L’avenir des banques aux Antilles présente un « risque systémique ».

— par Jean-Marie Nol, économiste —
Nous allons vers une reconfiguration totale de l’économie et du secteur bancaire en Martinique et Guadeloupe, car la banque est désormais à la croisée des chemins… . « La nécessité nous délivre de l’embarras du choix » disait Vauvenargues….
La refondation de l’économie et par voie de conséquence du secteur bancaire en Martinique et Guadeloupe semble tenir de cet adage. D’une part, la conjoncture commande de repenser le plan d’action lancé en 2015 par l’autorité bancaire représentée par l’IEDOM , qui se fondait sur l’insuffisante rentabilité de certains réseaux bancaires installés sur la place de Martinique et Guadeloupe . D’autre part, l’accroissement des contraintes imposées aux banques – et singulièrement aux banques locales qui sont des succursales de grandes banques nationales – par la réglementation va mécaniquement et sans doute durablement limiter leur capacité de prêt. Or, il semble évident que les besoins de financements du marché Antillais vont diminuer à un rythme soutenu dans un avenir proche, afin de coller à la réalité d’un marché en décroissance. Nous l’avons déjà dit et répété à satiété que la croissance est inéluctablement vouée à chuter en Martinique et Guadeloupe dans les prochaines années. A terme, il s’agira d’assurer l’adaptation de la banque traditionnelle à la nouvelle économie de la Martinique et la Guadeloupe qui sera restructurée par le numérique et l’intelligence artificielle , de même que par la mutation de la société (appauvrissement de la classe moyenne et chute de la consommation) et des infrastructures , au vieillissement de la population et à la révolution numérique et digitale (le nombre de commerces traditionnels et de supermarchés sera divisé par deux dans la décennie) . Alors, quelle banque pour la Martinique et la Guadeloupe en 2030 ?
Arrêtons nous à L’exemple de la Guadeloupe qui nous semble plus édifiant du fait de la prédominance des sièges sociaux.
Le moment est venu d’engager une réflexion prospective sur l’avenir de la banque en Guadeloupe , au moins à l’horizon d’une dizaine d’années. Dans quel environnement évoluera-t-elle alors ? Quelles options s’ouvriront à elle ? À quels objectifs répondra-t-elle ? Et au final de compte, combien de banques seront présentes sur le marché guadeloupéen en 2030 ?
C’est à ce type d’interrogations que répond brièvement cet article. Le secteur bancaire est aujourd’hui en Guadeloupe un secteur économique d’importance, car il accompagne le développement rapide de la consommation locale, qui est le moteur de l’économie guadeloupéenne . Il s’est développé au xixe siècle sous la forme du Crédit foncier colonial puis de la future Banque de la Guadeloupe. Depuis , l’évolution du secteur bancaire est patente avec pas moins de 7 établissements bancaires et 2 établissements financiers. Alors à quoi ressemblera le secteur bancaire en Guadeloupe dans 10 ans ?
Difficile de le prédire alors même que les services financiers n’ont pas encore connu de réelle disruption en Guadeloupe , à l’instar de la France hexagonale . Néanmoins, une chose est certaine : la capacité des acteurs – banques traditionnelles, comme nouveaux entrants – à intégrer les nouvelles technologies, à répondre aux attentes des consommateurs et à créer de nouveaux services seront les clés de la construction de la banque de demain.

Gérer son épargne et ses placements en temps réel grâce à son smartphone ou son assistant virtuel, faire ses achats en magasin sans passer par une caisse, se rendre dans son agence bancaire digne d’un concept store avec un showroom 3.0… Ceci n’est qu’une illustration, déjà bien réelle, du monde de demain, un monde qui aura franchi un pas de plus dans la digitalisation et l’ultra personnalisation. Et la banque aussi va bientôt changer de visage en Guadeloupe et le secteur dans son ensemble connaître une autre configuration . Les banques ont devant elles l’opportunité de développer de nouveaux services, non bancaires, et ainsi de continuer à accroître leurs revenus dans un environnement devenu de plus en plus concurrentiel. Cette nouvelle banque sera devenue une entreprise universelle : elle vendra toujours des produits bancaires , mais ceux-ci ne constitueront sans doute plus que l’ossature des nombreux services complémentaires qu’elle commercialisera.

En conséquence , et compte tenu de l’ampleur des changements , nous allons passer de 7 établissements bancaires exerçant actuellement en Guadeloupe à plus que 3 à la fin de la décennie actuelle. Seuls devraient continuer à exister le crédit agricole, le groupe caisse d’épargne et la banque postale. Les autres banques de la place comme LCL , bred, société générale, crédit mutuel, devraient se faire absorber ou remplacer par des néo banques, car la nouvelle réalité du marché moins orientée vers la consommation mais plus en direction des activités productives et touristiques imposera une taille critique pour maintenir une certaine rentabilité et rester compétitive face aux nouveaux entrants sur le marché guadeloupéen comme les GAFA et autres banques à distance qui ne tarderont certainement pas à partir à la conquête du marché guadeloupéen de manière à capter l’ensemble des services financiers (y compris l’assurance) , au-delà des seuls paiements alors même qu’elles ne sont pas soumises aux mêmes contraintes réglementaires.

D’ailleurs, pour étayer notre analyse, le CEO de Goldman Sachs vient de dire que 80% des banques auront disparu ou seront devenues anecdotiques d’ici 2030.

Les prochaines années vont être critiques pour la transformation de la banque en Guadeloupe comme en Martinique . En effet, les banques sont bouleversés par les innovations : intelligence artificielle, télétravail, chatbots. De fait, la concurrence qui s’annonce sera très vive du fait que le marché ne sera plus extensible dans la décennie. Plus largement, déjà au moins dix banques européennes ont annoncé depuis le début de l’année la suppression de plus de 44.000 postes, confirmant la passe très difficile que traverse un secteur confronté aux taux d’intérêt bas et aux tensions politico-commerciales. Dernières annonces en date, celles de HSBC qui entend supprimer 35000 emplois et la Deutsche Bank qui a annoncé le plus grand plan de restructuration de son histoire avec la suppression de 18.000 emplois d’ici à 2022. L’an dernier, elle avait déjà supprimé 6.000 postes. L’ensemble du secteur bancaire y compris les banques à statut coopératif ne pourra échapper aux restructurations. En effet, l’avènement du digital, l’irruption de nouveaux acteurs comme Orange Bank bientôt en Guadeloupe et Martinique, ainsi que l’arrivée de l’intelligence artificielle ou du télétravail obligera les banques Antillaise à revoir leur fonctionnement de fond en comble, avec un challenge qui est de ne pas disparaître dans les dix ans. Mais tout le monde ne pourra pas y parvenir, aussi il y aura des fusions et des rachats de banques en Guadeloupe comme en Martinique.

Le visage de la banque va radicalement changer, car en réalité il n’y aura plus de limite dans les produits et services que la banque peut vendre, mais une stratégie de développement horizontal. Dans un proche avenir, la Banque devrait faire la même chose que ces opérateurs télécom, distributeurs ou moteurs de recherche qui se sont lancés dans la vente de produits bancaires ! Dans un monde où le supermarché 3.0 utilise la réalité virtuelle pour permettre à ses clients de faire leurs courses depuis leur canapé, où Carrefour présente certains produits grâce à des hologrammes, où l’utilisation des données personnelles n’a jamais été aussi intensive et où l’intelligence artificielle se présente comme la quatrième révolution industrielle, le paysage de la distribution des services financiers va muter en profondeur. La pression technologique, conjuguée à une évolution des besoins de clients actuels vers plus d’autonomie, de personnalisation, de simplicité et d’expertise, poursuivra la remise en cause des modalités actuelles de la distribution des services financiers en Guadeloupe à horizon 2030.

Le futur se joue maintenant, comme nous l’avons déjà moult fois explicité dans nos articles. Alors dans ce contexte “Serons-nous capables de choisir les éléments de la technologie qui améliorent la qualité de vie et d’éviter ceux qui la détériorent ?”.
Quoique ce soit l’issue envisagée pour la banque en Martinique et Guadeloupe , une mutation en profondeur est à prévoir. Dès lors, anticiper l’arrivée de ces nouveaux enjeux est une obligation pour tout acteur qui souhaite s’inscrire durablement sur le marché des services financiers. Trouver des réponses à ces défis de demain sera très rapidement une nécessité.

Jean-Marie Nol, économiste