La pandémie de Covid va renforcer les disparités raciales et ethniques

— Par Pierre Cahuc(*) et Marie-Anne Valfort(*) —

La pandémie de Covid va renforcer les disparités raciales et ethniques Alors qu’en France les travailleurs originaires d’Afrique et d’Asie connaissent un taux de mortalité plus élevé, les deux économistes appellent à une « désinvisibilisation » des minorités dans la statistique publique La pandémie de Covid19 accroît les inégalités face à la mort de façon abyssale. L’Insee montre que, en France, entre mars-avril 2019 et mars-avril 2020, les décès des personnes nées en Afrique du Nord ont crû de 54 %, et de 91 % pour celles nées en Asie. Pour les personnes nées en Afrique subsaharienne, l’augmentation atteint 114 % ! Dans le même temps, les décès ont augmenté de 22 % pour les personnes nées en France, ce qui est proche de la surmortalité observée pour celles originaires du continent américain, des autres pays européens ou d’Océanie.

On pourrait penser que la population issue d’Afrique et d’Asie est plus touchée parce que plus âgée. Ce n’est clairement pas le cas : elle est plus jeune que la moyenne nationale. En réalité, les décès ont augmenté de 96 % pour les personnes de moins de 65 ans nées en Afrique subsaharienne, alors qu’ils ont augmenté de seulement 3 % pour celles nées en France appartenant à la même classe d’âge.

Parmi les facteurs qui ont accru la mortalité des personnes originaires d’Afrique ou d’Asie, l’Insee souligne leur concentration dans des zones densément peuplées comme l’Ile-de-France, l’occupation de logements exigus, l’utilisation plus fréquente des transports en commun et l’exercice de professions incompatibles avec le télétravail, comme les métiers d’aides-oignant, de livreur ou d’agent de nettoyage.

Difficultés d’intégration

En tout état de cause, la précarité économique des personnes nées en Afrique et en Asie est la principale raison de cette surmortalité. Elles payent le plus lourd tribut alors qu’elles jouent un rôleclé dans le maintien à flot de l’économie française en cette période de crise. Il est probable qu’un même phénomène affecte aussi les immigrés de deuxième et troisième générations, issus des mêmes zones géographiques, et plus largement l’ensemble des minorités visibles.

Ces populations sont en effet confrontées à des difficultés d’intégration récurrentes en France, en particulier parce qu’elles sont victimes d’une discrimination de grande ampleur. Les résultats des testings sur CV sont sans appel. Une étude de 2019 portant sur une centaine de tests de discrimination, réalisés dans neuf pays, révèle qu’à candidature équivalente la probabilité pour les Français blancs d’être invités à un entretien d’embauche est de 50 % à 100 % supérieure à celle de Français issus de minorités non blanches (asiatique, maghrébine ou d’Afrique subsaharienne). C’est bien plus que dans les huit autres pays d’Europe et d’Amérique du Nord où ce type de test a été mené.

La pandémie de Covid19, qui plonge notre économie dans une récession sans précédent, va sans doute renforcer les disparités raciales et ethniques. La recherche en psychologie sociale montre de fait qu’un contexte de pénurie accroît l’entresoi. Mais d’autres facteurs aggravants sont en jeu. Notamment, la montée du chômage offre plus de latitude aux employeurs pour se livrer, souvent à leur insu, à des comportements discriminatoires.

Faute de « statistiques ethniques » suffisamment fournies, il est malheureusement impossible de connaître l’ampleur des difficultés auxquelles les personnes issues des minorités visibles sont confrontées. Certes, la statistique publique collecte déjà des données sur la nationalité à la naissance et le pays de naissance des personnes et de leurs parents. Mais cette information n’inclut pas toutes les minorités visibles. Les Français d’ascendance extraeuropéenne ne se limitent pas à la première et la deuxième génération d’immigrés.

Les minorités visibles incluent des générations issues de vagues précédentes et des descendants de personnes qui n’étaient pas immigrées, c’estàdire qui ne sont pas nées étrangères à l’étranger. Par exemple, les personnes nées en Algérie disposaient de la nationalité française avant l’indépendance. Il est donc important d’aller plus loin.

La collecte sur la nationalité à la naissance et sur le pays de naissance des grands-parents, dans le cadre de la deuxième enquête « Trajectoires et origines » actuellement en cours, est un premier pas. Mais il faudrait que l’identification des petits-enfants d’immigrés s’élargisse aux autres grandes enquêtes de l’Insee, comme l’enquête sur l’emploi.

Il faudrait par ailleurs introduire dans ces enquêtes des questions autorisées par le Conseil constitutionnel, comme la manière dont les personnes pensent être perçues dans l’espace public (par exemple comme blanc, noir, métis, maghrébin, asiatique, etc.). Cette désinvisibilisation des minorités visibles dans la statistique publique est une étape essentielle pour lutter efficacement contre les inégalités les plus criantes.

Pierre Cahuc est professeur d’économie à Sciences Po Paris
Marie-Anne Valfort est professeure associée à l’École d’économie de Paris

Source : LeMonde.fr du 19/08/20