La revanche des colonisés

— Par Alain BAUER Professeur de criminologie au Conservatoire national des Arts et métiers (Cnam, Paris), à New York et à Pékin —

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Les Etats et les Nations ne font pas toujours bon ménage. Depuis toujours, les grands empires ont dominé l’histoire du monde. Intégrant de force des nations, des cultures et des religions parfois opposées, leurs frontières ont composé une cartographie éphémère mais souvent violente, dont on pensait qu’elle s’était stabilisée à Yalta avant de s’effondrer après la chute du chah en 1979 puis celle du mur de Berlin dix ans plus tard.

La décolonisation militaire des années 60 n’a que rarement permis une indépendance économique. Si l’Empire austro-hongrois semble définitivement réduit à une nostalgie post-Sissi impératrice, tous les autres ressurgissent et viennent affronter les cartographies officielles : Empire ottoman, Empire chinois, Empire russe, Empire perse se rappellent plus ou moins brutalement à nos bons et à nos mauvais souvenirs⋅

Les fabricants occidentaux du monde d’après la Seconde Guerre mondiale se trouvent confrontés à la revanche de leurs colonisés et de leurs colonies.

Partout où l’Empire britannique s’est retiré, plutôt mal gré, les mines laissées en héritage explosent à cadence accélérée : Palestine, Inde, Pakistan, Afghanistan, Irak. Là où le colonisateur français a tenté une évolution parfois moins abrupte, la situation reste très instable : République centrafricaine, Mali, Liban. Quand le «Nation Builder» américain a mis sa patte, il paie très cher les conséquences de ses naïvetés et de son usage immodéré du copié-collé démocratique en prêt-à-porter : Irak, Afghanistan, mais aussi Mexique et Amérique centrale, plus récemment Argentine ne se portent pas bien.

Les Occidentaux, sur le principe établi en 1945, lors du pacte américano-saoudien signé entre le roi Ibn Seoud et le président Roosevelt, sur le croiseur Quincy, profitant des «révolutions arabes» pour régler leurs comptes, ont systématiquement joué le mauvais cheval en se débarrassant de dictateurs antipathiques mais plutôt flexibles en Libye et en Egypte, et en tentant de composer avec des opérateurs politiques proches des Frères musulmans dont ils feignaient de croire qu’il s’agissait d’une version arabe de la démocratie chrétienne.

La Libye est en plein chaos, l’Irak en perdition, l’Afghanistan en désarroi (pour ne pas dire plus), le Pakistan (puissance nucléaire) reste un ennemi réel tardivement découvert par leur protecteur américain, les jihadistes de toutes obédiences sont en pleine expansion, soutenus directement ou indirectement par l’inquiétude sunnite face à la résurrection de l’Iran chiite sur le terrain diplomatique et stratégique.

Le crime organisé transnational et hybride se développe par tous les interstices laissés béants par les protecteurs du monde onusien.

Comme l’ex-Yougoslavie de Tito, savamment maintenue au congélateur par les efforts conjugués des protagonistes d’après 1945, le glacis mondial fond de manière accélérée. Le réchauffement provoque le retour au premier plan des anciennes tribus qui réclament justice, terres, pouvoir. Déjà, Iran perse et Turquie ottomane retrouvent leur statut. La Russie reconquiert son espace orthodoxe. La Syrie alaouite semble avoir gagné les conditions de sa survie au prix fort, le Kurdistan s’achemine vers une indépendance inéluctable.

Nul ne sait encore ce qui viendra troubler les nouvelles mappemondes (Ecosse, Catalogne…) tant les poussées des peuples vers la construction de Nations-Etat semblent impérieuses.

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