La souffrance à visage humain et le risque de la purification éthique

—Par Jack Dion—

marie-sohna_condeAu théâtre de l’Aquarium, Pascale Henry propose À demain, plongée dans l’univers de la souffrance à visage humain.
La scène baigne dans l’obscurité. Un homme (Julien Anselmino) emmitouflé dans un anorak est assis sur une chaise. En face, à côté d’un bureau, une femme (Marie-Sohna Condé). Ambiance à la kafka.
Commence entre les deux personnages (lui interrogé, elle interrogatrice) un dialogue parfois aussi obscur que le plateau. Il y est question de blessure à la main, de souffrance, de non-dit, de nécessité de parler (elle), d’impossibilité de franchir le pas (lui). Le ton monte. Il la menace, elle a peur, puis elle sort, lui intimant le conseil de bien réfléchir.
D’où vient la blessure de l’homme? Est-on au lendemain d’une guerre civile ? Ou après une occupation d’usine ayant mal tournée ? S’agit-il d’une manif ayant dégénéré ? On ne le saura jamais. Certains le regretteront arguant que la clarté du propos en subit les conséquences. D’autres y verront la force du spectacle À demain, écrit et mis en scène par Pascale Henry.
Après tout, peu importe le comment du pourquoi. L’important est la souffrance et le moyen de la conjurer. On verra donc des deux personnages revenir régulièrement sur scène, et reprendre leur impossible échange, leur quête d’aide, sans que jamais ne soit percé le mystère susdit – car la souffrance, par définition, ne peut être expliquée, seulement atténuée.
On croisera également un troisième personnage, une femme (Aurélie Vérillon) qui demande des comptes à la précédente (vous en êtes où de votre évaluation ?) et qui doit elle-même en rendre à un supérieur avec qui elle ne parle que par téléphone.
Autant le premier dialogue n’est que douleur et violence, autant le second est du genre comico-absurde. Car la dame est agitée de troubles maniaco-dépressifs qui confèrent un humour certain à ses échanges avec son interlocuteur téléphonique, dont on devine qu’il est du style petit chef qui veut que ça roule, et vite. On sourit parfois, mais on ne rit jamais, car ce spectacle est comme le bruit de chaîne d’entreprise qui revient à chaque incipit : obsédant. Obsédant et angoissant.
Jack Dion
le 2 fév. 2014 dans Marianne