Le citoyen et la lutte politique

— Par Robert Saé —

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Manifestation à Hong Kong : Qui tire les ficelles ?

1.    Des mots qui cachent une lutte politique
Est-ce un hasard si aujourd’hui on parle plus de « mouvements citoyens » que de « luttes populaires » ? Certainement pas ! Cela participe de la campagne menée par les propagandistes du système dominant pour dévoyer la résistance des peuples.
Les dirigeants des pays impérialistes occidentaux sont pleinement conscients que le fossé s’élargit entre, d’un côté, leurs institutions et leurs partis politiques et, de l’autre, les populations écœurées par les inégalités, les injustices, les magouilles et les promesses non-tenues. Constatant aussi que les luttes populaires visent de plus en plus explicitement à remettre en cause le système lui-même, il était vital pour eux d’organiser une contre offensive afin, d’une part, de masquer les enjeux et l’acuité de la lutte politique et, d’autre part, de reprendre le contrôle des populations qui échappent de plus en plus massivement aux mécanismes mis en place pour les dominer. Voila donc désormais, les maîtres du système devenus les plus grands défenseurs de la « démocratie » et des « mouvements citoyens » et ceux qui, seuls, seraient qualifiés pour en attribuer le label. Pour eux, si vous êtes un « zadiste » qui lutte en France contre la destruction d’une zone naturelle protégée vous n’êtes pas un « citoyen » mais « un casseur qui ne respecte pas l’Etat de droit  et qui fait obstacle au développement économique». Par contre, si vous détruisez un centre de soins dans un quartier de Caracas vous êtes « un citoyen en lutte pour la démocratie ».
Selon leurs codes, méritent le label de citoyen :
-Ceux qui déclarent obsolète le temps des idéologies et qui combattent toute « récupération politique » ;
-Ceux dont les meneurs sont formatés par l’idéologie bourgeoise occidentale  et qui, en particulier, prônent une conception intégriste de l’individualisme ;
-Ceux dont les revendications cadrent avec la conception libérale de l’économie et les schémas établis par les Constitutions occidentales ;
On comprend alors l’urgence d’établir une frontière nette entre les « mouvements citoyens » qui sont destinés à porter de l’eau au moulin du système dominant et ceux qui, à l’opposé, sont l’expression d’une dynamique de transformation révolutionnaire de la société.

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sae_citoyen_&_lutte_po-42. Des manoeuvres pour conserver le pouvoir politique

L’objectif des classes dominantes est d’empêcher que les enjeux fondamentaux des luttes politiques qui secouent la société soient mis à jour. Leur hantise est que les peuples comprennent les orientations antagoniques qui s’affrontent et s’engagent massivement dans des VOIES POLITIQUES ALTERNATIVES. Alors, quand les moins éclairés crient au « tous pourris* » et se détournent de la politique, il s’agit pour les maîtres du système de mettre en place des contre-feu prenant en compte les évolutions objectives et subjectives qui ont modifié le paysage, mais, surtout, permettant de pérenniser leur hégémonie politique.
Il y a une dizaine d’année, c’est « la société civile » qui a été mise à la mode par les propagandistes du système. C’est celle-ci qui, disaient-ils, devait prendre les choses en main pour pallier l’échec des  élus politiques. Dans un article publié en Juillet 2010*, nous écrivions :
«  C’est quoi un membre de la société civile ? Quelqu’un qui n’est pas élu ? Quelqu’un qui n’a aucune attache politique ? Une fois élu, son identité de « sociétaire » civil disparait-elle ? Ceux qui sont déjà élus, commerçants, enseignants, chefs d’entreprises, ne font-ils pas partie de la « société civile ? Ceux qui entendent assumer la charge des « politiques-qui-ont-failli » sans être désignés par le suffrage populaire ne sont-ils pas en réalité des politiques-sans-légitimé ? Quand on aura répondu sereinement à ces questions, il deviendra évident que la « société civile » est un nouveau gadget des classes dominantes pour pousser la population à remettre son sort entre les mains d’un nouveau personnel (politique sans le dire) qui a pour qualité de défendre le système en place. »
Aujourd’hui, c’est le concept de citoyenneté qui est instrumentalisé. Les opérations terroristes de Janvier 2015 à Paris ont permis que soit orchestrée une campagne de propagande massive sur le thème « Nous sommes tous citoyens ! Nous devons faire fi de toutes les oppositions politiques pour défendre notre pays contre la barbarie.» Les « citoyens » étaient donc sommés d’adhérer, sans aucune contestation possible, aux décisions prises par le pouvoir politique en place, celui-là même qui défend exclusivement les intérêts des classes dominantes.
Comme si les ressorts idéologiques, les visées politiques et les intérêts de classe pouvaient s’évaporer magiquement ! Hier, au prétexte de  « défendre la Patrie » les peuples ont été conduits à la boucherie. Aujourd’hui, au prétexte d’affronter « la Crise » et de « lutter contre le terrorisme », on exige d’eux des « efforts », qu’ils renoncent à leurs droits, qu’ils acceptent que leurs libertés individuelles et collectives soient amputées et qu’ils crèvent à petit feu. En réalité, ce sont autant de manœuvres visant à permettre aux classes dominantes de garder en mains les rênes du pouvoir politique et économique.
*La palme revient au Front National qui joint sa voix au concert, alors qu’il est lui-même gangrené par les affaires et qu’il porte en germe la forme la plus dangereuse de la domination par les classes dominantes.
(*brochure « Savoir pour agir »)

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sae_citoyen_&_lutte_po-23 – Qui est citoyen? Qui ne l’est pas ?

Dans cet article, nous ne nous étendrons pas sur les problématiques juridiques liées au statut de citoyen*. Notre intention est plutôt de nous interroger sur le rôle que les uns et les autres entendent attribuer au citoyen dans la société actuelle ainsi que sur la réalité des mouvements citoyens.
Une chose est sure, aujourd’hui, le qualificatif de citoyen a une connotation positive. Le citoyen, c’est la personne qui assume toutes ses responsabilités et qui s’engage pour des causes nobles. Ceci explique que beaucoup veulent se parer du manteau citoyen pour refourguer les politiques traditionnelles.
Des thèses carrément grotesques sont énoncées : Le citoyen serait l’individu qui n’est pas « encarté » et qui dénonce indistinctement tous les partis politiques !
C’est ce qui nous a conduit à parler plus haut de « l’urgence d’établir une frontière nette entre les « mouvements citoyens » qui sont destinés à porter de l’eau au moulin du système dominant et ceux qui, à l’opposé, sont l’expression d’une dynamique de transformation révolutionnaire de la société ».
Les deux groupes peuvent être clairement identifiés en posant des questions précises à leur propos..
– Quel est le positionnement de ceux-ci sur la question des idéologies et de la lutte politique ?
– les classes dominantes manifestent-elles soutien et bienveillance ou, au contraire, hostilité et blackout à leur égard?
– la structuration et le fonctionnement du mouvement garantissent-ils réellement le partage du savoir et du pouvoir entre tous ses acteurs ?
– Les revendications et les objectifs aboutissent-ils à maintenir le système en l’aménageant ou posent-ils la nécessité d’une refonte globale ?
* Un citoyen, c’est « celui qui, étant ressortissant d’un Etat, est personne civique et jouit de droits politiques.*» (Logos de Bordas)

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sae_citoyen_&_lutte_po-34 – Les mouvements citoyens lieux d’une intense lutte politique

Nous avons indiqué que les classes dirigeantes promotionnent et soutiennent ceux des mouvements qui contribuent au renforcement du système dominant. Le rôle des services secrets occidentaux, par exemple, dans le déclenchement des « Printemps Arabes » ou dans la subversion au Venezuela a largement été démontré. Les chefs d’orchestre des officines labélisées reçoivent un appui logistique massif (fonds secrets, podium géants, villages de tentes, dont ils n’indiqueront jamais la provenance). L’empressement de leurs médias à désigner des « figures emblématiques » et à donner des noms sympathiques aux mouvements choisis n’est plus à démontrer. Les campagnes de soutien médiatique se font sans aucune pudeur. On a pu voir présenté comme un combattant de la démocratie un petit-bourgeois insatisfait qui, pancarte « dégage » à la main, exigeait la démission d’une présidente régulièrement élue*.
A côté de l’intervention des dirigeants des classes dominantes, il faut ajouter celle des opportunistes petit-bourgeois dont l’appétit politique est éveillé par la nouvelle conjoncture. Mus par les conceptions élitistes et libérales occidentales, ils s’autoproclament porte-voix des citoyens qu’ils auraient pour mission de réveiller et de représenter. Assez curieusement, les milliers de personnes engagées dans les actions caritatives, dans les luttes syndicales, dans les collectifs anti-pollution, les militants politiques organisés et les élus opposés au système (mis dans le même sac que les autres), ne sont pas considérés comme des citoyens. Dorénavant, pour mériter le titre de citoyen il faudrait répondre aux injonctions lancées par des éclaireurs autoproclamés, à l’heure et dans les formes décidées par eux. Et ce serait là le remède aux travers de la démocratie représentative bourgeoise !
A travers nos propos, il ne faudrait surtout pas voir une remise en cause des lanceurs d’alerte ou des initiatives diverses et plurielles prises pour impulser l’engagement citoyen. Nous souhaitons seulement attirer l’attention de tous ceux et de toutes celles qui ont sincèrement à cœur de servir nos peuples sur la nécessité de combattre les manœuvres menées par les classes dirigeantes ou par des politiciens opportunistes pour dévoyer les luttes populaires.
(*Il s’agit de Mme Dilma ROUSSEF, une militante qui a subi la prison et la torture pour avoir combattu la dictature sanglante qui régnait au Brésil et qui a largement contribué au renversement de celle-ci)

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sae_citoyen_&_lutte_po-55 – Pour que le mouvement citoyen soit porteur de luttes populaires victorieuses
On aurait tort de croire que l’éclatement et la multiplicité des initiatives citoyennes traduisent simplement un dégoût de la politique et des politiciens. Cela correspond surtout à une mutation de la société. Le savoir est davantage partagé ; les communications latérales se généralisent ; les structures sociales se modifient. Tout cela nourrit l’aspiration à une véritable spulaires victorieuseses poouveraineté, à un véritable pouvoir sur sa vie à tous les niveaux et appelle, aussi, à une transformation des institutions. Il est donc essentiel d’apprécier la diversité et la complémentarité de toutes les expériences citoyennes et de considérer celles-ci comme autant de laboratoires contribuant à la construction de la société alternative.
Nous avons indiqué que les classes dirigeantes prennent pleinement en compte les mutations évoquées plus haut pour essayer de s’y adapter. Il est d’autant plus important, alors, pour les organisations révolutionnaires de repenser leurs relations avec les organisations de masse et les mouvements citoyens. Tout en dénonçant le caractère réactionnaire des thèses qui prônent la neutralisation voire la disparition des partis politiques, il serait vain de persister dans l’illusion qu’il appartiendrait à une organisation, fut-elle révolutionnaire, de penser les solutions pour ensuite en expliquer le bienfondé aux « masses ». Les militants politiques, comme tous les autres « citoyens », doivent être persuadés qu’il s’agit de s’impliquer dans une dynamique collective pour la mise en œuvre d’un projet élaboré en commun. Il ne s’agit pas de « mettre son drapeau dans la poche ! » Au contraire, plus que jamais, il s’agit de convaincre les militants du mouvement populaire et plus généralement les « citoyens » de l’actualité des luttes idéologiques et de la nécessité de prendre en compte la dimension politique dans toutes les luttes*. Il s’agit aussi de proposer à tous des contributions théoriques et politiques susceptibles d’éclairer la perspective. Car les objectifs ne risquent pas d’être atteints si les luttes populaires, même ponctuelles et sectorielles, ne s’appuient pas sur une compréhension globale du système et des enjeux politiques.
*Précisons que mener la lutte dans une perspective politique ne signifie absolument pas obligation d’adhérer à un parti politique.