La santé mentale des jeunes ultramarins : une priorité nationale et un défi territorial

— Par Sarha Fauré —

La santé mentale est devenue l’un des enjeux sociaux majeurs de notre époque. Si l’ensemble de la population est concerné, la jeunesse apparaît comme particulièrement vulnérable, exposée à la précarité, à l’isolement, à la pression sociale ou encore à une incertitude croissante face à l’avenir. Dans les outre-mer, ces fragilités prennent une ampleur singulière : les inégalités territoriales, l’accès limité aux soins et les difficultés économiques accentuent la détresse psychique des jeunes.

À travers ce focus dédié à la santé mentale des jeunes ultramarins, L’Union nationale des centres communaux d’action sociale (Unccas) souhaite mettre en avant la mobilisation exemplaire des CCAS et CIAS, qui, malgré des moyens souvent insuffisants, innovent, expérimentent et s’adaptent pour offrir des solutions de proximité. Formation aux premiers secours en santé mentale, lieux d’écoute, actions socio-éducatives, accompagnement des familles, initiatives culturelles : les équipes locales inventent chaque jour des réponses là où les dispositifs nationaux peinent à atteindre ces territoires.

Ces actions rappellent que la santé mentale dépasse largement la seule prise en charge médicale. Elle se construit aussi dans la relation de confiance, l’attention quotidienne, l’accès à des espaces d’expression et la solidarité. Les CCAS et CIAS, par leur présence au plus près des habitants, demeurent souvent les premiers à repérer les signes de fragilité, à créer du lien et à coordonner les réponses adaptées aux réalités locales.

Une situation documentée : une jeunesse ultramarine en souffrance

En juin 2024, l’Unccas a lancé une enquête nationale visant à identifier les dispositifs existants en matière de santé mentale. La publication Priorité santé mentale ! alertait déjà sur l’ampleur du phénomène, notamment chez les jeunes.

Ces constats ont été renforcés en septembre 2025 par une étude conjointe de l’Institut Montaigne, de la Mutualité Française et de l’Institut Terram : Santé mentale des jeunes de l’Hexagone aux outre-mer – Cartographie des inégalités. Réalisée auprès de plus de 5 600 jeunes âgés de 15 à 29 ans, elle révèle des chiffres préoccupants : les jeunes ultramarins présentent des taux de dépression nettement supérieurs à la moyenne nationale (25 %).

Les écarts entre territoires sont saisissants :

  • 52 % en Guyane,

  • 44 % en Martinique,

  • 43 % à Mayotte,

  • 37 % en Guadeloupe,

  • 32 % à La Réunion.

Pour 53 % des CCAS et CIAS ultramarins interrogés, la jeunesse constitue désormais le public le plus touché par les problématiques de santé mentale. Les établissements scolaires eux-mêmes alertent sur une dégradation du bien-être psychique depuis la crise sanitaire, aggravée par l’usage intensif des réseaux sociaux, des formes nouvelles d’addictions et un sentiment d’isolement persistant.

À ces facteurs s’ajoutent des spécificités environnementales propres aux territoires ultramarins : pollution au chlordécone, épisodes de brume de sable, prolifération des sargasses ou encore inquiétudes liées aux changements climatiques. Ces réalités renforcent l’urgence de réponses intégrant les dimensions sociales, éducatives, environnementales et sanitaires.

Des acteurs locaux en première ligne

Même si la plupart des territoires d’outre-mer disposent d’un Conseil local de santé mentale (à l’exception de Mayotte), seuls 14 % des CCAS ultramarins déclarent que ce dispositif est opérationnel sur leur territoire. Les acteurs locaux font donc face à une responsabilité accrue, souvent en l’absence d’une structuration suffisante des parcours de soins.

Pourtant, la mobilisation est bien réelle. De nombreux CCAS/CIAS développent des actions pionnières : dispositifs d’écoute dédiés aux jeunes, actions de prévention, interventions en milieu scolaire, groupes de parole, accompagnement des jeunes aidants, formation des agents aux PSSM… Ces efforts, bien que parfois fragilisés par un manque de moyens pérennes, constituent des leviers essentiels pour enrayer la montée de la souffrance psychique.

Agir ensemble : cinq priorités pour améliorer la santé mentale des jeunes ultramarins

Afin de renforcer la mobilisation collective et d’assurer une réponse à la hauteur des besoins, l’Unccas formule cinq recommandations prioritaires :

1. Amplifier la prévention

Diffuser largement les formations aux premiers secours en santé mentale pour favoriser le repérage précoce et orienter efficacement les jeunes en difficulté.

2. Aller-vers et développer des espaces d’écoute

Créer davantage de lieux de parole accessibles, adaptés aux jeunes, en s’appuyant sur les établissements scolaires, les médiateurs et les structures sociales.

3. Soutenir les familles et reconnaître les jeunes aidants

Pérenniser les dispositifs de soutien psychologique et mettre en lumière la réalité des jeunes aidants, encore trop souvent invisibles dans les politiques publiques.

4. Renforcer la gouvernance territoriale

Structurer la collaboration entre collectivités, ARS, établissements de santé mentale et associations pour garantir des parcours fluides et éviter les ruptures d’accompagnement.

5. Adapter les politiques publiques aux spécificités ultramarines

Construire des réponses durables intégrant les réalités sociales, économiques, culturelles et géographiques propres à chaque territoire.

Faire de la santé mentale des jeunes ultramarins une cause nationale durable

La santé mentale des jeunes dans les outre-mer constitue aujourd’hui une urgence sociale, républicaine et territoriale. Les données récentes, tout comme les témoignages des acteurs de terrain, appellent à une mobilisation accrue et coordonnée.

L’Unccas réaffirme sa détermination à soutenir l’action des CCAS et CIAS, à valoriser les initiatives locales et à plaider pour des politiques publiques à la hauteur des enjeux.

Parce que chaque jeune, quel que soit son territoire, doit pouvoir accéder à un accompagnement adapté, retrouver confiance et construire sereinement son avenir.