L’Ange noir : Chants d’exil d’après Bertold Brecht

— Par Selim Lander ––

Chants d'exilSerge Barbuscia, le directeur du théâtre du Balcon en Avignon, revient en Martinique avec une nouvelle production. L’aurait-on invité si son spectacle, évocation des années d’exil de Brecht, ne s’inscrivait pas dans la thématique de la saison du théâtre de Fort-de-France consacrée à ce dramaturge ? Peut-être pas car le projet d’imaginer un « cabaret chanté » autour de Brecht n’était pas nécessairement très attractif. De fait, au début, on s’interroge sur la finalité de tout cela. On sait la propension des metteurs en scène contemporains à se muer en auteurs ou à défaut en adaptateurs. C’est le cas ici. S. Barbuscia ne met pas en scène une pièce de Brecht : il construit un spectacle à partir / autour de divers textes du dramaturge allemand. Inutile donc de chercher une intrigue, des sous-entendus, des mystères, enfin tout ce qui fait le plaisir ordinaire du théâtre. Mais alors, n’y a-t-il rien de mieux à faire, aujourd’hui, que de convoquer l’auteur de l’Opéra de 4 sous ? Pour nous dire quoi que nous ne sachions déjà sur la grande crise, le nazisme, l’exploitation capitaliste ? Et puis on se laisse emporter, malgré tout, car le théâtre n’est pas toujours destiné à délivrer un message original : il est d’abord un divertissement.

Un divertissement ici réussi. Cela tient d’abord peut-être à la musique de Pascal Fodor interprétée au bandonéon par Yvonne Hahn. Mais la chanteuse-comédienne, Aïni Iften est très bonne aussi. Quant à Serge Barbuscia, il impose la présence paradoxale d’un personnage empoté et balourd ayant constamment l’air de se demander ce qu’il fait sur le plateau. Sa mise en scène est sobre, avec ce qu’il faut de fantaisie, néanmoins, pour maintenir l’intérêt du spectateur. On a bien aimé, en particulier, la projection de la séquence du film Le Dictateur au cours de laquelle Chaplin jongle avec un globe terrestre, avec en surimpression Aïni Iften filmée elle-même en train de jongler. L’apparition des deux comédiens, tout à fait à la fin, en costumes chamarrés, genre Père et Mère Ubu, constitue également une rupture bienvenue avec l’atmosphère générale de ce « cabaret » où domine le noir.

La morale du spectacle est donnée lors des applaudissements par S. Barbuscia : « C’est en se souvenant du passé qu’on peut prévoir l’avenir ». Peut-être, mais prévoir n’est pas guérir. À ce propos, qu’on nous permette de renvoyer les lecteurs qui s’interrogent sur la portée éventuelle du théâtre politique à notre article : « Le théâtre et ses spectateurs », Esprit n° 403, mars-avril 2014, p. 219-225.

Au théâtre de Fort-de-France, du 13 au 15 mars 2014.