L’égalité réelle en Outre-mer doit devenir la priorité de la nation

patrick_karamTRIBUNE – Patrick Karam, ancien délégué interministériel et président du Conseil représentatif des Français d’Outre-mer (CREFOM) appelle à ce que « l’égalité réelle en Outre-mer doit devenir la priorité de la nation ».

Depuis 1946, et le passage des vieilles colonies aux départements et aux collectivités d’outre-mer, l’effort collectif de la nation comme les progès en développement réalisés en outre-mer ont été importants.

Malgré cela, les retards restent encore substantiels, comme l’a dénoncé récemment la Cour des Comptes en matière de santé (retard de 23 ans à La Réunion en terme de baisse de la mortalité infantile en 2011 ; retard de 27 ans en Martinique ; de 39 ans à Mayotte !).

La situation économique et sociale demeure précaire : en 2009-2012, le PIB/habitant dans les DOM représente, en moyenne, 62 % du niveau de l’hexagone, soit 83,2 % de la région métropolitaine la plus pauvre (Picardie) en 2012. Il s’échelonne cette année-là, dans les quatre DOM « historiques », entre la moitié (Guyane) et les deux tiers (Martinique : 68,5 %) de la moyenne hexagonale et seulement 25,7 % de ce niveau à Mayotte (2011).

L’outre-mer crée des emplois, + 2,3 % par an entre 1998 et 2008, soit deux fois plus qu’en France métropolitaine, surtout dans le secteur marchand. Mais cela n’est pas suffisant pour faire diminuer le chômage qui demeure un véritable fléau. Le taux d’emploi dans les DOM est inférieur de 18 points à celui de métropole.

Ce sont, en décembre 2014, 331 800 chômeurs dans les quatre DOM « historiques » (+ 100 000 depuis avril 2009), qui représentent 5,3 % du total des 6,29 millions de demandeurs d’emploi recensés en France. En comptant les COM et Mayotte, on peut évaluer le nombre de chômeurs outre-mer à près de 410 000 fin 2014.

Dans chaque département d’outre-mer, plus d’un actif sur cinq est au chômage, avec un record à La Réunion (29 %).

Les taux de chômage des jeunes (enquête emploi 2013) se situent entre 37,4% à Mayotte, 60,6% à La Réunion et 68,2 % en Martinique, contre 24,6% dans l’hexagone, alors que l’apprentissage reste insuffisamment développé outre-mer (8 644 apprentis dans les DOM, soit 2,1 % du total national en 2013).

Le chômage de longue durée représente 53,9 % des demandeurs d’emploi dans les DOM, contre 42,8 % en métropole ; enfin, les quatre DOM « historiques » concentrent 6,7 % du total des chômeurs inscrits depuis plus d’un an, pour 2,9 % de la population.

Le taux de pauvreté est entre trois et quatre fois plus élevés que dans l’hexagone : il s’établit par exemple à 42 % en 2010 à La Réunion, à comparer avec le taux de pauvreté en Seine-Saint-Denis: 24,8 % en 2011.

Dans ce contexte de forte pauvreté résiduelle en dépit de l’alignement social (sauf dans les COM, notamment au niveau des SMIC), les cinq DOM représentaient, fin 2012, 8,6 % du total national des allocataires de minima sociaux pour 3,2 % de la population.
Le fantasme de territoires assistés

La réponse des politiques publiques, en termes de rattrapage budgétaire, n’est pas à la hauteur de ces enjeux. On est loin des fantasmes de territoires assistés, vivant au crochet de la République.

On constate un double phénomène:

La dépense publique augmente plus vite que les populations de collectivités en pleine transition démographique, comme en Martinique. Il en résulte un rattrapage progressif, vers le haut, des niveaux français de dépenses par habitant.

Mais s’agissant des territoires ultramarins les plus peuplés, hors périodes de récession, les transferts publics voient leur poids moyen diminuer en termes relatifs (dépenses / PIB) voire absolus, comme à La Réunion, le DCOM le plus peuplé. Cette tendance, si elle se poursuivait, aurait pour conséquence une substantielle diminution de la consommation des ménages et des carnets de commande des entreprises, puis une récession économique et une chute sévère des niveaux de vie.

En exécution, et hors dépense fiscale, les dépenses budgétaires brutes en direction des Outre-mer représentent 14,3 Mds d’euros, soit seulement 0,67% du PIB français (2013). La part de l’Outre-mer dans le total des dépenses brutes du budget général est d’ailleurs inférieure à son poids démographique: 3,79 % contre 4,04 % en 2013.

Et si on retranche les recettes de l’État (près de 2 Mds. € de recettes fiscales), les dépenses nettes de l’État au profit des outre-mer tournent autour de 12 Mds d’euros.

Cette sous-évaluation est confirmée en comparant les dépenses budgétaires par habitant avec les standards métropolitains : en 2013, le retard atteint 7,7% dans l’ensemble des outre-mer, avec des situations contrastées : il dépasse 22 % en moyenne dans les COM, autonomes, et demeure proche de 4 % dans les DOM avec de fortes disparités (dépenses/hab. supérieures de 2 % au niveau métropolitain en Martinique, où la population diminue ; encore inférieures de 38 % à Mayotte) ;

Enfin, si les dépenses fiscales en faveur des DCOM (relevant de la mission Outre-mer : 3,9 Mds. €) ont augmenté de 43,3 % entre 2007 et 2015 (France entière : + 34,9 %), avec 4,7 % du total des dépenses fiscales nationales (PLF 2015), elles représentent une proportion infine comparable à celle correspondant au poids démographique des Outre-mer. Il en est de même pour les exonérations de charges de Sécurité sociale (1,04 Md. € en 2013), avec 3,5 % du total national en moyenne sur la période 2007-2013.
L’égalité réelle doit désormais être au cœur des politiques publiques

Avec l’appui constant de la nation, l’outre-mer français dispose aujourd’hui d’atouts et de compétences reconnus, sur lesquels doit se fonder son développement.

Il faut pour cela remédier aux inégalités et aux disparités qui demeurent durablement et génèrent des retards dans le développement économique qui, dans une logique de solidarité nationale, ont vocation à être comblés.

crefomC’est le combat que le Conseil représentatif des français d’outre-mer (CREFOM), que je préside, mène pour l’égalité économique réelle dans les territoires ultramarins.

Cette mobilisation doit entraîner la mise en œuvre de mesures spécifiques et ciblées, ce que reconnaissent l’article 349 de l’union européenne et l’article 73 de la constitution.

Le Conseil constitutionnel admet aussi que le principe d’égalité commande, dans certains domaines, des modulations en fonction de certaines caractéristiques. Il considère que: « le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l’objet de la loi qui l’établit ».

Ce  » standard  » jurisprudentiel rappelle celui utilisé par d’autres cours constitutionnelles, en Europe et en Amérique du Nord, ou par des cours supranationales comme la Cour européenne de justice et la Cour européenne des droits de l’homme.

Toutes insistent sur le fait que la différenciation doit être fondée sur un critère objectif, raisonnable,  » pertinent  » au regard du but poursuivi.

Il en va notamment ainsi des mesures d’aides ou d’incitations en matière économique, éducative, de santé ou d’aménagement du territoire, fondées sur la nécessité de compenser un handicap individuel, social ou géographique

La situation des territoires français d’Outre-mer est un élément objectif qui permet des réponses adaptées.

Après l’égalité civique liée à la fin de l’esclavage en 1848, l’égalité politique avec le passage de colonies en départements et collectivités d’outre-mer en 1946, l’égalité sociale avec l’alignement des prestations sociales, l’égalité réelle au niveau économique et social entre les outre-mer et l’hexagone reste la dernière des avancées à atteindre.

Cette aspiration légitime des ultramarins à être dans l’égalité économique et dans l’égalité des chances et d’avoir les mêmes perspectives que les citoyens de l’Hexagone, en une seule génération tout au plus, suppose, pour être satisfaite, d’adopter une méthode comme l’a accepté le Président de la République au diner du CREFOM le 26 novembre 2014.

Une méthode qui consiste tout d’abord à fixer dans une première loi une méthode et une obligation de résultat à la charge de l’Etat, mesurée régulièrement par une autorité indépendante, puis dans une deuxième loi d’élaborer et de fixer des objectifs dans le temps, en concertation avec les élus et les acteurs économiques et sociaux de chaque territoire concerné.

En effet, décréter l’égalité réelle entre les outre-mer et l’hexagone depuis Paris serait purement illusoire. Il convient nécessairement de partir des territoires avec les constats qui y sont faits et des handicaps ou retards spécifiques à combler mais également de la diversité des statuts et compétences de chacune des collectivités d’outre-mer.

Il s’agit de définir les domaines (économiques, sociaux, éducatif et de formation, sanitaire et de santé, d’infrastructure, de logement, etc.) dans lesquels une amélioration de la convergence avec le standard hexagonal est nécessaire, les moyens et les délais pour y parvenir,

Cette méthode ne peut naturellement qu’être pluriannuelle avec des rythmes éventuellement différents selon les territoires.

Une programmation dans le temps des moyens à mettre en œuvre est nécessaire mais celle-ci ne doit pouvoir être remise en cause au gré des alternances. C’est la raison pour laquelle cet objectif de l’égalité réelle outre-mer , de ce qu’il recouvre, territoire par territoire et des moyens qu’il nécessite doivent être un élément d’unité et de consensus entre les différents partis politique de Gouvernement.

Enfin, cette méthode est celle de l’évaluation régulière, tous les deux ans, de l’avancement de la réalisation des différentes étapes vers l’égalité réelle par une autorité indépendante du Gouvernement avec des plans de rattrapage en cas de retard constaté et un droit opposable ouvert aux représentants des collectivités concernées, au terme de ce plan, leur attribuant le pouvoir de faire constater juridiquement le non respect et de le faire sanctionner.

Le 9 mai en Guadeloupe, devant tous les élus et le président du conseil régional, l’ancien ministre Victorin Lurel, le Président de la République, qui s’y est engagé devant le CREFOM, doit annoncer que la loi fixant objectif, méthode et obligation de résultat, sera présentée au parlement par le gouvernement après avoir été configurée par un parlementaire en mission, membre du CREFOM. Après près de sept décennies, l’Outre-Mer ne peut plus attendre. Cette exigence d’égalité réelle, la France la doit à l’Outre-Mer. C’est aussi son intérêt. Il ne saurait y avoir de territoires durablement délaissés. On ne peut plus accepter au XXIème siècle une situation d’inégalité collective qui différencie, discrimine et condamne selon que l’on nait en outre-mer ou dans l’hexagone.

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dimanche 10 mai 2015