« La Martinique avance » ou du destin contrarié d’un slogan politique

— Par Serge Harpin —

martinique_avance_ou_pasLa première attestation de la formule dans l’espace public Martiniquais date du « deuxième plan de relance régional » (2013). Ce devait être un coup médiatique pour signifier, sur un temps qu’on voulait long – la durée de la « relance » – un changement radical, voire, pour les plus exaltés, « révolutionnaire » dans la conduite des affaires locales dans ce « confetti de l’Empire » (J.-C.GUILLEBAUD,1976) où on joue à « l’État Nation » (1).

L’idée, on l’aura bien compris, était de combiner la dynamique créée par « la relance » et une campagne de communication politique d’envergure. C’était de bonne guerre. Dès lors, l’enjeu de « la relance » n’était plus simplement économique mais aussi – et on pourrait même dire « mais surtout » – politique avec cette obsession de l’image et de la mise en scène. Ainsi, la multiplication et la répartition méticuleusement pesées, et calculées des chantiers sur tout le territoire ne relevaient pas seulement d’un souci de programmation pertinente et efficace des travaux mais également et très fortement d’un parti pris électoraliste. La priorité accordée aux chantiers routiers, dont certains de pure circonstance ou d’affichage, n’échappe pas à cette logique de la monstration ou du « donné à voir » théâtralisé.

Chaque chantier, c’était les ordres de Plateau Roy, devait arborer, en sus des panneaux réglementaires, la bannière à la récente devise de l’EPMN : « La Martinique avance ». Une manière de sommation à grande échelle à l’adresse des conducteurs et passagers des milliers de véhicules en circulation chaque jour sur les routes de l’île. L’intention, en dépit des dénégations d’une flagrante mauvaise foi, n’était pas bien évidemment d’informer. La formule, en effet, ne dit strictement rien sur ce à quoi (les travaux) on prétendait la référer ; sauf à se lancer dans des déductions ou extrapolations abstraites, abusives et extravagantes. En revanche, le contenu du message trahit un douteux dessein soigneusement dissimulé par ses émetteurs : inscrire dans les consciences et/ou les inconscients, sous l’habillage neutre d’une information de service public, le slogan de campagne pour la CMT de la majorité au pouvoir.

Du jamais vu dans l’histoire politique contemporaine de la Martinique, tout au moins sous une forme aussi élaborée et un mode aussi cynique (2) qui rappelle les procédés de conditionnement de l’opinion et des individus dans pays totalitaires. Cela n’a rien à voir, pour donner un élément de comparaison, avec la mention « La Région en action » figurant à la demande de cette même majorité à proximité des chantiers de la « première relance » entre 2010 et 2013. Combien même celle-ci valorisait ou connotait positivement le Maître d’ouvrage, elle gardait néanmoins une forte valeur dénotative ou descriptive en verbalisant un procès se rapportant directement à des activités en cours.

Le préposé à l’imaginaire, les communicants attitrés et l’aide de camp (l’indéfectible « soldat ») qui avaient forgé la formule et concocté ce qu’ils pensaient être une brillante opération de communication politique avaient apparemment des raisons d’être satisfait. Cette expression ramassée et clinquante, « La Martinique avance », apportait opportunément au « Chef » l’élément pivot qui articulerait ce qu’il se croyait en droit de revendiquer comme étant les « grandes » réalisations de « sa » mandature. Des réalisations à notre sens quelques peu problématiques, mais qu’il voudrait nous obliger à penser ou à percevoir comme des prémices d’une entrée réussie de la Martinique dans ce nouveau siècle. Citons-en les principales : le TCSP, soit onze kilomètre qui feront définitivement de la Galleria « Ma ville à moi » ; l’extension du port, avec un saccage irréversible des fonds marin et une dépendance accrue à l’économie de comptoir ; la Tour fantomatique de la Pointe Simon, dont on s’interroge encore sur l’origine des financements étrangers ; le projet d’une centrale flottante exploitant l’énergie thermique des mers, curieusement muet sur le profit économique et écologique par rapport au coût et à l’entretien ; et enfin, l’improbable Cyclotron…

La reprise et le « martelage » dans les discours et les interviews de la formule, y compris par l’allié socialiste de passage, le Président François HOLLANDE, attestent, s’il subsistait encore un doute, de son caractère fondamentalement partisan. Le slogan s’apparente, pour ceux qui sont aux commandes à Plateau Roy et veulent le rester à la CTM, à un bilan conçu pour asseoir un argumentaire de campagne, un bilan par conséquent biaisé. C’est ce qui justifie d’ailleurs le choix du présent de l’indicatif, par conséquent de l’assertif – ce qui est dit est donné pour vrai par celui qui parle, plutôt que de l’interrogatif, par exemple : « Comment faire avancer la Martinique ? » ou du prescriptif tel « la Martinique doit avancer ! » ou encore « Faisons avancer la Martinique ! ». Le présent de l’indicatif à la troisième personne du singulier marque dans le contexte un accomplissement, un déploiement auquel nous sommes conviés mais comme témoin -spectateurs et non comme acteurs. Il révèle ainsi, à l’insu de nos champions de la « relance », l’idéologie technocratique et « messianique » constitutive de la dite « Nouvelle Gouvernance ». Une idéologie régressive où seul « le chef » et ses experts seraient à même de changer le cours des choses, le cours de l’histoire. Les citoyens dont les droits politiques se trouvent alors réduits à leur bulletin de vote sont invités – la personnalisation de l’offre politique et la propagande aidant, à s’en remettre aveuglément à ceux-ci. C’est la « Démocratie consentante » par opposition à la « Démocratie citoyenne » dont parle G.BURDEAU (1956, La Démocratie éditions du Seuil, rééd. 1966 et 1969) et qui prospère en Martinique à la faveur de la capitulation des intellectuels et des classes moyennes.

Si ce qui précède est vrai, nous en avons en tout cas la conviction, alors il faut en guise de conclusion en tirer impérativement une double conséquence :

1/ La première est qu’au vu des faits, il y a une forte présomption d’infraction au « don prohibé ». C’est la qualification juridique consacrée. Le Code électoral interdit strictement, en effet, toute aide ou « don » des collectivités territoriales à la campagne d’un candidat pendant l’année qui précède les élections (article L52-8). Le retrait des panneaux incriminés il y a 2-3 mois n’est pas, à notre sens, sans rapport avec cette considération. Les tags n’ont été qu’un alibi pour les enlever sans perdre la face et sans ébruiter l’affaire.

2/ La seconde conséquence est que puisque le « don prohibé » introduit, de fait, une rupture d’égalité entre les candidats ou les listes en concurrence, les oppositions pourraient demander aux juridictions compétentes de la rétablir en intégrant le montant du « don prohibé » aux comptes de campagne de ceux qui en ont profité.

Et voilà en définitive comment le destin prometteur d’un slogan politique flamboyant se trouve être aujourd’hui passablement contrarié et cela du seul fait de la difficulté chronique de ses promoteurs à fonctionner en Etat de Droit.

Schoelcher le 03 juillet 2015

(1) Le dernier exemple de ce simulacre « d’Etat Nation Martiniquais » est le récent « Sommet des CaraÏbes sur le climat », où d’aucun s’enorgueillissait de co-détenir le premier rôle, alors que l’événement s’inscrivait, au-delà du motif du climat, dans une problématique d’ajustement de la stratégie d’influence de la France dans la zone des Petites Antilles dont nous ne serions que des petites mains. On peut parler ici « d’idiot utile ». La qualification, dont on attribue la paternité à LENINE, s’applique à ceux qui croyant servir les intérêts d’une cause ne sont en réalité que des pions dans le jeu des autres.

(2) Le cynisme est fonde sur un profond mépris des hommes.