Le Baccalauréat, deux cents ans d’histoire

Les candidats seront plus de 600 000 à passer le baccalauréat cette année, ils n’étaient lors de la première promotion en 1809, que… 39

baccalaureat

— Par Pierre Ropert —
Pour chaque étudiant qui l’obtient, le baccalauréat sonne comme une victoire. Plus qu’un diplôme, il marque quasiment aujourd’hui le passage à l’âge adulte, tant son obtention coincide avec l’âge légal de la majorité. Etymologiquement, le mot baccalauréat a pour racine la locution latine “bacca laurea”, c’est-à-dire “la couronne de laurier”. Il s’agit de la corono triumphalis, la couronne triomphale, distinction honorifique symbolisant la gloire de son porteur. En latin tardif, il devient « baccalaureatus » et prend pour signification « degré de bachelier donné dans les universités ».

La racine du mot « bachelier », quant à elle, diffère. Jusqu’au XVIIe siècle, avant que sa signification évolue, le bachelier n’est autre que le “jeune noble aspirant à devenir chevalier”.

Les origines étymologiques du diplôme, qu’il s’agisse de locutions latines ou d’Ancien Français, lui confèrent presque une dimension épique. On est loin d’une épreuve où l’on se contente de réciter des connaissances acquises. Pourtant, l’histoire du baccalauréat ne débute qu’au XIXe siècle.

 Un baccalauréat réservé aux élites

Portrait de Napoléon Ier en uniforme de colonel des grenadiers à pied de la Garde, par François Gérard
Le mot « baccalauréat » prend une toute autre signification lorsque Napoléon Ier décide d’en faire un diplôme d’entrée à l’université. L’Empereur veut former les élites indispensables au fonctionnement du pays et, pour ce faire, créé les lycées. Avec l’aide de Foucroy, il publie un décret qui rétablit les universités de l’Ancien Régime.

Au sortir de la Révolution française il n’existe en effet plus d’écoles de tous niveaux. Les écoles primaires sont repensées sous l’impulsion, notamment, de Talleyrand. On créé avec succès des écoles spécialisées, dont l’Ecole polytechnique, qui forme les militaires, ou le Conservatoire National des Arts et Métiers.

Napoléon, lui, s’intéresse essentiellement à l’enseignement secondaire, qui a pour vocation d’apporter « les connaissances premières nécessaires à ceux qui sont appelés à remplir des fonctions publiques, à exercer des fonctions libérales ou à vivre dans les classes éclairées de la société ».

C’est ainsi que sont restaurées les facultés de Droit, de Théologie et de Médecine, et qu’est créée celle de Sciences. Pour accéder à ces dernières, il faut obligatoirement être le titulaire d’une “maîtrise ès arts” dispensée par la faculté de Lettres. C’est cette maitrise qui est nommée “baccalauréat”. C’est en effet la culture gréco-latine qui domine le champ culturel, d’où l’importance de la faculté des Lettres.

Loin de sanctionner les années d’études passées au lycée, le baccalauréat est en réalité conçu comme le premier grade universitaire, ce qu’il est d’ailleurs toujours dans les textes.

Le texte du 17 mars 1808 précise ainsi :

“16. Les grades dans chaque faculté seront trois : le baccalauréat, la licence, le doctorat. […]

19. Pour être admis à subir l’examen du baccalauréat dans la faculté des lettres, il faudra 1) être âge d’au moins 16 ans; 2) répondre sur tout ce qu’on enseigne dans les hautes classes de lycée. […]

22. On ne sera reçu bachelier dans la faculté des sciences qu’après avoir obtenu le même grade dans celle des lettres […].

26. A compter du 1er octobre 1815, on ne pourra être admis au baccalauréat dans les facultés de droit et de médecine sans avoir au moins le grade de bachelier dans les celle des lettres.”

La première session du baccalauréat, en juillet 1809, n’accueille que 39 candidats, tous issus de la haute bourgeoisie. L’examen est alors quasi donné : il n’existe pas encore d’épreuve écrite, l’épreuve consiste simplement en un entretien oral.

“On dit que le bac était difficile au début, qu’on ne prenait que la moitié des candidats, c’est absolument faux, on en prenait au début 95 %, puis 90 %… Et ça dure très longtemps”, raconte André Chervel, historien de l’éducation, spécialiste du bac de lettres dans les 50 premières années de sa création :

 Au cours de la Restauration, après la chute du Premier Empire, la fome initiale du baccalauréat, sous l’égide du Ministère de l’Instruction publique, varie peu, si ce n’est l’ajout d’une commission d’examen en 1815, et l’intégration de contrôles de connaissances.

Moderniser le baccalauréat
L’obtention du baccalauréat est jugée trop facile, notamment en raison d’entretiens uniquement oraux . En 1830, la première épreuve écrite facultative est introduite, avant de devenir obligatoire en 1840. L’objectif est de rendre plus difficile l’examen, afin de faire concurrence à l’École polytechnique.

Malgré l’opposition de conservateurs attachés aux enseignements classiques, le baccalauréat se modernise peu à peu au profit des sciences. Au fil du XIXe siècle, l’enseignement des lettres diminue au profit des mathématiques et des matières scientifiques, conséquence directe de la révolution industrielle. Le baccalauréat attire pourtant peu les foules : “au milieu du XIXe siècle, il y avait un peu plus de 100 000 élèves qui arrivaient en terminale, et seulement 4600 qui s’amusaient à passer le baccalauréat”, explique ainsi Marie-Odile Mergnac, auteure de l’ouvrage Histoire du Baccalauréat.

Si l’éducation des femmes est prise en compte (loi Falloux), elles ne peuvent cependant pas passer l’examen, faute d’apprentissage du latin, toujours indispensable pour passer le diplôme d’entrée à l’université. La première femme diplômée, Julie-Victoire Daubié, ne doit son diplôme que grâce à l’intervention de l’Impératrice Eugénie, épouse de Napoléon III :

Jules Ferry
La fin du XIXe siècle voit ensuite les premières mesures qui mèneront au bac que l’on connait aujourd’hui. Dès 1874, le baccalauréat est divisé en deux séries d’épreuves, sur deux années, réforme dont on trouve encore des traces à notre époque, par le biais des épreuves anticipées.

En 1880, Jules Ferry, par décret, met fin au monopole du latin, de moins en moins usité, au profit de la littérature française et, dix ans plus tard, le bac devient unique, imposant un tronc commun grâce au “baccalauréat de l’enseignement secondaire ». Entre temps, la « loi Ferry » a rendu obligatoire l’éducation primaire. L’école publique est laïque et gratuite pour tous.

Ces nécessaires réformes aident à populariser un bac qui n’a jamais eu le nombre d’intéressés escomptés. Mais son succès relatif est surtout dû aux changements de société et à la nécessité de formations longues. Certes, les bacheliers sont en majeure partie issus de la bourgeoisie, mais de 7 000 en 1890, ils passent à 37 000 en 1926.

 Vers le baccalauréat pour tous
En 1927, les programmes du secondaire féminin et masculin sont enfin unifiés : 66 ans après que Julie-Victoire Daubié a obtenu le baccalauréat, les filles sont enfin autorisées à passer l’épreuve.

A force de décrets et de réformes, le système scolaire est cependant inutilement complexe. Comme l’explique Marie-Odile Mergnac, il existe un système primaire et un système secondaire, complètement hermétiques l’un à l’autre :

Nul gouvernement, dans l’après-guerre, ne parvient à réformer en profondeur ce système, alors même que les étudiants se font de plus en plus nombreux. Le baby-boom post seconde guerre mondiale, la modernisation des outils de production, conduisent à un accroissement du nombre d’enfants scolarisés.

En 1959, le décret n°59-57 statue que :

l’immense mouvement, à la fois démographique, économique et humain, qui bouleverse actuellement les perspectives traditionnelles de la vie nationale, impose, entre autres exigences, une réforme de l’enseignement.
En 1960, il y a 800 000 enfants par tranche d’âge entrant en 6ème, contre 400 000 auparavant. La suppression du primaire supérieur au profit du collège unique, ainsi que la scolarité obligatoire jusqu’à l’âge de 16 ans, va faire exploser le nombre de bacheliers. De 32 000 bacheliers en 1960, on passe à 237 000 en 1970.

Dans l’urgence, entre 1965 et 1975, l’Etat construit quasiment un collège par jour ouvré.

Un diplôme du baccalauréat. © WIKIMEDIA COMMONS
C’est aussi le début d’une grande réforme du bac, qui va nous amener au système que l’on connaît aujourd’hui. Entre la création des IUT, des filières technologiques et les séries A (philosophie et lettres), B (économique et social), C (mathématiques et science physique) et D (mathématiques et science de la nature), et l’instauration des filières professionnelles, le bac se diversifie.

En 1985, Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de l’Education, assure vouloir amener 80 % d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat à l’horizon des années 2000. Cette même année là, seuls 30 % des étudiants obtiendront leur baccalauréat.

C’est la création de filières multiples qui rend possible une telle promesse. En 1993, les nouvelles séries du baccalauréat général (ES, L S) et technologique (STI, STL, SMS et STT) succèdent aux séries A, B, C, et D. Le système se rôde au fil du temps, les épreuves et matières changent, jusqu’à arriver au baccalauréat actuel. Un baccalauréat multiple, proposant de nombreuses filières et des enseignements optionnels.

En 2013, le baccalauréat a affiché un taux de réussite de 86,8 % (91.9 % au bac général, 86.4 % au bac technologique et 78.5 % au bac pro). Mais il ne s’agit pas de l’intégralité d’une classe d’âge : en réalité, le chiffre stagne, depuis 1995, à 64 %. L’objectif de Chevènement n’est toujours pas atteint.

Surtout, le bac n’a de cesse d’être remis en cause. On retrouve maintenant les taux de réussite qui étaient ceux des premières promotions de 1809, époque à laquelle le bac était « donné ». Et c’est là tout le reproche qui lui est fait : un diplôme accessible à tous a-t-il encore la même valeur ?

Ce n’est finalement plus d’obtenir le baccalauréat, qui est symbole de réussite, mais la filière à laquelle il est associé. Et les taux d’échec en première année d’université sont là pour rappeler que l’obtention du diplôme n’est pas synonyme de réussite, alors même que sa fonction première est de permettre d’y entrer. Deux cent ans d’histoire n’ont pas conduit à faire du baccalauréat l’examen idéal. Sa forme, ses enseignements, fluctuent au gré des évolutions de la société. Nul doute qu’il est encore amené à changer.

Pierre Ropert

http://www.franceculture.fr/2014-05-30-le-baccalaureat-deux-cents-ans-d-histoire