de l’auteur. Décalque du mot bien connu de Flaubert disant  » Madame Bovary, c’est moi » on est tenté d’entendre Lepage déclarer : « Paul/Alexis, C’est moi » !. La comparaison s’arrête là.

Il y a aussi une faiblesse qui rend difficile l’adhésion à la fable. C’est la différence de statut social entre les deux, on ne va pas dire locuteurs, tant l’un est muet et l’autre logorrhéique, protagonistes. Dans un premier temps le rapport de pouvoir est objectivement du côté d’Alexis. Le « pervers Paul, celui qui dit ne pas avoir de parapluie alors qu’il en vend en faisant du porte-à porte, est dans une situation économique et sociale inférieure vis à vis d’Alexis le médecin et rien ne vient étayer chez lui l’hypothèse d’un masochisme initial capable de s’inverser plus tard dans un positionnement sadique. On sait par ailleurs que dans le couple sado-maso celui qui mène le jeu est le masochiste. On connaît le dialogue : —M : Fais-moi mal —S : Non ! —M :Merci.

C’est par un manque de crédibilité dans l’épaisseur des personnages que pèche le texte de Paul- Étienne-Alexis Lepage.

Ce qui fût agréable ce soir là fût d’entendre la belle diction de Dominik Bernard, dont on connaissait les travaux, notamment la belle mise en scène de Congre et Homard, mais que l’on n’avait pas entendu de vive voix depuis longtemps.