« La majorité des problèmes de santé mentale débute avant l’âge de 14 ans »

L’ensemble de la communauté pédopsychiatrique française lance, dans une tribune au « Monde », un cri d’alarme sur la situation de la pédopsychiatrie, déjà en grande difficulté avant la pandémie et qui l’est encore plus actuellement, pénalisée par la pénurie de spécialistes.

Tribune. La pédopsychiatrie en France a besoin de l’aide du président de la République. Les besoins pour assurer la santé mentale de la jeunesse de notre pays sont criants. Ce n’est pas tant la supplique d’une profession trop longtemps oubliée des pouvoirs publics qui nous incite à interpeller Emmanuel Macron – vous avez commencé à y répondre et nous y sommes sensibles –, mais bien la perspective d’une carence massive des soins psychiques adaptés et essentiels pour notre jeunesse qui s’annonce, du fait d’un manque croissant de professionnels formés. Un rapport sénatorial très complet en témoignait déjà en 2017.

La majorité des problèmes de santé mentale débute avant l’âge de 14 ans. Ils sont d’autant plus susceptibles d’impacter l’avenir de l’enfant qu’ils ne sont pas détectés, ni traités, ce qui est actuellement le cas d’une large proportion d’entre eux, comme le souligne un récent rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Délais interminables

La liste du mal-être et des souffrances des jeunes est loin d’être exhaustive, sans oublier ni l’explosion actuelle des besoins des jeunes, amplifiés par le contexte épidémique, et qui augure des besoins durables de soins, ni les questions essentielles des maltraitances, qui elles aussi requièrent notre intervention du fait des répercussions psychiques.

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Pour l’heure, en France, pour environ 200 000 enfants qui auraient besoin de soins, seuls 600 pédopsychiatres (deux fois moins qu’il y a dix ans) sont disponibles. Cet état de fait entraîne des délais d’accès aux soins interminables et insupportables pour les patients et leurs familles. A cela s’ajoutent des capacités d’hospitalisation toujours insuffisantes et très inégalement réparties.

En faisant état de cette réalité quotidienne et inquiétante, nous souhaitons vous interpeller afin de mobiliser et d’engager les moyens et les réformes nécessaires. Bien sûr, et nous l’avons noté avec espoir, des signaux positifs ont été envoyés à la pédopsychiatrie par votre gouvernement. On ne peut que s’en féliciter, même si le temps nécessaire à percevoir leurs effets peut paraître encore bien long, ce d’autant que la réforme du financement de la psychiatrie, et donc de la pédopsychiatrie, envisagée n’a pas encore été mise en œuvre.

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Mais que seraient des moyens financiers supplémentaires sans professionnels formés et en nombre pour les mettre à profit au bénéfice des patients et de leurs familles ?

Capacités de formation insuffisantes

Former, c’est aussi à ce défi que nous sommes confrontés, et nous ne disposons pas en l’état des moyens nécessaires pour le relever. C’est pour cela que nous sollicitons une action rapide et concrète de votre part, Monsieur le Président. Les capacités de formation de pédopsychiatres étaient déjà insuffisantes avant 2017, mais la réforme de l’internat les a très sévèrement réduites. Cela, si rien n’est mis en place, conduira à une véritable catastrophe.

Passer en effet de deux stages obligatoires de pédopsychiatrie à un seul sur les huit que compte l’internat réduit la formation minimale indispensable à tout psychiatre. De plus, les internes doivent annoncer leur choix de choisir ou pas cette orientation, alors que la plupart d’entre eux n’ont pas encore effectué de stage de pédopsychiatrie. Enfin, donner à notre discipline le statut « d’option » avec des quotas très limités ne valorise pas la pédopsychiatrie alors que nous avons un rôle majeur dans la prévention du développement des troubles psychiatriques.

La pénurie de pédopsychiatres est telle que de très nombreux postes ne sont pas occupés et qu’un psychiatre n’ayant réalisé qu’un seul semestre en service de pédopsychiatrie durant sa formation d’interne peut exercer en pédopsychiatrie. Dans bien des territoires, pallier les carences les plus immédiates prévaut sur l’exigence des compétences. Malgré cela, il est fréquent que dans de nombreuses régions de notre pays, les équipes de pédopsychiatrie ne comprennent plus de pédopsychiatres.

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Cela ruine les projets d’amélioration des soins : parcours de soins gradués et coordonnés, parcours de vie, projets territoriaux de santé mentale, conseils locaux de santé mentale, plans régionaux de santé mentale, équité territoriale dans l’accès aux soins, couverture des besoins… Les très nombreuses collaborations avec les partenaires de la pédopsychiatrie – psychologues, orthophonistes, psychomotriciens, ergothérapeutes, diététiciens, services sociaux, services judiciaires, éducation nationale, secteur médico-social, associations – sont déjà réduites et menacées à moyen terme.

Revalorisation des actes

Pour assurer son avenir, la pédopsychiatrie française a besoin d’être une filière de formation visible et attractive disposant pour cela des moyens nécessaires, comme c’est le cas pour bon nombre d’autres disciplines médicales et chirurgicales. La pédopsychiatrie a besoin de renforcer et structurer ses capacités de formation. Une commission sous l’égide du Collège national des universitaires de psychiatrie (CNUP) est en cours pour réfléchir à une évolution indispensable de son statut pour faire face aux immenses défis qui sont les siens, et éviter une évolution catastrophique.

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La pédopsychiatrie française, pour être attractive, et ainsi développer le secteur ambulatoire de ville en complément du secteur public, a aussi besoin d’une revalorisation des actes de consultation, comme cela a pu être fait avec succès en Belgique notamment. Une consultation de pédopsychiatrie est longue. Elle doit être tarifée en conséquence. La gradation et la continuité des soins requièrent cette synergie ville-hôpital.

La pédopsychiatrie française ainsi refondée rejoindrait alors l’immense majorité des pays de l’Union européenne qui ont su depuis plusieurs années prendre le virage d’une formation approfondie. Pour s’approcher des standards européens, au moins six semestres de stage en service de pédopsychiatrie permettraient une formation complète pour augmenter l’attractivité et la performance, et développer une pédopsychiatrie structurée, en mesure de faire face aux besoins de la jeunesse.

Pour toutes ces raisons, nous demandons au président de la République de porter une politique de santé mentale ambitieuse pour les enfants et les adolescents dans notre pays.

Liste des signataires. L’ensemble des pédopsychiatres hospitalo-universitaires français : Gisèle Apter, professeure des universités-praticien hospitalier (PU-PH), hôpital du Havre, université Le Havre-Normandie ; Florence Askenazy, PU-PH, hôpitaux pédiatriques de Nice CHU-Lenval, université Côte-d’Azur ; Amaria Baghdadli, PU-PH, CHU de Montpellier, université de Montpellier ; Jean-Marc Baleyte, PU-PH, hôpital intercommunal de Créteil, université de Paris-Est-Créteil, membre du CNUP ; Thierry Baubet, PU-PH, hôpital Avicenne, université Sorbonne-Paris-Nord, membre du Collège national des universitaires de psychiatrie (CNUP) ; Xavier Benarous, maître de conférences des universités-praticien hospitalier (MCU-PH), CHU d’Amiens-Picardie, université de Picardie-Jules-Verne ; Frédérique Bonnet-Brilhault, PU-PH, CHU de Tours, université de Tours ; Olivier Bonnot, PU-PH, CHU Saint-Jacques, université de Nantes, secrétaire général du CNUP ; Manuel Bouvard, PU-PH, hôpital Charles-Perrens, université de Bordeaux ; Guillaume Bronsard, PU-PH, CHRU de Brest, université de Bretagne-Occidentale, président de l’Association nationale des maisons des adolescents (ANMDA) ; David Cohen, PU-PH, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Sorbonne Université ; Angèle Consoli, PU-PH, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Sorbonne Université, membre du conseil scientifique Covid-19, membre du CNUP ; Maurice Corcos, PU-PH, Institut mutualiste Montsouris, Sorbonne Université ; David Da Fonseca, PU-PH, CHU de Marseille, Aix-Marseille Université ; Jacques Dayan, professeur associé, hôpital Guillaume-Régnier, université de Rennes-I ; Richard Delorme, PU-PH, hôpital Robert-Debré, université de Paris ; Philippe Duverger, PU-PH, CHU d’Angers, université d’Angers ; Bruno Falissard, PU-PH, hôpital Robert-Debré, université Paris-Sud ; Pierre Fourneret, PU-PH, hôpital Femme Mère Enfant, Bron, université Claude-Bernard-Lyon-I ; Cédric Galéra, PU-PH, hôpital Charles-Perrens, université de Bordeaux ; Nicolas Georgieff, PU-PH, hôpital Le Vinatier, université Claude-Bernard-Lyon-I ; Priscille Gerardin, PU-PH, CHU de Rouen, hôpital du Rouvray, université de Rouen-Normandie, membre du CNUP ; Ludovic Gicquel, PU-PH, hôpital Henri-Laborit, université de Poitiers, membre du CNUP ; Nathalie Godart, PU-PH, Fondation Santé des étudiants de France, université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines ; Antoine Guedeney, PU-PH, hôpital Bichat-Claude Bernard, université Sorbonne-Paris-Cité ; Fabian Guénolé, PU-PH, CHU de Caen, université de Caen-Normandie ; Jean-Marc Guilé, PU-PH, CHU d’Amiens-Picardie, établissement public de santé mentale (EPSM) de la Somme, Amiens, université de Picardie-Jules-Verne ; Jokthan Guivarch, MCU-PH, CHU Sainte-Marguerite, Aix-Marseille Université ; Renaud Jardri, PU-PH, CHU de Lille, université de Lille ; Catherine Jousselme, PU-PH, Fondation Vallée, université Paris-Sud ; Bernard Kabuth, PU-PH, hôpital d’enfants, université de Lorraine ; Jonathan Lachal, MCU-PH, CHU Clermont-Ferrand, université Clermont-Auvergne ; Claudine Laurent, MCU-PH, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Sorbonne Université ; Fabienne Ligier, MCU-PH, hôpital d’enfants, université de Lorraine ; François Medjkane, PU-PH, CHU de Lille, université de Lille ; Marie-Rose Moro, PU-PH, Maison de Solenn, Sorbonne Université ; Sylvie Nezelof, PU-PH, CHRU de Besançon, université de Franche-Comté, membre du CNUP ; Charles-Edouard Notredame, MCU-PH, CHU de Lille, université de Lille, membre du CNUP ; Bertrand Olliac, PU-PH, hôpital Esquirol, université de Limoges ; Lisa Ouss, professeure associée, hôpital Necker, université de Paris ; Hugo Peyre, PU-PH, hôpital Robert-Debré, université de Paris ; François Poinso, PU-PH, CHU de Marseille, Aix-Marseille Université, membre du CNUP ; Diane Purper-Ouakil, PU-PH, CHU de Montpellier, université de Montpellier, vice-présidente du CNUP ; Jean-Philippe Raynaud, PU-PH, hôpital Purpan, université de Toulouse ; Anne Révah-Lévy, PU-PH, hôpital d’Argenteuil, université de Paris ; Dalila Rezzoug, MCU-PH, hôpital Avicenne, université Sorbonne-Paris-Nord ; Anne-Catherine Rolland, PU-PH, CHU de Reims, université Reims-Champagne-Ardenne, présidente du CNUP ; Carmen Schröder, PU-PH, hôpitaux universitaires de Strasbourg, université de Strasbourg, présidente de l’Union européenne des médecins spécialistes-Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (UEMS-PEA) ; Mario Speranza, PU-PH, université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines ; Michel Spodenkiewicz, MCU-PH, CHU de La Réunion, université de La Réunion ; Susanne Thümmler, MCU-PH, hôpitaux pédiatriques de Nice CHU-Lenval, université Côte-d’Azur ; Sylvie Tordjman, PU-PH, hôpital Guillaume-Régnier, université de Rennes, présidente de l’Association des équipes mobiles en psychiatrie (AEMP) ; Lauriane Vulliez, MCU-PH, CHRU de Besançon, université de Franche-Comté ; Jean Xavier, PU-PH, hôpital Henri-Laborit, université de Poitiers.

Avec le soutien de : Patrick Belamich, Fédération des CMPP (association fédérant les centres médico-psycho-pédagogiques) ; Jean Chambry, PH, président de la Société française de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent et des disciplines associées (SFPEADA) ; Anne Dehêtre, présidente de la Fédération nationale des orthophonistes (FNO) ; Véronique Delvenne, PU-PH, hôpital Reine-Fabiola, Université libre de Bruxelles, Belgique ; Claudine Desobry, présidente du collège de pédopsychiatrie de la Fédération française de psychiatrie (FFP) ; Claude Gernez, président de la FFP ; Christophe Libert, président de l’Association des psychiatres de secteur infanto-juvénile (API) ; Pascal Mariotti, président de l’Association des établissements du service public de santé mentale (Adesm) ; Nicolas Raynal, secrétaire général de la Fédération française des psychomotriciens (FFP) ; Marie-Jeanne Richard, présidente de l’Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (Unafam).