Le déboulonnage ne fait que commencer

— Par Robert Saé (*) —

Le 5 novembre, 5 ans après les faits, 11 jeunes compatriotes, 6 hommes et 5 femmes, seront face aux juges français à qui il appartiendra de dire si le déboulonnage des statues glorifiant l’ordre colonial est un délit ou un acte de dignité. C’est le 22 mai 2020, date plus que symbolique puisque commémorant l’insurrection de nos ancêtres qui avaient, en 1848, imposé l’abolition de l’esclavage, que la statue de Victor Schoelcher, celui qui avait fait indemniser les esclavagistes et organisé leur maintien à la tête de la colonie, a été mise à bas. C’est le 26 juillet 2020 qu’ont été déboulonnées la statue de Joséphine de Bauharnais, épouse du tyran Napoléon BONAPARTE, et celle de Pierre DESNAMBUC, le flibustier français qui a pris position de l’île, massacré sa population et y a établi la colonisation française. L’action de ces militants a eu un retentissement international et, dans plusieurs pays, des communautés qui étaient insultées en permanence par la présence de statues glorifiant leurs bourreaux ont continué le mouvement.

Qu’on nous dise donc au nom de quels principes, de quelle légitimité, l’appareil judiciaire de l’État qui, historiquement a esclavagisé nos ancêtres, colonisé notre pays et dont tous nos bourreaux sont ressortissants, un État qui maintient encore notre pays sous sa tutelle, peut-il s’arroger le droit de juger ceux qui s’attaquent au symboles de la domination.

Au nom de la protection du patrimoine historique, disent-ils ?

Oseraient-ils alors condamner les Résistants qui ont nettoyé les rues de Paris de tous les symboles de l’occuption Nazi? Vont-ils rechercher les traces des vestiges hitlériens pour les restaurer? Argument fallacieux pour nous imposer l’ignominie !

Il nous revient en mémoire les images passant en boucle sur toutes les chaînes télévisées, au lendemain de l’intervention étatsunienne, de la mise à bas de la statue de Saddam Hussein. Tous les dirigeants politiques et autres bonnes consciences applaudisaient alors ce qu’on présentait comme un indispensable exorcisme.

Et puisqu’aujourd’hui, on nous présente l’Ukraine comme une incarnation de la démocratie et de la résistance à l’oppression, puisqu’on nous dit que nous devons la défendre au prix du sacrifice de toutes les dépenses publiques affectées à la santé, à l’éducation et à la protection sociale, les juges français diront s’ils engagent les militants à suivre l’exemple ou si au contraire ceux-ci doivent être condamnés.

En effet, en Ukraine , près de 5.500 statues commémorant la période soviétique ont été abattues à la suite de ce qu’on a appelé la «Révolution de la dignité» en 2014. Un nom a même été inventé pour désigner cette vague de déboulonnage : Le Léninopad». Déjà, après 1991, au lendemain de l’indépendance du pays, 2000 monuments avaient été détruits à l’ouest du pays ; pendant la « Révolution Orange» 600 statues démolies; 600 autres entre 2005 et 2008. En 2017, l’Institut Ukrainien de la mémoire a annoncé officiellement le démantelle de 1320 monuments dédiés à Lénine. Tout cela a été applaudi par les «démocraties» occidentales.

Nous nous sommes étendus sur cet exemple, car la question Ukrainienne est d’actualité et parce que cet exemple nous permet de rappeler que la destruction de symboles fait partie de l’Histoire, qu’elle en est même parfois un moteur. Historiens et chercheurs organisent régulièrement des colloques et publient des contributions pour analyser la profondeur de telles dynamiques. Les Etats liberticides fascistes, colonialistes, quant à eux, invisibilisent ou détruisent les symboles des luttes populaires, condamnent et emprisonnent ceux qui s’attaquent aux symboles de la domination. Qu’on se rapporte aux agressions du dictateur TRUMP contre les Universitaires et les Musées, on en sera amplement convaincu. Ainsi, que l’appareil judiciaire tache de réprimer des militants de la dignité, cela est dans l’ordre des choses.

L’aveuglement des suprémacistes ne leur permet pas de réaliser l’ampleur de la vague qui balaient le monde aujourd’hui : Comme la statue du marchand d’esclaves Edward Colston au Royaume-Uni ou celle du général confédéré Robert E.Lee aux États-Unis, les symboles de leur domination continueront à être balayés. le temps de leur hégémonie culturelle et mémorielle est terminé.

Aussi, nous qui avions débaptisé la rue Gallieni – du nom d’un criminel qui avait, entre autres, présidé à l’assassinat de 45.000 malgaches – nous voulons féliciter les jeunes militants qui, par leur acte courageux, ont rappelé au monde que notre pays est colonisé, que notre Peuple a droit à la liberté à l’autodétermination et surtout à la dignité et au respect de son histoire. Nous leur disons merci d’avoir surmonté les agressions de la société qui jettent une partie de notre jeunesse dans l’enfer des toxicomanies et de la délinquance, ou qui les pousse au suicide. Merci d’avoir choisi la voie difficile de l’intelligence et de la Résistance.

Si le pouvoir judiciaire français commettait la faute de condamner, ces militants là, comme il l’a fait pour les militants anti-chlordécone, il ne ferait que confirmer la continuité de la domination coloniale dans notre pays. Mais cela n’empêchera pas à la roue de l’histoire de tourner.

Viendra le jour où sera effacé de toutes les rues et quartiers de la Martinique décolonisée, le nom de tous les négriers, esclavagistes et autres militaires qui ont fusillé les nôtres.

Viendra le jour où les dernières statues glorifiant tous ceux qui ont opprimé notre peuple seront déboulonnées.

Viendra le jour où nos manuels scolaires ne rapporteront plus l’histoire des chasseurs, mais celle des lions.

(*) Robert SAE

Responsable aux affaires extérieures du CNCP

Martinique le 30 0ctobre 2025