« Le Secret de la chambre noire », « Lumière ! L’aventure commence »

— Par Selim Lander —

Kiyoshi Kurosawa dont on se rappelle Vers l’autre rive, peuplé de morts-vivants, film 100% japonais, a tourné Le Secret de la chambre noire en France avec une distribution franco-belge. Soit donc Stéphane, un photographe de mode célèbre, hanté par la mort de sa femme dont il se sent responsable, qui vit désormais reclus avec sa fille Marie dans un manoir décati de la banlieue parisienne. Il s’acharne à tirer des daguerréotypes grandeur nature de sa fille, exigeant d’elle des temps de pose de plus en plus long. Pour la maintenir debout immobile pendant les séances de pose interminables, il a construit une sorte d’exosquelette métallique, véritable cauchemar de prothésiste. La fille, passionnée d’horticulture, est sur le point d’être recrutée par le jardin botanique de Toulouse. Au grand dam du père…

Le manoir ou plutôt le vaste terrain sur lequel il est construit est convoité par un promoteur immobilier, prêt à tout pour l’acquérir. Il sera aidé par Jean, le nouvel assistant de Stéphane, alléché par la perspective d’une (très) grosse commission. Par ailleurs, jeunesse ne ment pas, une attirance réciproque ne tarde pas à poindre entre Jean et Marie.

Toutes les conditions d’un drame sont réunies. Il ne tardera pas à se produire, précipité par la maladresse de Jean. On ne saurait le raconter. Disons simplement que les hallucinations y jouent une grande part et que la réalisation parvient à nous faire douter de la réalité de ce qui nous est montré, pour peu que nous ayons suffisamment envie de « marcher » dans cette histoire. Si les spectateurs qui s’y refuseront seront agacés par les invraisemblances du scénario, ils apprécieront néanmoins, comme les autres plus crédules, les qualités formelles d’un film qui commence dans le style de La Belle Noiseuse (de Jacques Rivette, 1991) avant de se transformer en conte fantastique, avec une attention méticuleuse à la lumière (hivernale et brumeuse), au décor (invraisemblable manoir dont l’aménagement intérieur ne semble pas avoir évolué depuis le temps de sa construction), aux tenues (toujours automnales) de Marie, aux accessoires d’un autre âge (matériel photographique, vieille BX Citroën du maître de maison) qui contrastent avec les éléments de modernité quand Jean rentre chez lui à Paris (train de banlieue, copains rassemblés devant un écran géant pour suivre un match de foot, appartement et coupé Bentley dernier modèle du promoteur). 

Le casting n’est pas étranger à la réussite du Secret de la chambre noire. Olivier Gourmet joue Stéphane ; il était le père traficoteur dans La Promesse des frères Dardenne. Jean est interprété par Tahar Rahim, le comédien principal d’Un prophète (de Jacques Audiard, film récompensé par le Grand Prix à Cannes en 2009) ; il est parfait ici dans un rôle proche de celui du film qui l’a consacré, où le cynisme se mêle à la naïveté. Quant à Marie, elle est interprétée par Constance Rousseau, une jeune comédienne française mystérieuse et diaphane comme veut son personnage.

Nouvelles projections de ce film des RCM 2017 dans la cadre de Tropiques-Atrium à Madiana, les 12 et 16 juin à 19h30.

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D’un cinéphile accompli, directeur artistique de l’Institut Lumière, Thierry Fremaux, un hommage humoristique et érudit aux frères Lumière, les inventeurs du cinéma, 108 films de 55 secondes tirés du catalogue de l’Institut, 108 plan-séquences et quelques travelings filmés à Lyon d’abord, puis à La Ciotat, puis à Paris, puis dans le monde entier par les frères Lumière et par leurs opérateurs qui sillonnèrent le monde pour en rapporter des images propres à étonner les premiers spectateurs du cinématographe. Cela se passait pour l’essentiel dans les années 1890. Le premier film des frères Lumière montrait la sortie de l’usine familiale à Lyon. D’autres tout aussi célèbres suivront, l’arroseur arrosé, l’arrivée d’un train en gare… Les sujets les plus emblématiques de l’œuvre des Lumière seront tournés plusieurs fois et Th. Fremaux nous en montre quelques versions.

Ce qui frappe d’abord, quand on regarde ces films vieux de plus d’un siècle, c’est la qualité technique de l’image, la netteté proprement incroyable, la lumière (c’est le cas de le dire !), la profondeur de champ. Certes, ces films ont été restaurés mais à partir d’un matériau qui devait être initialement parfait pour aboutir à un tel résultat (ou pourrait-on encore parler de « restauration » ?)

Indépendamment de leur qualité technique et des sujets choisis pour frapper l’esprit des spectateurs de l’époque, ces films nous émeuvent aujourd’hui en tant que documents uniques sur une période de l’histoire de l’humanité pour laquelle on possédait bien déjà des photographies, mais il fallut attendre l’invention des frères Lumière pour obtenir des prises de vue animées de qualité. Un immense progrès qui ouvrait la porte du septième art. Voir, par exemple, des enfants jouer devant nous, ce n’est pas pareil que de les regarder figés devant l’objectif d’un photographe : on en conviendra !

Si les gags imaginés par les premiers cinéastes, les trucages maladroits ne nous font plus rire (mais Charlot, Buster Keaton et les autres ne tarderont pas à apparaître sur les écrans), l’aspect documentaire de ces petits films s’avère pour nous fascinant. Nous le savons : à moins d’inventer les voyages dans le temps, ces images animées de nos ancêtres sont les premières que nous aurons jamais. On peut regretter de ne pas pouvoir remonter plus loin ; en même temps cette période, la dernière décennie du XIXe siècle, nous touche sans doute davantage que d’autres plus anciennes justement en raison de sa proximité. Elle est celle, pour les plus âgés d’entre nous, de la jeunesse de nos grands-parents, c’est-à-dire des personnes que nous avons connues ! Quant aux spectateurs plus jeunes, s’ils n’ont pas les mêmes souvenirs, ils apprécieront, pour peu qu’ils aient le goût des bonnes lectures, de voir bouger sur l’écran les habitants réels d’un monde découvert peut-être à travers les pages de la Recherche du temps perdu. Temps perdu et retrouvé par le Narrateur à la fin de sa quête. Temps jamais connu mais trouvé par nous grâce à ces petits bouts de film émouvants.

Disons pour finir que les commentaires de Th. Frémaux sont également précieux parce qu’ils soulignent les détails intéressants qu’un œil moins exercé pourrait ne pas remarquer.

Nouvelle projection de ce film des RCM 2017 dans la cadre de Tropiques-Atrium à Madiana, le 13 juin à 19h30.

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Rappel : Reprise de Jazmin et Toussaint de Claudia Sainte-Luce les 14 et 15 juin à 19h30.