Le racisme «anti-blanc» n’est «pas une expérience de masse»

— Par Sylvain Mouillard —
Seulement 15% des personnes des Français «majoritaires non paupérisés» déclarent avoir déjà été la cible de discrimination, contre 60% des descendants d’immigrés d’Afrique subsaharienne. Photo Vincent Kessler. Reuters
Une étude de l’Ined se penche sur ce phénomène, bien moins répandu que le racisme envers les minorités, et qui ne débouche que très peu sur des discriminations.

Quelle est la réalité sociologique du «racisme anti-blanc» ? C’est à cette question – et à beaucoup d’autres – que les chercheurs de l’Institut national d’études démographiques (Ined) ont tenté de répondre dans leur colossal travail mené depuis une dizaine d’années auprès de 22 000 personnes. Constatant la «forte médiatisation» de cette thématique et le fait que des «personnalités politiques et intellectuelles ont voulu en faire une question de société» (Jean-François Copé, Alain Finkielkraut), les chercheurs se sont efforcés d’appréhender ce qu’ils appellent les «faits de racisme déclarés par la population majoritaire». Autrement dit, les personnes nées en France métropolitaine et dont les deux parents étaient Français à la naissance.

Ils ont pour cela divisé ce groupe sans ascendance migratoire en plusieurs catégories : les majoritaires «altérisés du fait de leur religion ou de leur apparence» (7%), ceux ayant vécu en couple mixte (8%), les «paupérisés et étudiants en situation de précarité» (10%) et les «majoritaires non paupérisés» (75%). L’étude remarque que la situation face au racisme des deux premiers groupes les rapproche en réalité bien plus des personnes d’origine étrangère que des Français «majoritaires» et «non-paupérisés».

Ainsi, les Français altérisés du fait de leur religion (juive, bouddhiste, musulmane) ou de leur apparence sont 33% à déclarer avoir été victimes de racisme au cours de leur vie, un taux qui les rapproche des immigrés nés en Algérie (35%). Toutefois, ces personnes souffrent moins que les immigrés d’une dégradation de leurs conditions de travail du fait du racisme. Par ailleurs, les Français ayant formé un couple mixte déclarent à 26% avoir fait l’expérience du racisme, un niveau identique à celles des personnes en situation de précarité.

Un racisme qui «ne fait pas système»

En revanche, les «majoritaires non paupérisés» sont les moins concernés par l’expérience du racisme : «Seulement 15% des personnes de cette population déclarent en avoir été la cible au cours de leur existence, contre par exemple 60% des descendants d’immigrés d’Afrique subsaharienne.» Pour l’Ined, ce phénomène n’a donc «pas le caractère d’une expérience de masse».

Cette confrontation au racisme est en outre «moins répétitive» que pour les minoritaires. Ainsi, «seulement 22% des majoritaires concernés citent plus d’un lieu (où ils ont été victimes de racisme), alors que c’est le cas d’une personne sur deux pour les populations les plus exposées». Quand ce lieu est unique, il s’agit d’abord de l’espace public (55%), de l’école (37%) et du travail (22%). Enfin, ce racisme subi ne «se matérialise pas par une privation de droits ou d’accès à une ressource». 0% des personnes majoritaires paupérisées interrogées ont déclaré avoir subi des discriminations au cours de la vie au travail durant les cinq dernières années. Ce taux est de 6% chez les enfants de parents nés en Algérie.

L’Ined conclut : «Le racisme des minoritaires à l’encontre des majoritaires peut blesser verbalement, voire être agressif physiquement, mais il ne fait pas système et ne produit pas d’inégalités sociales […]. Il s’agit d’un racisme de réaction face à des personnes qui, par leurs origines, leur apparence, leur couleur (réelles ou imaginaires) leur position sociale ou leurs comportements, peuvent incarner la classe ou la « race » des dominants et des racistes […]. Il n’est pas absurde de penser que leur indignation [celle des majoritaires non-paupérisés, ndlr] est d’autant plus forte que l’hostilité [à leur encontre, ndlr] vient de personnes considérées par eux comme étant « étrangères » ou « extérieures ».»

Sylvain Mouillard — 8 janvier 2016
source : Libération