La première vie en couple : évolutions récentes

couples-2Télécharger l’Etude de l’INED Wilfried Rault*, Arnaud Régnier-Loilier*

Résumé

L’enquête Étude des parcours individuels et conjugaux (Épic) (2013-2014) montre la poursuite des tendances observées ces dernières années en matière de vie de couple, ainsi que plusieurs changements. Le mariage continue à être de moins en moins systématique et de plus en plus tardif lorsqu’il a lieu. En revanche, l’âge à la première vie de couple cohabitant ne recule plus. Alors qu’autrefois les conjoints étaient souvent tous deux en emploi au moment de la première vie commune, aujourd’hui, l’homme est en emploi et la femme encore en études dans un cas sur quatre. Un quart des premières unions ont lieu par ailleurs avec un conjoint ayant déjà vécu en couple.

Il était difficile de vivre en couple sans être marié dans les années 1960. La cohabitation avant le mariage et l’union libre se sont développés depuis sans pour autant faire disparaître le mariage. S’appuyant sur une nouvelle enquête dont ils nous livrent les premiers résultats, Wilfried Rault et Arnaud Régnier-Loilier dévoilent la façon dont les jeunes générations vivent leur première expérience de couple cohabitant et les différences avec leurs aînés.

Le développement de la cohabitation avant le mariage et l’essor de l’union libre dans les années 1970 ont mis à mal l’institution matrimoniale qui liait conjugalité, sexualité et procréation. La vie en couple hors mariage et les séparations étaient jusqu’alors stigmatisées, ainsi que la exualité hors du cadre matrimonial, surtout pour les femmes. Si la norme conjugale demeure prégnante, elle s’est transformée à différents niveaux, comme le montrent les premiers résultats de l’enquête Étude des parcours ndividuels et conjugaux (encadré).

Un mariage plus tardif et moins fréquent

Longtemps pierre angulaire du couple, le mariage survient de plus en plus tard lorsqu’il a lieu (figure 1). Dans les générations d’après-guerre (nées entre 1953 et 1957), la plupart des individus s’étaient déjà mariés à 30 ans (74 % des femmes et 66 % des hommes), et même à 25 ans (respectivement 64 % et 49 %). Chez celles et ceux nés un quart de siècle plus tard (1978-1982), seuls 16 % des femmes et 7 % des hommes s’étaient déjà mariés à 25 ans. Plus tardif, le mariage est également moins systématique [1].

Encadré. L’étude des parcours individuels et conjugaux(a)

L’enquête Étude des parcours individuels et conjugaux (Épic) a été réalisée en 2013-2014 en France métropolitaine auprès de

7 825 femmes et hommes âgés de 26 à 65 ans. Les entretiens ont pour la plupart été réalisés au domicile des personnes et, plus rarement, par téléphone (9 %). Parmi les thématiques abordées dans le questionnaire, la dimension rétrospective occupe une place importante. Chaque relation de couple ou relation amoureuse importante (« qui compte ou qui a compté par le passé, même si ce n’est plus le cas aujourd’hui ») y est décrite de manière détaillée : datation des événements (début de la relation, emménagement, mariage, pacs, naissance

d’enfants, séparation, divorce, etc.), lieu de rencontre, premières relations sexuelles, caractéristiques des partenaires au début de la relation, etc. Les résultats présentés ici s’appuient essentiellement sur la description de la première relation de couple cohabitante.

Lorsque le répondant était en couple ou en relation amoureuse au moment de l’enquête, son conjoint ou partenaire non cohabitant était également interrogé (60 % des conjoints y ont participé). Ce second volet de l’enquête n’est cependant pas analysé ici.

Remarque : dans les figures de cet article, chaque génération (par exemple les personnes nées en 1950) correspond à la moyenne de cinq générations (1948 à 1952).

(a) : L’enquête Épic a été réalisée par l’Ined et l’Insee, avec le soutien de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), la Direction de la recherche, de l’évaluation, des études et des statistiques (Drees) et l’Agence nationale de la recherche (ANR, projet Cechic : Corpus pour l’étude de cent ans d’histoire du couple en France).

Le mariage religieux recule encore plus : alors que près de neuf premiers mariages sur dix célébrés au début des années 1970 étaient doublés d’une cérémonie religieuse, ce n’est plus le cas que de six mariages sur dix 35 ans plus tard.

L’âge à la première vie de couple ne recule plus

L’âge à la première vie de couple cohabitant a évolué en deux temps (figure 2). Les premières unions ont d’abord été retardées. Alors que la moitié des femmes et des hommes nés au début des années 1950 avaient déjà connu une vie de couple à respectivement 21,6 ans et 23,2 ans, cet âge médian atteint 22,8 ans et 25,8 ans pour les générations nées au milieu des années 1970. L’allongement des études et l’augmentation du chômage [2] en sont les principales raisons.

Mais, plus qu’un rejet de la vie de couple, cette tendance exprime plutôt un report de la première union. En

effet, s’il est plus rare pour les générations nées autour de 1970 d’avoir déjà vécu en couple cohabitant à 25 ans que pour celles d’après-guerre, les contrastes s’atténuent à 30 ans et disparaissent à 40 et 45 ans (figure 3).

Pour les générations plus récentes (1978-1987), alors que les études ne s’allongent plus, la tendance se stabilise et s’inverse même pour les hommes. À 25 ans, ces derniers ont plus souvent déjà vécu en couple que leurs aînés immédiats (figure 3). La suppression du service militaire (votée en 1997), qui a concerné toutes les générations nées après 1979 pourrait être un élément d’explication.

Malgré des scolarités légèrement plus longues pour les femmes, elles continuent à se mettre pour la première fois en couple cohabitant plus tôt que les hommes et l’écart d’âge entre conjoints persiste(1), même s’il tend à diminuer [3]. L’entrée en couple varie aussi selon le niveau d’instruction : elle est plus tardive chez les plus diplômés – l’âge médian à la première vie de couple est de 21,5 ans pour les femmes et 24 ans pour les hommes des générations 1978- 1987 dont les études se sont arrêtées avant le baccalauréat, contre respectivement 23,6 ans et 26,3 ans pour celles et ceux ayant un diplôme supérieur à bac + 2.

S’installer ensemble dans un nouveau logement : moins fréquent qu’avant

Dans les générations d’après-guerre, les deux conjoints étaient souvent tous deux en emploi au début de leur relation : 66 % des femmes et 54 % des hommes pour celles et ceux nés autour de 1950 (tableau). Dans les générations suivantes, les deux partenaires le sont moins fréquemment (34 % des femmes et 31 % des hommes nés entre 1978 et 1982), et sont de plus en plus souvent encore étudiants (environ un quart des cas pour les plus jeunes générations).

La persistance d’un écart d’âge entre conjoints combinée à l’allongement des études des femmes ont rendu fréquente la situation où l’homme est en emploi alors que la femme est étudiante (27 % des situations mentionnées par les hommes et 24 % de celles mentionnées par les femmes des générations 1978-1982). La configuration inverse – l’homme en études, la femme en activité – demeure marginale (3 %).

Cette asymétrie trouve son prolongement dans la façon d’emménager à deux. S’installer dans un nouveau

logement est un peu moins fréquent qu’avant, tandis que l’emménagement au domicile de l’homme est plus courant (environ un quart des femmes et des hommes nés vers 1980). L’installation du couple chez la femme est également plus fréquente mais reste moins répandue (16 % pour la génération 1978-1982).

Un quart des premières unions se font avec un conjoint ayant déjà vécu en couple

Il est de plus en plus rare d’emménager avec son premier partenaire sexuel. L’évolution est particulièrement marquante chez les femmes, dont le calendrier d’entrée dans la sexualité s’est rapproché de celui des hommes : pour celles nées entre 1948-1952, le premier conjoint était aussi le premier partenaire dans plus de trois quarts des cas ; ça n’est le cas que pour un tiers des femmes nées trente ans plus tard (38 %).

Il est également plus fréquent d’avoir un premier conjoint qui a déjà vécu en couple : alors que 9 % des femmes et 5 % des hommes nés en 1948-1952 se sont mis en couple la première fois avec une personne ayant ellemême déjà vécu en couple, c’est le cas de plus d’un quart des femmes et des hommes des générations plus récentes (1978-1982). Pour autant, il n’est pas plus courant d’avoir un premier conjoint ayant déjà des enfants. Une dissociation croissante des expériences du couple et de la parentalité apparaît : les premières vies de couple ne sont pas nécessairement celles qui donnent lieu à l’arrivée des enfants.

À 40 ans, une personne sur cinq a eu au moins trois relations amoureuses importantes

À trente ans, les générations étudiées ont fait l’expérience de la vie de couple dans des proportions relativement proches, mais leurs trajectoires conjugales ne sont pas identiques. Le fait d’avoir vécu en couple au moins deux fois à 30 ans, exceptionnel dans les générations 1948-1952 (5 % des femmes et 3 % des hommes), est devenu plus fréquent au fil des générations : 19 % des femmes et 16 % des hommes nés entre 1978 et 1982.

À quarante ans, avoir connu deux unions cohabitantes est encore plus habituel : 26 % des femmes et 23 % des hommes de la génération 1968-1972, contre respectivement 12 % et 11 % de la génération 1948-1952.


L’enquête Épic permet en outre de décrire l’ensemble des relations vécues, qu’elles aient ou non donné lieu à une vie commune sous le même toit. Le fait d’avoir déclaré plus d’une relation amoureuse importante (cohabitante ou non) à 25 ans est très minoritaire chez les personnes nées dans les années 1950 (6 % des femmes et 9 % des hommes nés entre 1948 et 1952), avoir déclaré trois relations étant exceptionnel (figure 4A). Le phénomène est en revanche bien plus fréquent pour les plus jeunes générations (36 % des femmes et 29 % des hommes nés entre 1978 et 1982 ont vécu au moins deux relations à cet âge).

On pourrait penser que les générations les plus récentes tendent à qualifier d’importantes des relations de jeunesse qui ne sont pas décrites comme telles par les générations plus anciennes. Ce phénomène est possible, mais il ne doit pas être surestimé. L’observation à des âges plus élevés (40 ans), qui permet de prendre une distance temporelle par rapport aux relations de jeunesse, confirme que l’expérience de plusieurs relations est de plus en plus fréquente au fil des générations (figure 4B). À 40 ans, plus de la moitié des femmes et des hommes nés en 1968-1972 ont déclaré plus d’une relation importante, plus d’une personne sur cinq en a déclaré au moins trois.

***

Les transformations du couple, amorcées dès les années 1960, ont pris plusieurs visages. Celui de la diversification des formes d’union d’abord, avec le recul du mariage, de sa composante religieuse et, plus récemment, l’essor du pacs et l’ouverture du mariage aux couples de même sexe. On assiste également à une augmentation du nombre de relations amoureuses dans les trajectoires individuelles. La première mise en couple, qui se dessine souvent aujourd’hui alors que les personnes sont encore en études, prend ainsi de plus en plus la forme d’une expérimentation d’un mode de vie, et s’inscrit de moins en moins dans une perspective éventuelle de mariage et de constitution d’une famille.

Références

[1] Mazuy M., Barbieri M., d’Albis H., 2014, « L’évolution démographique récente en France : la diminution du nombre de mariages se poursuit », Population, 69(3), p. 313-364.

[2] Prioux F., 2005, « L’âge à la première union en France, une évolution en deux temps », in Lefèvre C., Filhon A. (dir.), Histoires de familles, histoires familiales, Ined, p. 201-221.

[3] Vanderschelden M., 2006, « L’écart d’âge entre conjoints s’est réduit », Insee Première, n° 1073.