— Par Robert Lodimus —
Chapitre XVII
LA RÉSURRECTION
« Je mourrai face au soleil… »
(José Marti)
Beaucoup de philosophes tentèrent d’imposer leur propre définition du concept de « temps » dans ses dimensions complexes et controversées. Platon et Aristote l’abordèrent en tant qu’« image mobile de l’éternité ». Martin Heidegger dans « Être et temps » le considérait comme un aspect lié au fondement de la condition de l’individu tout le long de son parcours existentiel. Selon Saint Augustin, le temps se définissait par le présent. Car le passé évoquait la mémoire, et l’avenir renvoyait à une situation d’éventualité. En ce qui touchait le futur, nous aurions pu lui trouver un registre sémantique plus ouvert : expectative, prévision, perception, espérance…
En définitive, ce fut entre la « naissance » et la « mort » que le temps exista. Et il pouvait être considéré comme la somme des instants – bons ou mauvais – qui se situaient dans l’intervalle mobile, versatile, mais aussi inamovible des pôles de l’existence : le début et la fin, donc l’Alpha et l’Oméga.
Le temps s’arrêta à la frontière de la « mort » et s’ouvrit sur le néant. Le premier était quantifiable, tandis que le dernier n’avait pas d’âge, et on l’appela « l’éternité ». Le généticien français, Albert Jacquard, aura compris plus tard – pour utiliser une paraphrase – que le temps existait seulement quand il se passait quelque chose.
À la Roche, la ouate de la vie était trouée par le désagrément, la précarité et la pauvreté qui cravachaient le quotidien des habitants. Le temps revêche, acariâtre s’étirait comme un élastique de fronde. C’est que, dans les situations de douleurs lancinantes et les conditions de privations extrêmes, il atteignait souvent la longueur de l’infini. La chanson de la bise morose se faufilait à travers les gouttes de pluie – que libérait le firmament funèbre – comme une symphonie de dissonance qui voyageait dans un amphithéâtre vidé. Le visage convulsé des éléments de la nature marquait déjà la fin d’un monde maléfique, attaché depuis des millénaires au rocher de la décrépitude et de l’incivilisation. Jacques Ellul, le philosophe français, parlait lui-même – dans un contexte sociologique différent – de la « déshumanisation de l’homme ». Le sociologue, l’historien du droit, le théologien luthérien ne pouvait trouver mieux, comme titre pour son ouvrage, que « L’empire du non-sens » : une caricature fidèle de l’effondrement de la raison engloutie par la passion irrationnelle et rapace. La Roche, malheureusement, n’aurait pas pu y échapper.
Le directeur de la morgue de l’Hôpital et les quelques préposés présents à cette heure, posa un regard effaré sur l’étranger. Sa posture corporelle, sa physionomie impressionnante, son physique majestueux, tout cela lui faisait ressembler à un chevalier du royaume de Camelot d’Arthur Pendragon, de l’époque médiévale. L’inconnu donnait l’impression d’avoir dérivé d’une exoplanète qui avait échappé aux observations d’Hipparque, de Copernic, de Ptolémée… Le « représentant des Immortels » portait sur sa tête un diadème qui reflétait ses éclats comme une plaque métallique exposée à la lumière du soleil méridien. Les travailleurs de la morgue avaient l’impression de se trouver subitement en présence d’un « prince déchu », écarté du royaume céleste et condamné à expier ses agissements répréhensibles – à l’instar de Prométhée, le voleur de feu – parmi les humains ? Les premières minutes de stupeur passées, les lèvres du « personnage fantasmagorique » – de la façon dont les pierres débaroulaient le morne Puilboreau – vomissait des paroles prophétiques et apocalyptiques. Il parlait directement au chef du pavillon où les macchabées poirotaient pour les rituels d’inhumation, alors que leurs âmes s’agenouillaient déjà devant le trône de Moros, le dieu de la mort violente, de la fatalité et du destin.
– Vous vous appelez Richard! Mais pour nous, vous êtes Silas. Votre nom incarne la loyauté, représente l’espoir, annonce le changement, symbolise la résurrection. Vous portez la lanterne sacrée qui va transpercer les entrailles des ténèbres; vous êtes l’esprit de guidance que la « Voix de l’Éternité » a choisi pour sillonner les vallées sans chemins, à la recherche du troupeau persécuté par le « Diable » à sept têtes. Cette « Voix » fut, lorsque rien n’existait; et Elle sera, quand tout disparaîtra. C’est Elle qui commande la Terre, l’Eau, le Feu et l’Air pour le bonheur des sages, et le malheur des méchants. Elle seule détient l’autorité de construire et la puissance de détruire… Silas, le Jour que vous guettiez, et pour lequel vous vous êtes sacrifié, est enfin arrivé. Que votre esprit se réjouisse de l’accomplissement des promesses du « Juge Suprême »! Le glas a sonné pour les fils du « soleil couchant ». La Roche , dans toute sa splendeur, dans toute sa magnificence, se réveillera parmi les troncs inanimés. Sa lumière rebrillera sur le monde. Vous avez beaucoup pleuré la dame qui se repose dans sa couche éternelle, parce que vous l’avez connue, parce que vous avez vécu parmi son peuple, parce que vous avez partagé sa misère. Les paysans de La Roche vous ont recueilli. Ils vous ont traité avec toute l’estime, tout l’amour, toute la solidarité, toute la sensibilité, toute la loyauté et toute la fidélité qui caractérisent les gens de campagne. En retour, vous les avez instruits, vous leur avez appris à devenir des êtres humains, des individus éclairés, capables de défendre leurs droits, de protéger leurs intérêts, de préserver, par-dessus tout, les trésors précieux de la nature contre le vol et le gaspillage. Je suis moi-même le « fruit » légitime des entrailles de La Roche! Le « Maître » – comme le prophète Moïse le fit à la mer Rouge au moyen de sa canne mystique – engloutira les méchants et retournera les cadavres à la vie. Il vous a envoyé en ces lieux pour que vous soyez le premier témoin de sa Grandeur, de sa Puissance et de sa Miséricorde. Vous ne serez pas parmi les victimes de sa Colère, mais parmi les vivants et les Lazare. Par la force de sa Justice, Il ressuscitera l’espoir, ranimera la dignité, ramènera la confiance et rétablira l’honneur de l’humanité dévoyée.
Richard bascula dans l’étonnement. Il plia le menton vers la poitrine. D’où venait ce « personnage énigmatique » qui lui révélait sa vie passée, dévoilait sa vision humaniste, déshabillait ses sentiments patriotiques et démasquait ses velléités progressistes, se demandait-il ? Il se souvint très bien du matin où il se rendait à son cabinet d’avocat situé à quelques centaines de mètres de la résidence familiale. Ses parents basculaient graduellement dans la sénilité. Il n’avait pas voulu se séparer d’eux. Dès son retour de La Roche, Richard, comme il l’avait souhaité, termina ses études en sciences juridiques et devint membre du Barreau du tribunal de sa ville natale. Me Richard s’était fait plutôt le défenseur des indigents confrontés à des problèmes de justice et de droit, dans une société qui, comme toujours, s’acharnait contre les faibles et les démunis. À l’instar du militant et combattant cubain, Josée Marti, il sillonnait les villes et les campagnes à la recherche des causes défendables. Me Richard avait plaidé devant tous les tribunaux de la République. Le fait pour lui de gagner ses procès lui valait l’inimitié des collègues jaloux, qui allaient même jusqu’à en vouloir à sa personne. Le juriste avait échappé, par miracle, à une dizaine de tentatives d’assassinat. Et puis la « Voix mystérieuse » avait commencé à troubler ses journées… Elle se manifestait à la même heure.
« Silas, à la morgue de ta ville tu verras la Lumière pointer vers les ténèbres. Tu vivras là, parmi les chairs sans souffle, et tu attendras « celui » qui portera la couronne de feu sur sa tête. Tu marcheras à ses côtés. Ensemble, vous vaincrez les « sept empires du septentrion », ceux-là qui détruisent la Création. »
Richard avait compris tout de suite ce qu’il lui fallait faire. Malgré son âge, il abandonna son cabinet, utilisa son réseau de connaissances, et se fit installer à la direction de la chambre mortuaire, d’où il eût attendu durant sept années, avant que la prophétie se fût matérialisée.
L’« étrange missionnaire » – on aurait dit l’équivalent d’un hadji dans la religion musulmane – s’adressa une autre fois à Richard :
« Silas, tu as vécu une grande partie de ton existence parmi les morts. Désormais, tu vivras au milieu des vivants! »
Aussitôt que ces paroles avaient été prononcées, les portes du funérarium fracassaient le vide du chaos. Elles s’ouvrirent et se refermèrent avec un excès de rage qui pouvait faire palpiter le cœur et trémuler les jambes. Des rafales de vents d’une rare intensité mitraillèrent les flancs de la ville. L’ensemble de la population, tel un capitaine de navire qui avait perdu la tramontane, fut pris de panique. Elle montrait des comportements irrationnels, qui s’apparentaient à l’agoraphobie. Les immeubles avaient du mal à résister sous le poids de l’impétuosité de l’ouragan. Ils craquaient à la manière de vieux planchers de bois, puis s’affaissèrent les uns sur les autres comme des châteaux de sable fouettés par les vagues de l’océan. Les arbres sortirent de terre pour aller s’écraser contre les pans de mur et les toits des maisons violentées. Le ciel se pommela. Et en « l’espace d’un cillement », ses larmes matraquèrent la cité tourmentée, qui succomba pitoyablement à la catastrophe ex abrupto. Le sol se fendit, se fissura pour déglutir – à la façon d’un crocodile des marais – les humains désorientés, qui tentaient d’échapper à la rapacité des éléments déchaînés. La voix des vents semblait interpréter une poésie mélique, annonciatrice d’événements prodigieux, inimaginables, indescriptibles… Seul le réceptacle des cadavres avait tenu le coup. Partout, les exorcistes de la « Diablerie » s’étaient mis à l’œuvre. La « Création » déloyale était en train de rendre des comptes à son « Créateur tout-puissant ». Les cris de détresse couvraient l’univers.
L’« homme » leva ses bras disposés en « crux immissa » et prophétisa sur le devenir de l’humanité rebelle, incrédule et égocentrique. Sa gorge – comme « Les canons de Navarone [32}» – gronda des mots qui ressemblaient au jargon énigmatique de Nostradamus, dans son ouvrage de vaticination, « Les Centuries ».
« La promesse s’accomplira,
Comme la langue de feu
Venue de nulle part
L’a inscrit sur le muret
De pierre sacrée.
Le temps des méchants
Chevauche déjà le vent.
Pesé sur la balance
Des victimes,
N’a –t-il pas été condamné
À subir le plus grand
Et le dernier des châtiments ?
La lame de l’intégrité
Décapitera l’iniquité.
Et le sang des enfers
Coulera jusqu’aux lisières
Des prophéties
Du Millénaire,
Afin de réincarner
Les oracles martyrs.
Le soleil glorieux
Descendra de sa tanière,
La fumée maudite
Montera aux cimes
De la souffrance,
Et on entendra
Le craquement des âmes
Jusqu’aux portes du midi céleste.
J’appelle les trois rayons
Purificateurs de la matière
Et protecteurs des esprits.
Trois rayons,
Trois symboles,
L’eau, l’air, le feu,
Qui incarnent
Les forces matérielles
Et immatérielles,
Capables de rayer
Les hiéroglyphes des malheurs.
Ô Puissances invisibles,
Ordonnez aux éléments
De fléchir et d’obéir à ma voix.
Ô souffle de vie,
Par la Faveur
De Celui qui est Juste,
Par la Puissance
De Celui qui chasse
Les ténèbres du néant,
Et par l’obéissance
De son fervent et loyal serviteur,
Je vous demande
D’agiter les ondes mystiques,
Pour que reviennent,
Dans le cercle des vivants,
Les corps sans esprit.
Femme des calamités,
Toi qui sommeilles
Parmi les dignes
Et les indignes,
Les pauvres
Et les riches,
Les ignorants
Et les savants,
Les vieux
Et les jeunes,
Les sujets
Et les rois,
Le Maître par l’élève
Commande et ordonne
Que s’ouvrent tes yeux
À la clarté du soleil !
Qu’il soit fait incessamment
Ce qui est commandé
Et ordonné,
Et que par toi-même,
L’esprit reprenne possession
De la chair!
Qu’il en soit ainsi
Selon le Pouvoir du Maître
Et l’imploration du disciple !
Ainsi il en est fait!
Et seulement ainsi
Il en sera fait!
Ô morts
Emprisonnés dans les dédales
De la léthargie éternelle,
Revenez dès cet instant
Où je le commande,
L’ordonne
Et le déclare,
Au Royaume des lumières!
Que la vie soit!
Que la vie soit!
Que la vie soit!
Sitôt que l’envoyé du « Conseil des Forces immatérielles » avait terminé son incantation, qu’une armée de papillons tricolores, blancs, rouges, verts, envahissait l’espace mortuaire où étarquaient les corps cadavériques – certains depuis plusieurs jours – dans les cellules réfrigérantes. La myriade de bestioles virevoltaient, tournoyaient dans la salle pénombreuse, graciée par le temps qui dissolvait le paysage comme du sel dans l’eau bouillante. Au même moment, les yeux des cases réfrigérées s’écarquillèrent, et les corps inertes, plongés dans l’obscurité opaque, revinrent à l’éclairage de la nature. Les papillons disparurent comme par enchantement. Les dépouilles déployées sur les tables réfrigérantes, en attente de leurs obsèques, se redressèrent simultanément. Parmi elles, il y avait la vieille dame repêchée depuis trois jours dans l’océan verdâtre. Richard s’était chargé de lui organiser des funérailles décentes, car il l’avait tout de suite reconnue parmi les défunts auxquels l’institution réservait un enterrement indigent. Francesca se leva la première et marcha à la rencontre de l’étranger et de Richard. Les cadavres appartenaient à tous les milieux sociaux. La finitude de la vie les avait transportés sur l’axe du statut égalitaire. Là où ils seraient allés, les distinctions sociales, les barrières économiques étaient inexistantes. Platon opinait : « Mourir n’est pas mourir, mes amis, c’est changer. La vie est le combat, ma mort est la victoire. Et cet heureux trépas, des faibles redouté, n’est qu’un enfantement à l’immortalité. » Et l’immortalité, dites-vous bien, commença à la frontière de l’irréel. Ceux-là qui en revenaient, les simples mortels, n’eurent souvenance que d’un vide enténébré. « Le néant n’a point de centre, et ses limites sont le néant », pour citer Léonard de Vinci. Dès sa naissance, l’être humain fut captif de la vie, il chemina dans l’expectative, jusqu’à ce que la mort le libérât. Les efforts qu’il déploya pour conserver son existence ne firent que prolonger l’état de sa misère, de sa souffrance et de sa situation de captivité. « Ce n’est rien de mourir, c’est affreux de ne pas vivre », écrivait Victor Hugo dans « Les Misérables ». Ce fut son personnage charismatique, Jean Valjean, qui prononça cette phrase subliminale dans le « livre 9 ». Francesca avait sans doute épinglé ces paroles à son âme, avant qu’elle posât l’acte ultime qui endiguait sa désespérance. Et c’est donc vrai qu’une vie mal vécue, sans amour, sans joie, ne valait pas la noblesse et le bonheur de l’éternité. Car, en tout temps, il avait fallu le sourire radieux du soleil, pour que le printemps remplaçât la saison de l’hiver sur le visage blêmi de l’existence humaine.
Dehors, les quartiers frileux se tortillaient dans des chantepleures de cauchemars. Les ruelles ensevelies sous les décombres des bâtiments effondrés, aplaties sous les bayahondes, les ormes et les chênes déracinés hurlaient de frayeur. Des morceaux de mobiliers, entraînés sur des distances inévaluables, paonnaient dans les airs, avant d’aller écorcher l’épiderme de la terre. On aurait imaginé que l’univers était revenu au siècle de Noé, le petit-fils de Mathusalem, à l’époque pervertie de Loth, ou à la nuit terreuse de Belschatsar, au moment de la conquête de Babylone par le roi Cyrus.
Les carillons des cloches du sanctuaire anagogique épandaient partout la fébrilité d’une renaissance effective des êtres et des choses. Le « grand chambardement » avait apporté ses troubles, mais aussi ses victoires et ses joies. Les « tam-tams » des tortures et des mutilations s’étaient tus dans la forêt des calamités, des humiliations et des souffrances. Le réalisateur gabonais, Philippe Mory, décédé en 2016, avait évoqué – dans un contexte différent – « le silence des tam-tams. »
L’ « individu ésotérique » posa un regard émotionnel et affectif sur la vieille revenante. Les trois jours de « repos inertiel » dans la glacière mortuaire n’avaient pas froissé la mémoire de la Rochoise. Et son visage resplendissait incroyablement, comme les joues éclairées à la lueur des bougies qu’on pouvait contempler dans les toiles du peintre Georges de La Tour. L’« Hérault insolite » écarta légèrement ses lèvres et susurra avec tendresse :
– Maman Francesca, me reconnais-tu ? Je suis Sauveur…! Sauveur, ton fils pour lequel tu as tellement souffert… Tu vois, je suis revenu. Désormais, l’espoir qui a germé en toi ne languira plus en vain. Je suis revenu aussi pour Silas, enfin pour tous les camarades qui ont attendu avec patience et courage ce moment de vérité, de triomphe et de gloire. Nous rebâtirons le monde. Il y aura une nouvelle La Roche, d’autres Siliane, des Joanel, des Oracius, des Pauline, des Lebon, des Espérandieu, des Mélanie, des Soimène… Tous, ils reviendront sous des traits différents, certes, mais avec le même esprit de familiarité, le même sentiment de solidarité, le même élan de générosité et le même penchant d’amour. Ils participeront au grand « coumbite » de la reconstruction de l’univers, selon la volonté du « Grand Architecte ». Tout se fera au même instant. La Roche sera rebâtie sur les cendres de sa destruction. Elle déploiera sa grandeur, exposera sa beauté, déroulera sa prospérité… Et son hospitalité s’étendra de l’Orient à l’Occident.
Les Rochois n’avaient donc pas souffert pour rien, pour évoquer sournoisement Émile Zola. Mère et fils se jetèrent l’une dans les bras de l’autre. Les ressuscités – ils étaient au nombre de « cent quatre-vingt-quinze » – formèrent un anneau vivant autour de Sauveur, de Francesca et de Richard, les trois personnages symboliques qui avaient provoqué ce « déluge de mystères ». Ce fut un jour d’exultation mémorable, un moment de liesse inoubliable pour les habitants de la terre. Les éléments cosmiques, détournés de leurs objectifs réels par les empires dominants pour faire le « Mal », avaient repris leurs places respectives, afin de continuer à exercer leurs fonctions originelles, essentielles à la survie et à la conservation des espèces animales et végétales. Les miraculés entonnèrent un cantique solennel, une sorte de magnificat qu’ils n’avaient appris nulle part, et qu’ils reprenaient comme une antienne d’exultation pour baliser leur renaissance sur le macadam d’un nouvel ordre mondial. Le cosmos s’était enfin débarrassé de sa pelisse de mauvaiseté, pour enfiler une tunique incolore de « sodaliciocratie [33] ». Désormais, l’existence humaine n’était plus cette bête féroce qui dévorait « les pauvres gens » que décrivait Victor Hugo, et « les mangeuses de soupe » dont parlait Arthur Rimbaud. Le ciel nébuleux retrouva brusquement la brillance génésiaque de son soleil, de sa lune et de ses étoiles. Le rêve du père Bonnemort [34] finalement avait éclos. Toutes les choses anciennes étaient passées; voilà, toutes choses furent devenues nouvelles [35].
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Postambule
Pour faire avancer les chevaux de la Liberté,
Il nous faut des éperons de Solidarité.
(Robert Lodimus)
Chers camarades,
Après la lecture de cet ouvrage, vous avez gardé probablement en mémoire des noms qui synonymisent la misère, la souffrance, l’injustice, la torture ; mais surtout la résistance, le courage, la persévérance, la solidarité et l’espoir. Le village des Rochois – vous le savez déjà – ne figure sur aucune carte géographique. La Roche et ses valeureux habitants font partie des mille et une légendes qui foisonnent dans l’imagination des poètes, des romanciers, des dramaturges… Ce livre – en dépit du sort qui lui sera réservé dans les milieux insensibles à la tragédie de l’univers – voudrait inviter à une prise de conscience globale. Si les êtres humains n’ont pas la capacité d’inventer un autre monde, ne peuvent-ils pas tout au moins empêcher que celui qu’ils ont hérité de la « Création » se défasse ?
Robert Lodimus
(Prochaine publication : L’inconnu de Mer Frappée, roman sur la première période du duvaliérisme)
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Notes et références
[1] Une histoire de vent : dernier film du cinéaste néerlandais, Joris Ivens, réalisé en 1988.
[2] La Longue marche : périple de plus d’un an entrepris par le parti communiste chinois sous la direction de Mao Tsé-toung pour échapper à l’armée du Kuomintang de Tchang Kaï-Chek durant la guerre civile. 90 000 à 100 000 hommes périrent dans cette aventure prodigieuse.
[3] Fen : évocation du confucianisme.
[4] Azazel : personnage biblique.
[5, 6] Montaigu et Capulet, les deux familles ennemies de la pièce Roméo et Juliette de Shakespeare (1597).
[7] Proverbe haïtien.
[8] Code noir : recueil de lois et de règles auxquelles sont soumis les esclaves noirs des colonies françaises, y compris leurs « propriétaires ». Le Code noir a été rédigé par Colbert à la demande de Louis XIV. Il définit les droits du « maître » sur son esclave.
[9] Valenzuela, colon espagnol et propriétaire d’esclaves indiens. Le Cacique Henri le vainquit dans le Bahoruco et prononça ces paroles célèbres envers son ancien maître: « Allez remercier Dieu de ce que je vous laisse la vie et si vous êtes sage, ne revenez plus ici. »
[10] République dominicaine.
[11] Mahmoud Darwich, poète palestinien, né le 13 mars 1941 à Al-Birwa et décédé le 9 août 2008 à Houston.
[12] Tahar Ben Jelloun, écrivain, poète et peintre franco-marocain, lauréat du prix Goncourt pour son roman La Nuit sacrée.
[13] « Femme-jardin », Le paysan haïtien, Rémy Bastien : concubine paysanne qui aide son homme dans les travaux des champs.
[14] Gustum vitae : le goût de vivre.
[15] Leçon : procédé consistant dans le code vaudou à consulter un houngan pour connaître l’avenir.
[16] Traverser : mourir ; dans la religion vaudou, les serviteurs des « esprits », selon les croyances populaires, ne meurent pas. Ils passent plutôt du monde matériel à l’univers spirituel.
[17] Alada : l’espace mystique où vont vivre les initiés vaudou, après la mort.
[18] Loko, dieu vaudou, maitre des guérisseurs et des plantes, premier houngan ou prêtre vaudou, époux de la déesse Ayizan.
[19] Ayizan, déesse africaine, première mambo ou prêtresse vaudou, épouse de Loko.
[20] Ayibobo : Ainsi soit-il.
[21] Mbamawu : Le Grand Maître dans la mythologie africaine.
[22] Hounfor : temple vaudou.
[23] Ballade de Narayama, film japonais de Shōhei Imamura sorti en 1983, adapté de la nouvelle de Shichirō Fukazawa.
[24] Ogou Ferraille, dieu de la guerre dans la mythologie africaine…
[25] Dragon de Colchide, gardien de la Toison d’Or, dans la mythologie grecque.
Il est le fils de Typhon et d’Echidna.
[26] Conzé, le traître qui a trahi et livré aux Yankees le révolutionnaire haïtien Charlemagne Péralte, chef de la résistance contre l’occupation étatsunienne de 1915 à 1934.
[27] Le bourreau de Venise, film de Luigi Capuano, sorti sur les écrans en 1964.
[28] Campesinos : paysans.
[29] Madame Lalaurie, de son vrai nom Marie Delphine de McCarthy ; elle a assassiné près d’une centaine d’esclaves noirs en Louisiane (Nouvelle-Orléans).
[30] Balaguère : vent venu du Sahara, traversant l’Espagne et soufflant dans les Pyrénées.
[31] Pierre de Ronsard, Je n’ai plus les os.
[32] Les canons de Navarone (The Guns of Navarone), film de guerre anglo-américain du réalisateur J. Lee Thompson, sorti sur les écrans en 1961, inspiré du roman d’Alistair MacLean.
[33] Sodaliciocratie, concept inventé par Robert Lodimus : système politique, social, économique et culturel basé sur la solidarité mutuelle.
[34] Père Bonnemort, personnage de « Germinal », un roman d’Émile Zola, publié en 1885.
[35] Idée inspirée de la Bible, 2 Corinthiens 5 :17 : « Les choses anciennes sont passées ; voici, toutes choses sont devenues nouvelles. »