La rénovation du système politique de la Martinique…

— Par Roland Tell —

Existe-t-il un système politique martiniquais ? Certes non, puisque celui-ci prend place dans un ensemble français et européen, qui le déborde, de toutes parts, par des traits spécifiques, depuis l’héritage post-esclavagiste. Aujourd’hui, en dépit de la décentralisation, affichée en Collectivité Territoriale, il y a persistance du centralisme rationaliste, et même du centralisme politique, qui se manifestent, l’un et l’autre, par le rejet des autres forces idéologiques, pouvant prétendre à une organisation à base étatique, par l’autonomie, ou par l’indépendance.
La hiérarchie politique unique, par exemple du préfet de région, apparaît toujours comme une protection pour les citoyens martiniquais, et comme la garantie du maintien des normes communes, s’agissant des institutions. Donc, la hiérarchie d’Etat semble écarter, à coup sûr, les aventures de non-dépendance ! C’est ainsi que les structures de participation interne, telle que la CTM, en son fonctionnement ordinaire, apparaissent aujourd’hui comme des régressions, par rapport à la décentralisation, dont on fait naïvement étalage.
En effet, le pluralisme idéologique et doctrinal du « Tout Etat » continue de se manifester (cf. les grêves récentes dans le transport ), même chez les indépendantistes, pour tous problèmes administratifs, paraissant insolubles à nos gouvernants locaux. Ce pluralisme s’explique par la présence simultanée de deux pouvoirs, appartenant à des ensembles idéologiques et fonctionnels distincts, celui de Plateau-Roy, et celui, se réclamant de Paris et de Bruxelles. Cette pluralisation caractérise aujourd’hui notre philosophie politique.
En conséquence, il y a, à l’œuvre, deux conceptions de la décentralisation, bien différentes, se trouvant, de plus en plus, en concurrence, en dépit de l’alliance de camouflage, réunissant les politiciens zombies d’une nuit de décembre 2015, où droitistes et indépendantistes se sont vidés de leur substance idéologique ! Depuis, la décentralisation ségrégative de la CTM fait dépendre toutes les formes de vie sur la causalité matérielle – causalité partout première, engendrée strictement par les besoins immédiats, selon les crises répétées, engendrées ici ou là par les antagonismes sociaux, et par les grêves. C’est la vie au jour le jour, qui détermine le projet politique, c’est elle aussi, qui détermine la conscience politique. Toutes ces dernières années, la Martinique passe son temps, sous l’empire de la déraison, à l’élimination de crises sociales, économiques, et politiciennes, porteuses d’impasses administratives, où le recours au Préfet devient systématique, porteuses aussi de résistances au changement.
Dans le même temps, sur ce petit territoire, d’autres conceptions de la décentralisation, de la démocratisation aussi, se manifestent, dans d’autres secteurs, au sein des communautés interregionales, CACEM, CAP NORD, ESPACE SUD, où chaque président lutte pour préserver ses valeurs et ses vérités – chacun, se cherchant une autorité illusoire, infiniment plus ambitieuse pour l’élection à venir. Donc, pas d’idéal historique commun, pas de courants nouveaux, mais partout l’individualisme, le personnalisme, et, au- dessus de tous, le totalitarisme de Plateau- Roy !
La centralisation à la CTM empêche les expériences sociales et économiques en vraie grandeur, elle empêche aussi la juxtaposition de sous-systèmes administratifs, différents et horizontaux, et de moyens pertinents, par exemple pour la lutte contre les sargasses, de retour sur nos côtes. La centralisation à Plateau-Roy ne permet pas que l’organisation de la vie sociale et politique soit différente, d’un secteur à l’autre, à partir d’expériences, permettant de voir les effets d’une innovation sur la société, et donc de tenir compte de ce qui peut être réellement généralisé. C’est pourquoi la centralisation politique actuelle, au sein de la décentralisation française, amène forcément un fonctionnement par crises. N’est-ce pas paradoxal de chercher à élargir la décentralisation, quand on a en soi un tel esprit centralisateur !
Comment, dans ces conditions, faire sortir, de son immobilisation, le système politique martiniquais, plus que jamais immobile, sans projet d’envergure, où fonctionnent des sous-systèmes interrégionaux cloisonnés, répondant à des idéologies politiques différentes ? Comment se dégager de l’immobilisme actuel ? Le développement du système politique martiniquais doit connaître, dans les années à venir, de nécessaires transformations, liées à notre monde de changements.

&
& &

Les grandes lignes de la rénovation idéologique et politique, donc de l’évolution future de nos institutions publiques, consistent dans la mise en place d’un nouveau statut pour notre île.
La Martinique doit devenir une Collectivité infra-étatique autonome caribéenne et européenne, donc un organe à base étatique, plus personnalisé des Caraïbes et de l’Europe, selon un processus de personnification nationale, dans les respect de l’idée constitutionnelle des Etats membres des Caraïbes et de l’Europe.
Tel est l’idéal historique concret de la Martinique de demain, signifiant le type spécifique de constitution, auquel nous devons tendre désormais. C’est, par conséquent, l’essence même, l’essence idéale à réaliser, l’oeuvre politique à faire, dans le climat historique d’aujourd’hui, sur la voie de la non-dépendance. Les députés Serge Letchimy et Jean-Philippe Nilor, hommes de l’avenir, bien au fait du sérail parlementaire français, sont, l’un et l’autre, tout à fait capables de préparer les réalisations juridiques, législatives, et administratives, attendues, afin de permettre à la Martinique d’entrer dans le ciel historique nouveau de la non-dépendance, sens de plus en plus déterminé de l’histoire martiniquaise.
C’est là surtout avancer dans le sens fixé par l’évolution politique, sociale, économique, par la nouvelle jeunesse, par les forces, les nécessités, les fatalités même, appelant à plus de liberté dans la gestion du pays, pour achever pleinement de déterminer le sens de notre histoire, par la conquête progressive d’un idéal, appelant l’existence de la non-dépendance, qu’exige de plus en plus la croissance de notre histoire.
D’ores et déjà, il importe de s’y préparer, au plan politique, en portant, au plus haut possible, la démocratisation qualitative et quantitative du système politique martiniquais. Cela entraîne la rénovation idéologique et technique de celui-ci, en vue d’assurer, à tous les Martiniquais, jeunes et moins jeunes, le développement citoyen le plus intense, et l’histoire collective la plus réussie, dans la société martiniquaise. Quels sont les axes d’évolution, qu’il importe de prendre en considération ?
– L’évolution des contenus idéologiques et des méthodes de gestion ;
-L’évolution des structures sociales, économiques, et politiques.
Il y a circularité entre ces évolutions, il y a donc un système politique.
L’évolution des contenus idéologiques doit faire l’objet d’une véritable mutation, selon trois voies qui sont :
. la démocratisation
. la polyvalence des structures sociales et économiques
. la consolidation de la citoyenneté
La démocratisation lutte contre l’individualisme politique, le personnalisme des élus d’aujourd’hui, le totalitarisme même de certaines personnalités élues. En politique, il y a une oeuvre commune à accomplir. La démocratisation sera communautaire, donc oeuvrant pour le bien commun du peuple martiniquais. C’est par rapport à l’intérêt général, que doit se situer l’évolution du système politique.
Quant à la polyvalence des structures sociales et économiques, elle commande le décloisonnement de toutes les organisations, de tous les ensembles d’activités, de toutes les forces, travaillant au bien commun matériel,social, et moral, des Martiniquais. Les différents domaines d’action communautaire, tels que les industries, les entreprises, les commerces, les exploitations agricoles, les associations, les agences, doivent avoir pour mission de tendre vers un réel social, culturel, et économique, de plus en plus présent, un réseau intégrateur de plus en plus serré, en vue de réalisations martiniquaises, conçues comme oeuvre pratique commune, pour le bien-être et la dignité du peuple martiniquais, dont le régime de vie devra se trouver progressivement à un niveau toujours plus élevé. C’est pourquoi tout ce qui paraît factuel doit être condamné. L’économie polyvalente, en ce sens, s’appuie sur un projet global bien structuré, dont la conception et la réalisation restent avant tout communautaires, donc pour le bien de la vie civile, fin ultime absolue.
Enfin, le développement citoyen concerne la sollicitation systématique des opinions citoyennes. L’objectif visé est l’exercice de la participation des citoyens, et simultanément de la participation des exécuteurs, quels qu’ils soient dans l’industrie, l’agriculture, le commerce. Les projets, mis en oeuvre, ne doivent pas être des réalités abouties, capitalisables, réalisables, sans l’apport de l’esprit collectif, de la mémoire collective. Ce qui devient important, au-delà des décisions de l’Assemblée unique, c’est le consensus citoyen. Certes, élire des responsables, ne signifie pas renoncer à sa liberté, et donc considérer les dossiers d’importance, les réformes, et les réalisations, selon d’assez grandes « distances » de points de vue ! Comment le citoyen, qui a un but atteindre, ne pourrait-il pas faire preuve, à l’occasion, de sa propre liberté créatrice, pour des projets le concernant dans sa vie civile ? Toute réforme majeure vise donc la construction individuelle et active des instruments de consultation citoyenne, et des pouvoirs d’application, s’y rapportant. La créativité citoyenne doit faire l’objet de consultations, de sondages, lorsqu’elle est subordonnée aux retombées de mesures, visant les conditions de vie sociale, le niveau d’existence, la vie civile. C’est dans cette perspective, que le cloisonnement des structures économiques et sociales est condamné, et donc entraîne une méthodologie effective, rendant possible au citoyen martiniquais, de plus en plus responsable, l’accomplissement de son rôle, le droit à la croissance de sa vie de personne, selon la loi de l’usage commun.
ROLAND TELL