Le chlordécone, peau de banane de Barnier

Par Renaud Lecadre —

Pollution. Le ministre a dénoncé l’usage du pesticide, tout en indemnisant largement les producteurs antillais.

 

Eric de Lucy

De retour des Antilles, Michel Barnier vante une « banane propre» , une «banane durable» . Constatant ce week-end les dégâts du cyclone Dean qui a détruit la quasi-totalité des plantations bananières, le ministre de l’Agriculture ne s’est pas contenté de promettre des aides aux producteurs, mais s’est dit partisan d’une remise à plat : «Je crois que c’est le moment d’aller vers de nouvelles pratiques, pour utiliser moins de pesticides.»

Pandémie.  L’ouragan est l’occasion de faire table rase du passé. L’utilisation massive du chlordécone, destiné à éradiquer le charançon (coléoptère très coriace sous les tropiques), bien qu’interdit depuis 1993, a contaminé l’ensemble des Antilles françaises. Avec ce paradoxe final : la plupart des cultures vivrières (patates douces, ignames…) et l’essentiel des ressources aquatiques (crabes, langoustes…) sont polluées à leur tour ; seule la banane (protégée par sa peau) reste consommable sans modération, alors que sa production est à l’origine de la pandémie.

Dans le doute, l’Afssa (Agence française de sécurité sanitaire) a été chargée de fixer des seuils autorisés de chlordécone contenus dans les aliments, bien que les études sur sa dangerosité soient toujours en cours.

Eric de Lucy, président de l’Union des groupements de producteurs de bananes de

 Martinique, n’a guère apprécié l’article publié le 30 août par Libération, résumant le pataquès. «Dans tous les pays développés, nous vivons dans une pollution invraisemblable. Il ne faut pas nier ou minimiser la réalité, mais qu’est-ce qu’on fait ? On peut arrêter la production et se contenter de nourrir les colibris…» Toujours le paradoxe : les terres à dépolluer ne sont pas les grandes plantations de bananes (la FNSEA a fixé l’objectif d’une prochaine récolte dans les six mois), mais les petits potagers.

Insuffisance.  La crise met surtout en émoi les pouvoirs publics, soupçonnés d’avoir tout lâché au lobby bananier (dont la proximité avec les politiques est proverbiale), en sacrifiant le reste de la population antillaise. Extrait d’une note interne, du 24 juillet (un mois avant le cyclone), de la trop peu connue mission interministérielle et interrégionale chlordécone : «La crise est extrêmement grave. Il est nécessaire que les actions soient scientifiquement fondées et socialement acceptées, avant d’être politiquement menées. Il faut réaliser un énorme travail de communication afin de répondre à l’inquiétude de la population et au ressenti actuel d’insuffisance des pouvoirs publics.» En effet, y’a du boulot.

Libération, jeudi 6 septembre 2007

 

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