Le choix d’une retraite

— Par Jean Abrosi —
Lucien est à la retraite depuis 30 ans après de bons et loyaux services à la RATP. Il a choisi de revenir dans son île natale après avoir vécu en France pendant une quarantaine d’années. Grâce à ses économies et à celles de sa fidèle épouse, il avait émis le voeu de s’acheter un bout de terrain en Martinique et de construire une maison où tous les deux viendraient vivre leur retraite. Grâce à Dieu, leur voeu fut exaucé et ils ont retrouvé le pays de leur enfance. Animé d’une attitude positive, ce couple a adhéré dès les premières années, aux différentes activités communales voire à un club de convivialité qui lui a permis de se retrouver avec des amis d’enfance. Hélas, comme tous ceux qui ont vécu en France et qui sont revenus dans leur pays natal, ils ont été déçus par la mentalité antillaise, trop rétrograde à leur avis. Et Lucien le premier s’est retiré dans sa tour d’ivoire.

Aujourd’hui, il préfère se retrouver seul, sans voisins, sans amis. Le matin dès 4 h, il est levé. Il fait sa prière du matin. Il boit ensuite un grand verre d’eau pour mettre en route les neurones de son cerveau et aussi pour lui permettre d’aller à la selle. Il écoute à la radio, les titres de l’actualité du jour et fait quelques pas autour de sa maison. Puis, s’arrêtant devant son jardin créole, il parle à ses plantes qu’il arrose soigneusement.

Lorsque le soleil apparaît, il boit son café noir et déguste lentement son matété. Il se réinstalle dans son fauteuil et regarde la télévision pour suivre les nouvelles de là-bas. Plus tard, il laissera échapper à voix haute des commentaires après les « coups de cœur et coups de gueule » diffusés sur les radios locales. Pour lui, ce sont des ramassis de conneries et d’imbécillités et il ne cesse de répéter que le Martiniquais est rétrograde et que le pays Martinique n’avance pas.

Il préfère alors rester dans son coin, loin des hypocrites, des jaloux, des méchants, des médisants et des imbéciles (dixit). Il n’y a que sa famille qui lui importe. Il prend plaisir à entendre la voix de ses enfants et de ses petits-enfants. Heureusement, il est fan de foot et il passe une bonne partie de son temps à suivre les matches qui le passionnent. Il n’a plus de temps à consacrer aux Autres. Il ne s’invite ni dans les déjeuners dansants, ni dans les baptêmes, ni dans les premières communions, ni dans les anniversaires. Autrement dit, il refuse de se mêler aux Autres. Les quelques heures qu’il passe en compagnie de son épouse lui suffisent largement pour meubler sa journée. C’est un choix que je me refuse de commenter.

Jean Abrosi