« L’archipel des nomades », un roman de Louison Cazal

louison_cazal-archipelL’origine de la lignée de Jean-Paul Irta le condamne bien avant sa naissance.
À Fort-de-France, où elle vivait pauvrement, Rosemaine sa tante, séduite par la promesse du BUMIDOM, avait besoin, comme vous et des milliers d’autres Antillo-Guyanais, de rêves. Un jour, elle partit s’installer  dans une ville provinciale où avec son ami, ils résidaient modestement dans un des nombreux immeubles taillés les uns aux pieds des autres comme d’immenses pans de roches.
La possibilité d’obtenir un logement décent lui parvint rapidement grâce à un contrat sur le foetus que portait sa soeur Théodora. Par ce truchement, Rosemaine réussit à programmer un rapprochement familial et retourna récupérer Jean-Paul à peine sortie des entrailles de sa mère pour le ramener en France hexagonale.
Dans un univers de tentations et d’engrenages néf as tes, Jean-Paul lui, en grandissant, tentera d’éviter la spirale infernale : problèmes d’argent et avec la justice, secrets autour de sa propre identité mais aussi et par dessus tout de ne plus être la cible
des opportunistes du système défaillant…
MOTS DE LECTEUR :
« On ne saurait faire plus actuel que ce roman et son intrigue des années 70 : des individus ayant traversés la mer, à qui l’État français et organismes locaux ont promis des conditions de vie meilleures mais qui se retrouvent parqués dans des immeubles-cages à po ules, inadaptés e t insalubres, où règne l’insécurité et persistent des lendemains plus qu’incertains. Il s’agit de survie et de résignation, et revient à l’esprit cette question : À qui profite ce tableau misérable relayé dans les médias même à notre siècle ? »

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Extraits croustillants (la larme à l’oeil ou l’eau à la bouche, au choix)

« Ne traîne pas au-delà de l’immeuble, les gars qui y habitent sont doux, mais ce ne sont pas des agneaux ».
Au début je ne savais pas ce qu’elle entendait par là. Ses mots résonnaient dans ma tête. Son changement radical d’attitude ne s’expliquait pas seulement par l’ambiance délétère de ces temps derniers, mais aussi par la peur de ceux qui avaient un look plus ou moins d’extrémistes de droite, c’est-à-dire, les bombers, et rangers, qui avaient un genre skins, et qui voulaient casser du nègre. Effectivement les échanges de politesse n’en finissaient plus, et nous n’avions absolument rien à voir avec leur perception de la vie, qui se trouvait au centre de tous ces démêlés, sous prétexte que des Noirs pouvaient se fâcher très fort lorsqu’ils se faisaient agresser par des types au crâne rasé qui avaient des principes de sale facho.
Chaque jour, quand nous revenions de la zone d’éducation prioritaire, nous les voyions déjà installé dans le parking, et quand ils nous apercevaient, ils finissaient par nous reconnaître. Nous n’avions pas peur, au contraire avec Maalik, nous accomplissions le tour du quartier. Après nous ralentissions et fouinions davantage.
Nous étions fascinés par ces blocs d’où partait le souffle de tous ceux qui y logeaient.
Nous n’avions pas la mémoire des noms des gens, qui y résidaient. Mais le plus souvent, nous les croisions dans les escaliers, qui s’élevaient en spirales jusqu’aux paliers, qui desservaient les couloirs.
Nous montions parfois d’un pas pesant, portant des sacs de provisions contre un pourboire. Et à chaque palier, nous faisions des pauses sur un marchepied, respirions la puanteur émise par les colonnes de l’usine. Parfois, nous avions peur, mais nous étions incapables de donner un nom à cette inquiétude.
Je me souviens de cette angoisse, qui nous dévorait en silence, au point qu’une agression pouvait nous surprendre dans ces ruelles que rien n’éclairait. Mais les interdits nous attiraient, alors que nous étions plus ou moins au courant des plaintes. Chacun vivait les détails de sa vie et enviait ceux qui habitaient la ville dans une réelle impression sécurisante. (page 50)

Je faisais des efforts pour contenir ma peur. Maman était partie dès l’aube chercher du travail, mais elle n’allait pas tarder à rentrer. Monsieur Jules était parti au champ de course pour avoir des cartons de Pari mutuel.
J’étais seul au milieu de ces trois inconnus et de monsieur Sliman, qui attendait sur le palier. Mes yeux devenaient de plus en plus grands et la bouche pleine d’étonnement, quand je leur demandais : « Que cherchez-vous ?
Ils ne me répondirent pas.
— Est-il fiché ? demanda le plus ancien au jeune homme.
— Il ne l’est pas !
— Il ne reste plus qu’à fouiller ! »
Pendant dix minutes ils vidèrent le placard du vestibule. Je n’aurais pas dû leur répondre de cette manière.
En quelque sorte, ils motivaient toujours leurs décisions par une ironie, ou une colère dont la pointe paraissait dirigée contre moi. En un tour de main, l’appartement devint une décharge. Chaque objet suspect pouvait constituer une pièce à conviction. Tout courait en désordre sur le sol, sentait le musc, la résine, l’acide piquait les yeux, l’héliotrope et la lente effusion de l’herbe fraîchement coupée. Le premier fouinait dans les armoires, comme s’il s’agissait de réunir des preuves. Il parlait très fort avec beaucoup de gestes. Il était très grand, lourdement charpenté comme un paysan. Il me demanda : « Combien êtes-vous à vivre là-dedans ? » Je lui répondis,
que de temps en temps, nous étions trois. Pour lui, tant de monde dans ce carré, ne pouvait se justifier que par la présence d’un intérêt dans le trafic. D’emblée, le plus âgé appréhenda les gens qui vivaient là d’un mauvais oeil. Le jeune homme troublé par le désordre, se tint aussitôt à distance, en mangeant tranquillement des raisins dans un sachet en papier, jetait les pelures par terre et crachait nerveusement les pépins, tout en me considérant avec mépris. Ce jour-là, je sentis que je n’étais plus chez moi et que tout allait basculer d’une minute à l’autre.
Les chiens étaient nerveux. Ils défaisaient les coutures des coussins de nos lits rabattables. De leurs crocs, ils les retournaient comme la tête d’un poulpe. Le sourire en coin, le premier ne s’énervait pas. Il monta sur un escabeau et examinait les étagères. Il balaya d’une main le plateau de l’armoire en formica. Tout se renversa.
Au passage d’un nuage de poussière, il mit des verres fumés. C’était un provocateur. Il était capable d’ironiser son interlocuteur et de l’importuner sans relâche. Il m’observait attentivement. Immobile, près du lit, à côté de l’armoire en formica, où se dressait ce tableau que maman aimait tant et, qui représentait le bateau Colombie, ce taxi des mers, qui conduisit des milliers de gens de l’autre côté de l’Atlantique. Le titulaire mit une main en râteau, ratissa le plateau de l’armoire et le tableau tomba. (page 105)

Maman souffrait et transpirait. Au bas de ses paupières frémissaient les larmes comme des perles d’acier. Un jeune mangeait des éclairs au chocolat, en nous expliquant que les deux policiers produisaient souvent ce genre de théâtre. L’un égrenait les arrestations du jour, l’autre calculait le nombre de présumés coupables à présenter au juge pour enfant, s’occupait du flagrant délit, travaillait furtivement, et se rendait tous les matins dans les cages de garde à vue pour chercher les voleurs à l’étalage.
Les jeunes s’étonnaient toujours de se retrouver dans un commissariat. Ils contestaient les dépôts de plaintes, mais l’agent les déférait toujours au juge. À un autre, il fit écrire une main courante. Celui-ci venait d’avoir quinze ans, et sa carrière se terminait, à ce premier coup foiré.
Le policier se considérait comme un éboueur des ZUP, des ZEP, des ZUS, des fous, des alcooliques, et des chômeurs mal encadrés. Il avouait avoir rejoint les rangs de la police, pour des raisons alimentaires, mais il n’admettait pas les provocations des jeunes.
Le jeune assis devant l’agent traçait des courbes à l’aide de son doigt, qui crissait sur le bureau verni. Le gamin se détournait de la vue du gardien de l’ordre. Le jeune homme changeait sans cesse de posture, mais le policier continuait à le fixer du regard.
« Alors, tu as travaillé dans une usine de caoutchouc, ensuite, en tant que manutentionnaire dans un entrepôt d’une chaîne de grand magasin, enfin jusqu’à ton licenciement, tu étais chromeur dans une robinetterie robotisée.
Hein ! C’est bien ça ? C’est tout ce que tu as foutu dans ta vie ?
— Je regarde la télé le reste du temps, ajouta le jeune garçon. »
Le policier frappait avec deux doigts sur le clavier. Du coin de l’oeil, il me surveillait tout en appuyant sèchement sur le retour du chariot. Il soulagea ses nerfs à l’aide d’une autre question.
« Il y a des endroits où tu ne dois pas aventurer ta carcasse. Après les robinetteries, ta carrière s’est-elle arrêtée ?
— Les robots les chromaient à ma place. J’allais pointer au bureau des chômeurs. »
L’agent tapait son procès-verbal. Malgré le trop-plein de l’un, et de l’autre, il naissait entre eux une complicité.
Le fonctionnaire ne tolérait pas le comportement du jeune, même s’il admit, que le garçon avait de bons sentiments.
Peu à peu, ils apprirent à se connaître et au fil des heures, ils vinrent à se reconsidérer différemment.
Le gardien de la paix savait de quoi parlait le jeune homme. Quand tout allait mal, il avisait le service de l’identité judiciaire, et passait la nuit aux interrogatoires des gardés à vue. Le lendemain, il se consacrait aux victimes. Sur le parquet du greffe jonchaient des pieds-de-biche sous scellés, qu’il ne viendrait jamais à l’idée d’aligner le long des murs, comme des tees des clubs de golf, qui réfléchissaient des images de cygnes ébauchées sur le parquet, par une raie de lumière dormante. (page 115)


Format : 14 x 22 cm / 200 pages
Reliure : Broché, dos carré collé
© 2015
Prix : 18 € (TvA : 5,5 %, doM 2,1 %)
ISBN : 978-2-37520-508-2
Louison Cazal
Louison Cazal est né à Saint-Pierre en Martinique. Auteur de poésie, théâtre, romans, il écrit depuis plusieurs années.
Louison Cazal a publié un livre chez Ibis Rouge:

Une journée Miklon