« Le travail colonial », sous la direction de Eric Guerassimoff et Issiaka Mandé

Engagés et autres mains-d’œuvre migrantes dans les empires 1850-1950

L’histoire du travail colonial s’est développée vigoureusement dans les pays du Sud depuis la fin du XXe siècle. Elle replace au centre la figure du colonisé, non seulement comme victime, mais aussi comme agent à part entière des sociétés coloniales. C’est dans cette dernière perspective que les contributions réunies dans le présent volume veulent s’inscrire. Ces études soulignent spécialement l’expérience de l’engagisme, la forme dominante entre 1850 et 1950 de ces relations de travail, examinent avec attention les moyens déployés par les engagés pour s’adapter à la coercition, ou bien y résister, et parfois, tourner les circonstances à leur avantage, dans les espaces coloniaux diversifiés (Antilles, océan Indien, Asie, Pacifique). Situées au carrefour de la recherche récente en histoire des migrations internationales au Sud et en histoire globale du travail, ces études ambitionnent de préciser le rôle joué par les institutions, les employeurs et l’intervention des migrants eux-mêmes dans la constitution des marchés coloniaux du travail.

Eric Guerassimoff, historien, professeur de civilisation chinoise contemporaine au sein de l’UFR Langues et Civilisations de l’Asie Orientale (LCAO) de l’université Paris-Diderot, est membre du Cessma (UMR 245 IRD/UPD). Ses recherches portent sur l’histoire moderne et contemporaine de l’émigration chinoise.

Issiaka Mandé, historien, professeur au département de science politique de l’Uqam (Montréal, Canada) est membre du Cirdis et du Cessma (UMR 245 IRD/UPD). Il s’intéresse à l’histoire socio-économique de l’Afrique contemporaine.

Format : 16 X 24

ISBN : 978-2-36013-408-3
26,00€

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« Le travail colonial » d’Éric Guerassimoff et Issiaka Mandé

Pascal Blanchard

Pascal Blanchard, historien et codirecteur du Groupe de recherche Achac introduit le nouvel ouvrage codirigé par Éric Guerassimoff, historien, membre du laboratoire Sociétés en développement dans l’espace et le temps (SEDET) et Issiaka Mandé, politologue, professeur à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Le livre rassemble l’actualité de la recherche concernant les caractéristiques du travail dans le contexte colonial, des Antilles à l’Asie et dans l’espace géoculturel de l’océan Indien et du Pacifique. Ces études réunies, ici, ont pour objectif de préciser le rôle des institutions, des employeurs et des migrants dans la constitution « des marchés coloniaux du travail ».*

L’ouvrage d’Éric Guerassimoff et Issiaka Mandé sur Le travail colonial. Engagés et autres mains-d’oeuvre migrantes dans les empires (1850-1950) est le fruit de la conférence internationale sur l’engagisme qui a été organisée en 2011 à Maurice, à l’initiative de l’Aapravasi Ghat Trust Fund sous le titre « New Perspectives on Indentured Labour from 1825 to 1925 ». Si celle-ci a regroupé dans une dizaine de sessions des spécialistes d’horizons très différents et d’aires géographiques multiples allant de l’océan Indien aux Antilles (deux espaces qui ont connu l’engagisme), en passant par des pays européens, la Chine et l’Inde, l’ouvrage regroupe néanmoins une majorité de chercheurs français.

La force de ce large panel est de montrer la mondialisation (avant l’heure) de l’engagisme (comme phénomène de masse) mais aussi comme une situation transitoire majeure au lendemain du temps esclavagiste (et se superposant à celui-ci) dans la plupart des aires géographiques coloniales.

Les contributions (plus d’une quinzaine) insistent toutes, en premier lieu, sur les liens évidents entre l’engagisme et les structures de production esclavagistes, et même sur la notion de « nouvel esclavage » qui se met en place en même temps que les empires coloniaux. Cette situation ne veut surtout pas dire, comme le montrent les études rassemblées dans l’ouvrage, que les situations sociales, les process migratoires ou de production, les rapports de domination furent identiques partout, bien au contraire. Le poids du tropisme « indien » est ici largement dépassé, et la plupart des textes rassemblés montre que la rupture historiographique qui a longtemps dominé, marquant une césure entre esclavagisme et engagisme, n’a plus lieu d’être.

Cette mondialisation du travail accompagne la fin d’un système (l’engagisme se met en place avant les abolitions), préfigure les systèmes coloniaux et, dans le même temps, anticipe le phénomène des migrations postcoloniales.

En second lieu, les différentes études rassemblées dans cet ouvrage novateur sur bien des points, permettent de comprendre les motivations des engagés, les contextes sociaux, les situations démographiques et sociales sur les différentes aires géographiques, et les processus de coercition et de conflits dans cette organisation du travail par définition sur-encadrée.

C’est donc une (pré)histoire des migrations contemporaines sud-sud ou sud-nord et des enjeux de production dans une logique de répartition planifiée des forces de travail que propose ce travail collectif. Ce sujet est relativement méconnu (voire totalement inconnu par l’historiographie classique) alors que l’engagisme occupe un espace historique majeur, se superposant à l’esclavage, accompagne le mouvement abolitionniste puisque les maîtres vont « recruter » une nouvelle main-d’œuvre sous cette forme, avec des statuts relativement proches pour les forces de travail. Le recrutement est certes différent (la captation et la traite), la possibilité de « retour » change tout (comme la rémunération), mais l’effort de travail et la violence sont souvent très proches de la situation esclavagiste. En outre, l’engagisme accompagne la mise en place généralisée du travail forcé…

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