Le Rassemblement national, l’adversaire utile des « présidentiables »

— Par Yves-Léopold Monthieux —

Prévu par la constitution de 1958 modifiée, le mode de scrutin de l’élection présidentielle, – suffrage universel à 2 tours, le second réservé au 2 candidats arrivés en tête au premier – avait conduit à un faux two party system et au renforcement du président de la République. Reste qu’aucun président n’a jamais été élu au premier tour qui, en réalité, fait fonction de « primaire » pour le second. Le vainqueur n’en a pas moins toujours été, suivant la formule consacrée, le président de tous les Français.

Désormais, il est dénié au président, réputé comptable des seuls suffrages du premier tour, la possibilité de mettre en œuvre ses objectifs de campagne électorale. Ainsi donc, les 27% de voix obtenus au premier tour par Emmanuel Macron ne l’autoriseraient pas à prendre des décisions pour tous les Français. C’est aussi ce que semble corroborer, en creux, l’ancien président du Conseil constitutionnel, Jean-Louis Debré, qui affirme avec un cynisme confondant qu’avec les maigres sondages qui lui sont favorables, le président « contente son électorat ». Ainsi, au moment où le monde s’enflamme, la France retombe dans les jeux de la 4ème République avec la compréhension du fils du Père de la constitution.

Ainsi réputé illégitime, Emmanuel Macron le serait plus encore en raison de l’objectif qui lui aurait été assigné par les électeurs : « barrer la route au Rassemblement national ». Elu, sa mission de président est-elle terminée ? Cette seconde stupidité rendrait illégitime tout président de la République, depuis 20 ans.

En effet, depuis Chirac II, les Le Pen ont décidé du choix de tous les présidents de la République. Jacques Chirac avait dû son second mandat au barrage du Front national. Vaste programme pour un président gaulliste. Jean-Marie Le Pen avait devancé au premier tour et éliminé le candidat favori, Lionel Jospin. Malgré son score soviétique, la suite vaudra au vainqueur le surnom de « Président fainéant ». En 2007, le Front national s’était volontiers laissé siphonner au second tour par Nicolas Sarkozy, vainqueur étriqué de Ségolène Royal. Cinq ans plus tard, en adressant tous les coups au seul président sortant, la candidate Marine le Pen avait facilité l’élection de François Hollande. Puis l’adversaire idéale eut le bon goût d’être présente au second tour face à Emmanuel Macron, en 2017 et 2022. Mais c’est dès le dépôt des candidatures que cette probabilité se fait jour. Sera-ce au tour de Jean-Luc Mélenchon, en 2027, de bénéficier de la présence utile de Marine Le Pen pour faire barrage au Rassemblement national ?

Dans Le coup d’Etat permanent, François Mitterrand avait écrit tout le mal qu’il pensait de la Vème République. Puis devenu président de la République, il en avait profité en toutes ses ressources, y compris l’art et la manière d’apprivoiser Jean-Marie Le Pen. Il l’avait appelé à siéger à l’Assemblée nationale en compagnie d’une trentaine de députés. A l’image de son modèle, l’adepte de la 6ème République, Jean-Luc Mélenchon, pourrait bien finir par trouver la Vème République à sa mesure.

Fort-de-France, le 31 mars 2023.

Yves-Léopold Monthieux