Le spectre d’une violente crise sociale ,  se profile dans le monde, mais aussi par capillarité en Martinique et Guadeloupe.

— Par Jean-Marie Nol, économiste —

A l’échelle mondiale, l’organisation  internationale du travail (OIT) alerte sur la crise massive du chômage qui arrive dans le monde.

Dans un communiqué de presse datant du 29 avril 2020, on note que les dernières données de l’OIT sur l’impact de la pandémie COVID-19 sur le marché du travail révèlent ses effets dévastateurs sur les travailleurs de l’économie  et sur des centaines de millions d’entreprises dans le monde.

Selon l’organisation internationale du travail, la poursuite de la baisse significative du nombre d’heures travaillées dans le monde en raison du Covid 19  a pour conséquence que 1,6 milliard de travailleurs de l’économie  – soit près de la moitié de la main-d’œuvre mondiale – doivent désormais faire face au danger immédiat de voir leurs moyens de subsistance anéantis, et verser dans le chômage et la pauvreté avertit l’Organisation internationale du Travail (OIT). 

C’est dire l’amplification du chômage qui devrait intervenir bientôt et c’est une lapalissade que de dire que cette crise d’ampleur va également frapper durement la France et les DROM. 
La crise économique sans précédent provoquée par le Covid-19 est lourde de menaces pour la cohésion sociale de la France toute entière . Loin d’apaiser les difficultés financières des entreprises et les tensions budgétaires actuelles des collectivités locales , elle pourrait entraîner des confrontations  sociales extrêmement dures. 

En Martinique et Guadeloupe, l’arrêt décidé des activités non-essentielles, le climat de peur, et la fermeture des écoles ont provoqué le ralentissement brutal de toute activité économique. 
Partout aux Antilles , l’activité est en train de péricliter. Les indicateurs économiques sont désormais au rouge. 

Baisse de la consommation de 35 %, recul de l’activité jusqu’à 90 % dans certains secteurs, les Martiniquais et Guadeloupéens  se sont habitués depuis le début du confinement et de l’épidémie du coronavirus aux chiffres chocs qui décrivent l’écroulement soudain de leur économie. Mais le pire pourrait bien être encore à venir, comme le laissent entendre les dernières données de l’Insee. Elles ont révélé, vendredi , qu’au premier trimestre, après seulement presque deux mois de confinement strict, le produit intérieur brut (PIB)  avait chuté dans des proportions jamais vu jusqu’ici depuis la dernière grande crise de 2009 .

Jamais l’économie  n’avait encaissé un tel choc depuis le temps de l’amiral Robert en Martinique et du gouverneur Sorin en Guadeloupe de l’après-guerre. L’ampleur de la baisse a d’ailleurs surpris les économistes de l’Insee , qui tablaient en moyenne sur un repli de 5 %. La violence du décrochage s’explique essentiellement par la faiblesse de la demande interne: les dépenses de consommation des ménages ont chuté de 16 %, tandis que l’investissement s’est effondré de près de 22 %.

Il apparaît que parallèlement à la lutte sanitaire contre le Coronavirus se dessine une lutte économique à venir pour sauver l’économie  d’une crise d’une sévérité jamais vue.
La crise sanitaire a nécessité une réaction immédiate et massive de l’État pour le déploiement de dispositifs de soutien et d’accompagnement aux entreprises. Mais tous les observateurs s’accordent à dire que cela n’empêchera pas une récession sévère de l’économie de la Martinique et de la Guadeloupe.

A court terme se dessinent une vague colossale de faillites d’entreprises avec son corollaire d’explosion du chômage et de la pauvreté.

De plus, ne rêvons pas : l’économie des îles Antillaise ne connaîtra pas de reprise en V…. C’est à dire que dans ce cas, « les entreprises devraient retrouver rapidement leurs niveaux d’activité », après la chute brutale de l’économie que le monde vit actuellement. Ceci, notamment dans  les secteurs des biens de consommation, de la santé, des loisirs, des transports et de la construction.

Bien au contraire, le redressement sera lent et chaotique. En effet, n’oublions pas que le déconfinement sera très progressif et que, malheureusement, de nombreux secteurs d’activité demeureront durablement en récession. A commencer par le tourisme, l’hôtellerie, la restauration, l’événementiel, sans oublier le transport aérien, les transports maritimes mais aussi le commerce traditionnel ou encore l’automobile. Il est effectivement inévitable que les consommateurs mettront du temps avant de penser à acheter une nouvelle voiture, des biens de consommation de luxe, mais aussi à prendre l’avion ou à séjourner dans un hôtel. De même, avant de réinvestir massivement, les entreprises devront panser leurs plaies et reconstituer une partie de leur trésorerie, ce qui prendra du temps.

De même, selon nous, cette situation ne devrait pas s’arranger pour les collectivités locales de Martinique et Guadeloupe car je suis persuadé que la très forte érosion des ressources n’est plus seulement conjoncturelle, car après déconfinement les acteurs (entreprises et particuliers) modifieront leur comportement en matière de production et de consommation.

Bien sûr, ces collectivités iront pleurer très fort auprès de l’état pour réclamer des sous , mais je doute, vu la situation critique des finances publiques, que la réponse soit à la hauteur des espérances. Nul doute que l’état en profitera profitera pour leur imposer une cure sévère d’amaigrissement. Cela fait des décennies que leur obésité va croissant, à coup de recrutements (avec un taux d’emploi public le plus élevé de France), des rémunérations extravagantes, des dépenses parfois somptuaires, des voyages coûteux et non justifiés, des subventions et marchés alloués sur critère politique, et sans contrôle, et j’en passe et des meilleures … pour l’heure, la Cour des comptes ne voit que le haut de l’iceberg !

Les chambres consulaires craignent également que ces réductions de moyens érodent fortement la capacité d’investissement de ces collectivités, mais, en fait, leur délai actuel de règlement est en moyenne de 6 mois (et va jusqu’à 4 ou 5 ans).

Mais qui sera payé en premier ? seuls ceux qui pour diverses raisons peuvent faire pression seront sûr d’être payés à terme. Je pense que les collectivités locales n’auront bientôt pas les moyens d’intervenir de façon structurelle dans l’économie , et de toute façon  la démarche intellectuelle s’avère peine perdue. 

Seul l’État sera présent, mais pas dans une démarche « plan Marshall »; ce sera juste du saupoudrage social, jusqu’aux élections de 2022

Je crois aussi qu’il ne faut pas oublier en sus que l’économie est largement portée par les salariés protégés (administrations, banques, assurances, EDF, etc.) et qu’une proportion importante des anciens chômeurs continuera à être payés. Bien sûr, la consommation diminuera, mais surtout au détriment des entreprises (de taille significative) qui rapatrient leurs résultats ailleurs que localement…

Témoins des craintes et alertes formulées par les représentants du monde économique, les élus, parlementaires, présidents de Région et du Département, de la CTM, se sont engagés à appuyer leurs demandes auprès de l’État, conscients aussi que la reprise économique passera surtout par beaucoup plus d’argent public en provenance de l’État pour permettre la relance de la commande publique et le retour à l’équilibre budgétaire  des collectivités.
Inévitablement enfin, la question de la sur-rémunération des 40% reviendra sur le tapis.

L’avenir est plus incertain que jamais.
Un nombre considérable d’inconnues obligent à une grande modestie, en matière de projections. Par ailleurs, un éclairage spécifique paraît opportun sur un secteur cette fois ci publique qui est également au cœur de la dépression économique et financière : les collectivités locales.

En effet avec la crise du Covid 19, les finances de collectivités locales virent maintenant au rouge vif.

Globalement pour l’ensemble de la France, le confinement provoque une chute des recettes des communes, départements et régions, qui pourrait atteindre près de 5 milliards d’euros en 2020 et 2021.

Le président de l’Association des maires de France, François Baroin, dit s’attendre à« un effondrement des recettes des communes et des EPCI [établissements publics de coopération intercommunale]de l’ordre de 10 milliards d’euros ». Son homologue de Régions de France, Renaud Muselier, chiffre la perte de recettes pour les régions à « 720 millions d’euros cette année et de l’ordre de 3 à 4 milliards d’euros » en 2021.

Pour ce qui concerne les collectivités locales de Martinique et Guadeloupe, elles vont bientôt devoir livrer un combat budgétaire à notre sens perdu d’avance sans l’aide financière massive de l’état . Le combat contre le Covid-19 passera certes par une bataille sanitaire mais aussi par une bataille budgétaire. Or certaines collectivités étaient déjà en mauvaise posture financière et l’état s’en préoccupait déjà affichant un certain attentisme à tout le moins désapprobateur , car un mur de déficits et de dettes les attend à la fin de la crise sanitaire et économique et les tensions budgétaires risquent de durer plusieurs années.  En période de crise, il est important de savoir où l’on va, d’avoir une boussole. Et pourtant tous les responsables politiques de Martinique et Guadeloupe semblent bien partis pour reprendre les mêmes méthodes que celles qui leur ont permis de surmonter la baisse des dotations de l’État en période d’austérité et l’augmentation de la dette qui s’en est suivie : ouvrir les vannes budgétaires et accumuler une montagne de dettes, qu’elles soient justifiées ou non. Mais aujourd’hui, les autorités centrales depuis Paris s’inquiètent de la situation et nul doute que tout sera entrepris pour tirer le frein à main.

Pour parvenir à lutter contre la montagne de dettes héritées de 2020, «un effort budgétaire rigoureux et des dépenses publiques plus sélectives» nous attendent, a prudemment exposé François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, et d’asséner qu’il n’y aura «pas de miracle». Ni d’argent magique, pour reprendre l’expression d’Emmanuel Macron.

Mais en Martinique et Guadeloupe, l’avertissement risque de ne pas être entendu, car les Antillais, presque toutes générations confondues, ont vécu avec l’ère de la départementalisation une situation de sécurité sans précédent dans l’histoire . Il n’est donc pas étonnant que cette première expérience d’un danger concret de déclassement social comme celui du coronavirus nous pose problème. 
Après la mobilisation sanitaire, les citoyens  devront sans doute s’attendre à des sacrifices financiers et sociaux. Car les annulations ou restructurations des dettes semblent, pour l’instant, impraticables et le retour de la croissance apparaît lointain. Seul espoir pour éviter au sein de la zone Outre-mer l’austérité et les tensions politiques et sociales qui l’accompagnent, que les fonds actuels mobilisés par l’état réussissent à contenir efficacement les pertes d’emplois et les défauts d’entreprises et que les stratégies d’après-crise relancent rapidement la consommation des ménages. Mais là ce n’est qu’une supputation !

S’il est vrai qu’à ce jour bon nombre de collectivités locales connaissent  des tensions de trésorerie, il convient toutefois de traiter la situation particulière des collectivités de Guadeloupe et Martinique qui devront faire face à des pertes spécifiques de droits sur les tabacs, de taxe sur le transport public aérien et maritime, de taxe spéciale sur les consommations des carburants et d’octroi de mer. Des pertes immédiates ou décalées selon les collectivités ( région ou communes) , mais dans tous les cas inéluctables, d’ampleur et irrécouvrables car il n’existe pas de dispositif de garantie sur ces taxes. 

En comparaison, la hausse de la péréquation des dotations pour les DROM prévue dans le projet de loi de finances (PLF) 2020, n’est que de 18 millions d’euros environ. 

C’est-à-dire que si rien n’est fait, la chute de recette sera comprise entre 100 millions et 200 millions d’euros par rapport à 2019 uniquement pour les DROM . C’est là aussi une crise financière inédite avec des conséquences probables sur le versement des salaires des fonctionnaires territoriaux, du paiement des factures aux entreprises, de la disponibilité des services publics, etc… Une crise pire que celle connue et subie en 2008-2009 ! ».

L’État et les collectivités locales de Martinique et Guadeloupe n’ont plus le choix. Il faut sauver les conditions de vie sur le territoire, ce qui signifie que la priorité est d’éviter la désagrégation du tissu économique et social. Les lois du marché sont incapables d’assurer ce type de résilience. Il va falloir réinventer le système de la départementalisation . La redéfinition des enjeux locaux  nous oblige à sortir des logiques de libre concurrence fixées par la Commission européenne, qui interdisent toute élaboration d’une politique de production industrielle et agricole locale digne de ce nom . Si le pouvoir politique ne passe pas à l’acte, il se met lui-même la tête sur le billot. Le peuple ne tolèrera pas un bis repetita des incohérences politiques, administratives et sanitaires qui nourrissent l’actualité depuis deux mois.

C’est un réflexe de survie que de réagir et penser à un nouveau modèle économique et social pour la Martinique et la Guadeloupe . Dans ce contexte de crise, la dépendance économique va être enfin prise en compte par le monde de l’entreprise. Cette prise de conscience est hautement salutaire pour l’avenir.

En effet, j’ invite tous à relire Darwin : Les pays les plus forts vont prendre l’avantage, les mieux armés vont accélérer et accroître leur avance, et tous les autres péricliteront parce qu’ils n’auront pas su s’adapter au changement d’époque. 

Alors quels sont les scénarios de sortie de cette impasse sociétale ?

Avec la crise du coronavirus, les angoissés de la fin du travail pensent que l’avenir leur donnera  raison.   L’hypothèse la plus probable, c’est que le numérique, la robotique et l’intelligence artificielle vont conduire au plus large phénomène de mutation du travail que l’humanité ait jamais connu. Mais selon certains économistes , raréfaction et mutation diffèrent fondamentalement. Dans le premier cas, il faudra instaurer un revenu universel pour que les 20 % de « happy few » qui auront la chance de travailler financent le revenu des 80 % qui seront chômeurs. Dans le deuxième cas, il faudra mettre l’accent sur l’efficacité du marché du travail et la formation initiale et continue. Certes,  cela ne permettra pas de résoudre le problème du chômage de masse, qui pourrit le climat social  depuis trente ans, mais peut-être limiter l’obsolescence programmée des travailleurs Antillais.

L’histoire démontrera que ce n’est pas un discours de plus sur davantage de responsabilités locales qui va permettre de changer le logiciel, comme on dit. Il est plus que temps de se mettre à penser autrement.

Jean marie Nol économiste