Le syndrome du [poisson-] perroquet

Par Dr Jean ROGER, GMER Etudes Marines —

poisson-perroquet

Cà y est, l’UNEP (organisme de l’ONU de protection de l’environnement), l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature) et le GCRMN (le réseau de surveillance global des récifs coralliens) viennent (enfin ?) de lancer un avertissement sérieux aux pays de la Caraïbe le 2 juillet dernier à propos de l’état de dégradation avancé de leurs récifs coralliens en se basant sur le rapport d’une étude menée sur 42 ans (1970-2012) par un groupe de 90 experts1. En effet, d’après ces derniers, les coraux de la Caraïbe pourraient avoir disparu en intégralité d’ici 20 ans si rien n’est fait à temps pour les préserver.

Pourquoi disparaissent-ils ?

La pollution côtière (rejets de produits phytosanitaires, hydrocarbures, etc.) et la surpêche sont les deux principaux responsables du déclin des récifs corallien dont 50% ont disparu depuis 1970. Beaucoup de gens pensaient jusque-là que ce déclin était principalement favorisé par le réchauffement climatique qui entraîne une acidification accrue des océans entraînant ce que l’on appelle le blanchiment (ou « bleaching ») des coraux. Ainsi, après l’évènement extrême de 2005 (avec des maxima de température des eaux à 31°C et de nombreuses tempêtes), on observa une mortalité des coraux en Guadeloupe et en Martinique allant de 30 à 50%.2 Mais le rapport d’expertise rendu ces derniers jours montre clairement que le facteur clé de la disparition des coraux n’est pas ce réchauffement climatique, ni la pollution, mais bien le 3ème candidat, à savoir la surpêche, qui concerne 2 espèces que tout le monde connait : le poisson-perroquet (appelé « chat » en créole) et l’oursin (« chadron »). En effet, ces deux espèces sont connues pour brouter littéralement les algues qui ont tendances à se développer sur les coraux, prenant la place vacante de leurs algues symbiotes3 (zooxanthelles) disparues pendant les périodes de blanchiment. Le développement des algues (non symbiotes) s’est considérablement accentué ces dernières décennies de par l’apport excessif de nutriments (provenant de l’agriculture par lessivage des sols majoritairement) sur les récifs coralliens.

Mais que pouvons-nous faire ?

Les auteurs de l’étude indiquent que les récifs protégés de la pollution côtière, de la surpêche et de toute fréquentation touristique sont naturellement mieux protégés de l’impact du changement climatique. C’est par exemple le cas à Belize ou aux Tobago Cayes (Saint-Vincent et les Grenadines) où les récifs des aires marines protégées (pêche interdite) se régénèrent beaucoup plus vite que ce n’est le cas par exemple à la Jamaïque ou encore à Antigua. Les scientifiques comme E. Fuller (spécialiste de l’environnement marin à Antigua4) regrettent que la plupart des aires de protection marine qui existent bel et bien sur le papier, ne soient pas respectées en réalité et se trouvent confrontées à la surpêche, touchant plus particulièrement les poissons-perroquet, qui sont facilement tués au harpon. De plus le braconnage d’espèces protégées est encore monnaie courante aux Antilles et participe également au déclin des récifs.

En Guadeloupe, le constat n’est pas meilleur avec environ un millier d’embarcations de pêche recensées en 20135 pour moins de 450 000 habitants permanents. A ce nombre doit bien sur être ajoutée la forte population saisonnière, qui correspondait à plus d’un million de nuitées d’hôtel pour 2013 d’après l’INSEE, toujours plus demandeuse en produits de la mer. Le Syndicat des Producteurs Aquacoles de Guadeloupe annonce un chiffre effarant sur son site internet : 37 kg de poissons et coquillages consommés chaque année par chaque habitant de Guadeloupe en moyenne !6 On est obligé d’importer du poisson tellement la demande est forte, une des plus importante du monde. L’archipel guadeloupéen se trouve alors surpéché, et les fonds s’appauvrissent à vue d’œil.

Il est donc important de limiter sa consommation de poisson avant qu’il ne soit trop tard et de ne plus toucher aux espèces protégées. Le rapport alarmant sur la disparition des récifs d’ici 20 ans et le rôle clé que peuvent jouer le poisson-perroquet et l’oursin doit obliger les autorités à prendre des décisions drastiques rapidement et les citoyens à agir en faveur du respect des récifs et de leurs habitants. Nous rappelons ici que les oursins blancs ne peuvent être pêchés qu’entre le 15 décembre et le 15 janvier par les amateurs qui les consommeront sur place ou par les professionnels qui devront obtenir une autorisation de pêche et de vente.

Pourquoi les protéger ?

Les récifs coralliens sont des réservoirs de biodiversité. Dans les Caraïbes ils représentent à eux seuls 9% de la superficie des mers et océans peuplée par les coraux. En détruisant ou laissant détruire sans agir les récifs coralliens, nous accélérons la disparition des nombreuses espèces qui les peuplent, supprimant ainsi l’apport économique et donc financier lié à la pêche et au tourisme aquatique. De plus, nous détruisons un moyen de protection efficace et naturel contre les submersions marines (tsunamis, surcote de tempête, houles cycloniques) que la hausse du niveau des mers associée au réchauffement climatique risque de rendre de plus en plus fréquentes.

La mise en protection d’aires marines telles que les lagons et récifs coralliens n’est pas opposées aux activités de pêche puisqu’elle entraîne aussi un repeuplement des stocks de pêche au large7,8. On pourrait également envisager de reconvertir une partie du secteur des pêches à l’accueil et l’accompagnement des touristes dans les zones réservées.

Un très bon reportage à visionner (en anglais) sur la disparition des coraux : http://www.youtube.com/watch?v=k9aWMIexrcs

1# http://www.iucn.org/?uNewsID=16056

2# Bouchon et collègues, 2008, Revue d’Ecologie (vol. 63, n°1-2, pp. 45-65)

3# La symbiose est l’association physique et durable de 2 organismes vivants.

4# http://www.ipsnews.net/2012/05/in-antigua-fishing-brings-both-income-and-ecological-destruction/

5# Desse, 2013, Les îles de la Caraïbe : enjeux et perspectives. Ed. L’Harmattan, Paris.

6# http://www.sypagua.com/aquaculture/aquaculture-en-guadeloupe.html

7# Harrison et collègues, 2012, Current Biology (vol. 22, n°11, pp. 1023-1028)

8# http://www.alianzakanankay.org/wp-content/uploads/2012/05/Ward_et_al_2001.pdf

coraux

Le 07.07.2014,

Par Dr Jean ROGER, GMER Etudes Marines