Le cinéma français ne peut plus rester un ghetto

La diversité, au cinéma comme ailleurs, doit devenir autre chose qu’un slogan fumeux.

mille_visages— Par Mille Visages —

Aujourd’hui, nous ne cessons de parler d’une crise de modèles dans notre société. Ajoutez à cela, des systèmes d’actions et de représentations complètement à côté de la plaque. Au niveau politique d’abord, lorsque l’on note le poids de l’abstention, toujours plus fort que n’importe quel parti politique, tellement à la hauteur des désillusions citoyennes. Mais dans le secteur culturel également, car c’est aussi là que les ségrégations sont les plus vivaces.
Un cinéma monochrome

Aujourd’hui, la crise est l’excuse qui ne suffit pas, car les échecs sont en place depuis trop longtemps. Il suffit d’ouvrir les yeux pour se mettre d’accord sur ce constat. Et ensuite, daigner réfléchir aux solutions qui s’imposent. Le grand pays que nous sommes doit pouvoir être capable de se regarder en face. Et notre cinéma, fort de son exception culturelle, envié dans le monde entier autant que notre sécurité sociale, souffre de son uniformité. Il ne peut plus continuer comme ça. Il n’a plus à se refermer ainsi. Notre société telle qu’elle est, telle qu’elle a besoin de se raconter, ne peut plus se complaire dans un cinéma monochrome, sans fureurs et sans discours.

À ces milieux huppés parisiens qui ne savent que trop s’auto-célébrer, et qui se sont arrogés depuis trop bien longtemps la mainmise sur le cinéma français, écoutez-nous aussi. Comme si on ne l’avait pas assez demandé. Par ricochet, nous ne demandons pas la compassion, qui ne produira pas de résultats. Le noir peut bien être autre chose qu’un sans papier ou un délinquant. L’arabe, autre chose qu’un racailleux voué à l’échec. Ou l’asiatique, tellement autre chose qu’un féru d’informatique ou de kung fu.
Arrêter l’autocensure

Nous ne sommes pas là pour affirmer que les talents se concentrent forcément dans les cités. Ou que le salut des banlieues passera par la case cinéma. Nous voulons juste rappeler une fois de plus qu’il y a comme une partie de la France que l’on ignore. Le répéter encore et encore, pour que jamais personne ne se mette à le négliger. Nous aussi, nous avons des choses à dire et à raconter. Hé oui, des talents divers et variés ne demandent qu’à faire leurs preuves parmi la famille du cinéma français. Parce que le cinéma français ne peut plus rester un ghetto. Comme une zone de non-droit pas du tout ébranlée par les changements qui agitent notre société. Les décideurs du milieu, distributeurs comme diffuseurs, devraient arrêter dans leurs autocensures par réflexe. Arrêter de faire dire qu’un film avec des noirs pourrait effrayer le public. Ou annoncer à des réalisateurs forts en vision que leur propositions pourraient choquer. Dans ces cas là, nous aurions dû balayer les films rageurs des Pasolini ou des Spike Lee en leur temps ?

La Fémis, école nationale supérieure payée par nos deniers publics et réputée pour former l’élite des métiers du cinéma français, a lancé un concours national ouvert à tous. Dans le cadre de «La Résidence», la nouvelle formation intensive qu’elle propose. Parmi les quatre lauréats de cet appel, trois jeunes ont été formés au sein de 1000 Visages, notre association. Ces trois apprentis réalisateurs se sont donnés le luxe de découvrir leur passion, ainsi que de s’initier à la pratique, à travers les ateliers Cinétalents que l’on organise toute l’année dans les quartiers. Ces résultats démontrent que lorsqu’un véritable travail de formation et d’accompagnement est tenu, cela peut porter ses fruits. Parce que la diversité, au cinéma comme ailleurs d’ailleurs, doit devenir autre chose qu’un slogan fumeux. Félicitons nous aujourd’hui de ces ouvertures. Soyons vigilants aussi, veillons à ce que ces initiatives ne sonnent pas comme des alibis.

Badroudine ABDALLAH journaliste et président de l’association 1000 Visages , Mathilde LE RICQUE directrice de l’association 1000 Visages et Uda BENYAMINA cinéaste et co-fondatrice de l’association 1000 Visages