La fulgurante hausse des hauts revenus

Les revenus des les plus aisés poursuivent leur envolée, selon les dernières analyses de l’Insee

— Par Jean Samblé —

Les travaux récents de l’Insee dressent un portrait sans équivoque de l’évolution des inégalités en France : en vingt ans, les revenus et le patrimoine des ménages les plus riches ont progressé bien plus vite que ceux du reste de la population, creusant un fossé qui ne cesse de s’élargir.

L’étude, qui s’appuie sur les données fiscales de 2022, révèle qu’environ un foyer sur mille appartient désormais à la catégorie des « très hauts revenus ». Pour intégrer ce groupe extrêmement restreint – un peu plus de 40 000 foyers – il fallait déclarer au moins 463 000 euros cette année-là. Leur revenu moyen avoisine pour sa part un million d’euros annuels, provenant en grande partie des revenus du capital (dividendes, plus-values, intérêts), bien davantage que des salaires ou retraites.

Un profil très spécifique : masculins, âgés et parisiens

Ces contribuables se démarquent nettement du reste de la population :

  • Ils vivent majoritairement en Île-de-France, particulièrement à Paris et dans les Hauts-de-Seine.
  • Le premier déclarant a en moyenne 56 ans.
  • Ils sont très souvent en couple marié ou pacsé.
  • Leur patrimoine combine biens immobiliers, placements financiers, assurance vie et souvent un patrimoine professionnel.

Parmi les salariés les mieux rémunérés, on trouve une présence notable de sportifs professionnels : plus d’un tiers du Top 100 des plus hauts salaires du privé est composé de footballeurs de Ligue 1. Les dirigeants d’entreprise et les cadres dirigeants complètent ce classement. Les femmes, en revanche, restent largement sous-représentées : elles ne constituent qu’un quart du top 1 % des salariés les mieux payés, et seulement dix figurent parmi les cent plus hauts revenus.

Un décollage spectaculaire des très hauts revenus depuis 2003

Les données de l’Insee montrent une accélération fulgurante des revenus des 0,1 % les plus aisés. Entre 2003 et 2022, leur revenu moyen a augmenté de 119 %, soit une hausse 2,6 fois plus rapide que celle observée pour l’ensemble des foyers fiscaux.

Les crises économiques successives ont provoqué des variations temporaires, mais la tendance de fond reste la même : la croissance des revenus du capital, la bonne santé des marchés financiers et la hausse de l’immobilier ont contribué à une progression quasi continue.

Résultat :

  • En 2003, ces foyers gagnaient 21 fois plus que la moyenne des autres contribuables.
  • En 2022, ils en gagnent 31 fois plus.
  • Comparés au quart le plus modeste des foyers, l’écart s’est envolé : de 95 fois plus en 2003 à 167 fois plus en 2022.

Une fiscalité qui n’a pas enrayé les inégalités

Bien que les très hauts revenus contribuent fortement au financement de l’impôt sur le revenu – près de 10,7 milliards d’euros en 2022, soit 13 % du total –, leur taux effectif d’imposition a diminué en vingt ans, passant de 29,2 % à 25,7 %.

Les évolutions fiscales expliquent en partie ce mouvement :

  • Sous François Hollande, l’intégration renforcée des revenus du capital dans l’impôt progressif avait temporairement freiné la distribution de dividendes.
  • Le quinquennat d’Emmanuel Macron a introduit le prélèvement forfaitaire unique (PFU), ou « flat tax », rendant la fiscalité des revenus du capital plus avantageuse et contribuant à la remontée rapide des revenus des ultrariches.

Une question politique brûlante

Ces constats apparaissent alors que le Parlement débat du budget 2026. Plusieurs mesures fiscales ciblant les plus aisés sont en discussion, parfois déjà réduites ou rejetées, comme la taxe Zucman, récemment écartée à l’Assemblée nationale.

Malgré l’introduction d’une contribution supplémentaire sur les très hauts revenus et d’une nouvelle taxe sur les holdings patrimoniales, l’avenir du paquet fiscal reste incertain, d’autant que les divergences entre Assemblée et Sénat s’annoncent profondes.