Le bonheur des peuples requiert d’urgence l’après capitalisme.

par Pierre SUEDILE


La question se pose car il semble évident que la fin de la période idéologique appelle une réflexion sur la nature de la société de demain. Nombre d’observateurs ont cru qu’avec la fin du communisme, le capitalisme s’imposerait de façon durable et structurelle et d’aucuns ont alors accéléré le passage amorcé à une forme évoluée du libéralisme, le néo-libéralisme, porté par le triomphe de la valeur suprême, les libertés individuelles. Enterrées les théories qui prétendaient que la société devrait s’analyser à travers le prisme de la classe sociale, abandonnés les intérêts dudit prolétariat et oubliée cette lutte prétendument moteur de l’histoire des hommes. Au grand dam des seigneurs de l’Olympe, du marché, ce début du XXIe siècle a montré qu’il en était autrement et que les dynamiques sociétales historiques ne sauraient souffrir des injonctions de groupes économiques ou politiques, voire de celles d’individus isolés. La notion d’hyper-puissance a vite été écartée suite aux crises nourries par une économie virtuelle stérile au plan des activités et des richesses réelles. L’unilatéralisme s’est effacé devant les difficultés à être le gendarme du monde, quand bien même les décisions internationales contournent à l’excès ces Etats placés au bon endroit pour faire entendre leur voix, quoiqu’ils aiment à courber l’échine pour ramasser les prébendes offertes en paiement de bons et loyaux services. Complaisance aux dogmes d’une pensée dite unique concourant à la primauté d’un monde singulier, celui des acteurs des conquêtes coloniales d’hier et d’aujourd’hui, aux dépens de tous les autres.
Le socialisme, le libéralisme, l’intervention de l’Etat pour imposer les équilibres économiques et sociaux et dessiner l’espace réservé à l’intérêt général, le libéralisme conçu, construit en référence aux seules activités mercantiles de l’homme, l’ultralibéralisme qui livre l’avenir à une économie prioritairement financière, virtuelle, tout cela montre que le choix de l’extension outrancière des libertés individuelles, phagocytant la moindre parcelle d’expression collective, témoigne d’une approche philosophique au centre de gravité fort mal positionné.
Il convient de revisiter les dogmes, tant ceux qui tapissent les théories des partisans des lois naturelles du marché, que ceux des tenants de l’idéologie de l’Etat, autorisant quelque part l’expression de la paresse de l’homme.
La lutte des classes, moteur de l’histoire tel que défini par l’idéologie socialiste et combattu par le libéralisme, ne joue point le rôle qui lui a été attribué. Elle n’est pas le moteur de l’histoire comme certains l’ont prétendu. Elle ne rend pas compte de ce que l’homme porte d’essentiel en lui. Elle n’a pas ce caractère systémique qui lui permettrait d’expliciter tous les grands changements de société observés depuis les « communautés primitives ». Et pour cause, les classes sociales n’ont pas toujours existé. Et pour fondement, si la satisfaction des besoins demeure essentielle, elle ne représente pas pour autant ce qui caractérise l’homme. En réalité la classe sociale ne représente pas le composant élémentaire ou la plume de l’Histoire. Dans la sphère économique elle n’est que simple entité découlant de l’organisation de l’entreprise.
Faut-il alors opter pour le travail comme fonction libératrice et vecteur d’acquisition de pouvoir au service de l’homme ? Est-ce le travail qui a toujours procédé au classement des individus en référence à l’effort fourni ? Notamment, doit-on considérer que l’agriculture, source de travail intensif, en remplacement de la cueillette de la chasse et de la pêche, aurait été à l’origine de l’émergence de la société esclavagiste ? Si la réponse est positive, comment apprécier le pouvoir et la richesse liés à l’économie virtuelle, à la spéculation ou au profit que dégagent les « start-up » ? Cette réflexion conduit inévitablement à prendre en compte autant le travail physique que l’effort intellectuel, dont le seul point de convergence devrait être l’exercice de la créativité.
Il n’y a pas de valorisation humaine qui vaille hormis celle qu’attribue l’exercice audacieux de la créativité. La seule répétition fort adroite de méthodes, de savoir-faire appris, créés par d’autres, ne saurait générer le mérite. C’est toute la différence entre l’original et la copie, entre le génie et la routine. Le présent a surtout besoin du second mais l’Histoire ne retient que le premier. Elle impose à tous l’exercice de la créativité pour nourrir le progrès, elle exige de l’homme qu’il se surpasse pour qu’ensemble ils sellent une autre pierre du bonheur collectif. C’est l’exercice de sa propre créativité qui détermine pour chacun, la place qu’il occupe dans la sphère sociétale. C’est la capacité de l’homme à exercer de façon productive sa créativité qui le placera dans un groupe ou dans un autre. C’est sa création qui le fera reconnaître par la communauté. C’est l’exercice productif de la créativité qui représente l’essentiel de l’homme, en ce que c’est cette fonction qui détermine sa place à l’intérieur du groupe. Affirmons aussi que sa tache sera d’autant plus aisée qu’il aura accepté de se former à la production des autres et qu’il aura fait preuve d’audace, d’une propension certaine à côtoyer le risque, quel que soit son domaine de prédilection.
La stratification des sociétés d’hier et d’aujourd’hui a toujours procédé de l’appréciation de ce fondamental de l’homme et celle de demain s’exhaussera sur les mêmes fondations. C’est dans cette direction qu’il faut tenter d’inventer le système et l’idéologie qui se mesureront au capitalisme et au libéralisme. C’est à l’intérieur de ce chapitre que le philosophe se doit d’investiguer car à cet endroit se meut le moteur de l’Histoire toujours en responsabilité du bonheur de l’homme.

30/03/2011