La France va mal, qui vit bien

— Yves-Léopold Monthieux —

La présente tribune peut être regardée comme un complément de mon précédent article : Emmanuel Macron a-t-il été élu trop tôt ? Au moment où tout le monde se veut adepte des Gilets jaunes et que les opportunistes se défilent :« moi je n’ai pas voté Macron ». La France a besoin de coups de pieds au cul est un aphorisme que j’ai souvent utilisé, notamment avant l’élection de Nicolas Sarkozy.

Trois idées ont présidé à mon analyse. D’abord, c’est l’un des pays où l’on vit le mieux en Europe et dans le monde, y compris avec ses DOM qui remplissent les croisières et ses festivaliers qui se lavent au champagne. Sauf que la France vit à crédit avec un endettement de plus de 1000 milliards d’euros. Son ouverture sur le monde devrait l’inviter à ne pas ignorer que des morts-de-faim se saignent à travers le monde et que pour atteindre un niveau de vie comparable à celui des Français, il faudrait à l’humanité une production de biens correspondant à 3 terres. Reste que les Gilets jaunes ont permis, dans une indéniable abondance, de mettre en évidence l’ampleur des inégalités : inégalités dans le partage des richesses, inégalités devant l’impôt, inégalités entre les territoires urbains et non urbains.

Ensuite, les Français sont hostiles à tout renoncement et à toute réforme qui les touche individuellement. Ce trait est spectaculaire dans la bouche des Gilets jaunes qui s’expriment sur les ondes. Alors que le mouvement est national, chacun d’eux s’exprime pour les autres, disent-ils, mais au travers de son « moi personnellement ». Enfin, depuis que la République existe, quand la société française va mal, il faut toujours un traumatisme pour la relancer. Ce n’est généralement qu’après avoir touché le fond qu’elle se redresse. Ce fut notamment le cas au lendemain de l’occupation (fin de la IIIème République) ou après la chute de la IVème République, en 1958. Aussi, à plusieurs reprises, j’ai exprimé ma conviction que rien ne se passerait en France avant que la « corde ne se casse » à nouveau, alors qu’à l’instar des autres nations qui s’y sont collé, des réformes sont incontournables.

La victoire inattendue d’Emmanuel Macron à l’élection présidentielle, prématurée à mon avis, avaient mis fin à ma réflexion sur la naissance d’un nouveau traumatisme et à l’inéluctabilité de cette cassure de la vie politique et sociale de la France. Au début de l’année 2017, 4 mois après l’annonce de sa candidature, je ne croyais pas à la victoire de l’actuel président de la République, mais à une défaite honorable où il arriverait en 3ème position, au soir du premier tour. Le moment de la cassure ne m’apparaissait pas encore arrivé, mais après l’épisode François Hollande, le quinquennat de son successeur s’annonçait sous les pires auspices, au-delà de la personne de celui-ci. Avec le succès de Marine Le Pen, la catastrophe me paraissait absolue et rapide. On s’apercevrait des limites de sa chef et du manque, à ses côtés, d’élus compétents pouvant occuper les hautes fonctions de la République. Un peu comme pour Emmanuel Macron aujourd’hui, mais en bien plus grave. Sauf qu’à mon avis, cette occurrence permettrait de purger et d’évacuer durablement le phénomène Front national. En effet, je crois que cette force politique ne disparaîtra qu’à l’épreuve du pouvoir. Comme la mante religieuse, dans un autre registre.

Par ailleurs, s’agissant de François Fillon, qui avait déclaré la France en faillite, ce dernier aurait eu du mal à faire passer sa politique qui devait faire appel à l’effort. Dans ces deux hypothèses, on pouvait craindre que ne se produise un crash politique pouvant conduire, comme dans le passé, à une nouvelle République, la VIème. J’entrevoyais l’arrivée d’Emmanuel Macron, en cours ou en fin de quinquennat, fort de la tentative honorable de 2017 et après avoir gagné en humilité du fait de la défaite. Mais parvenu de façon prématurée au pouvoir suprême, le tempo n’a pas favorisé mes pronostics et il a manqué à Macron ces 5 années d’expérience politique qui lui auraient permis de s’entourer des forces et personnalités politiques qui lui font aujourd’hui défaut.

Fort-de-France, le 28 décembre 2018

Yves-Léopold MONTHIEUX