La joie d’être de Jacques Schwarz-Bart

—Par Francis Marmande —
jazz_racine_haitiGrand absent du Nouveau Dictionnaire du jazz (Laffont, 2011), Jacques Schwarz-Bart (sax ténor) est une des meilleures nouvelles du jazz au XXIe siècle. Conscience, science, souffle, vie, la leçon des Antilles. Sonorité de messager des dieux, loyauté des rythmes, fureur incandescente, souplesse des mélodies jouées juste, juste la mélodie, capacité physique à rejoindre les sphères, tout concert de Jacques Schwarz-Bart dépasse de loin la musique. Cérémonie ? Oui, mais sans cérémonial. Avec son dernier album consacré aux racines vaudou du jazz, Jazz Racine Haïti (Motéma, Harmonia Mundi), Jacques Schwarz-Bart aggrave son cas.

Alternant incantations, mélopées peinardes, suraigus aylériens, il présente un groupe exceptionnel avec bonne humeur, raconte sa vie, son expérience, patine sur des plaisanteries douteuses, offre cette expérience de joie et de pensée qui dépasse de loin la musique.

Le groupe ? Sensiblement différent de l’album, il réunit la superbe Moonlight Benjamin (chant et danse), le génial celte Alex Tassel au bugle, le divin Stéphane Kerecki à la contrebasse, Claude Saturne aux tambours vaudous (tout une histoire), Arnaud Dolmen (batterie de catégorie). Plus Grégory Privat et sa formidable présence au piano. Soit, sous ce déluge d’adjectifs hélas trop exacts, un mélange des âges, des couleurs, des tempéraments, propre à fonder un groupe à des années-lumière du talent dont on se contente.

VAUDOU PRIS AU PIED DE LA LETTRE

Pourquoi ? Parce que Jacques Schwarz-Bart : Jacques Schwarz-Bart en maître de cérémonie, en agitateur pince sans rire, en meneur de bande, employé corps et âme à la musique, et à faire que la musique sorte de soi. Il peut se faire que les critiques tiquent. Comme si cette célébration des forces du vent, du tonnerre et de la lumière, du visible et de l’invisible, du vaudou pris au pied de la lettre, finissait par égayer.

Simple aboutissement provisoire d’une quête ? Des années de métier à New York, sans pitié pour le nouveau venu, créolophone qui plus est. Travail personnel sur les origines, le son, les formes, pour se rejoindre : Jazz Racine Haïti n’a rien d’une mixture, c’est bien pire. Les chansons vaudous lui viennent de la mère guadeloupéenne, Simone. Avec son meilleur sourire, saluant Simone à distance, Jacques Schwarz-Bart ose dire, à l’aube de la cinquantaine, qu’il est de ceux qui ont la chance de n’avoir pas réglé leur oedipe. Il chante donc sa voix à elle.

Il ne se donne qu’une injonction : « Au lieu des stratégies d’écriture de mes précédents albums, se placer debout face à des chants que la musique charge de mystique, tels quels. Sans les altérer. » En un temps où les artistes se cassent la nénette en studio pour graver une vingtaine de prises de chaque thème, son disque est tricoté de huit « premières prises » et deux « deuxièmes ». En scène, après une Contredanse aux faux airs de placidité furieuse, il ose : « En studio, franchement, ça aurait été une très bonne prise. »

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