Deux critiques livrent leur point de vue sur leur métier.
« Le seul dilemme »
Aude Lancelin
Chef du service culture à Marianne
« La critique ne doit pas s’interdire d’être féroce. Je suis toujours étonnée lorsque j’entends dire : pourquoi perdre son temps à démolir les mauvais romans quand il y en a tant de bons? Exposer les raisons pour lesquelles, à un moment donné, tout un milieu se met à promouvoir une imposture est une marque de respect, une politesse due à l’intelligence du public. Tant qu’il y aura des journaux, on y trouvera quelques snipers pour dégonfler les baudruches, et c’est tant mieux. George Orwell, qui fut à ses heures, un critique littéraire impitoyable, affirmait cependant que, du jour où il avait croisé un écrivain et lui avait parlé, il se sentait incapable de faire preuve de la moindre brutalité intellectuelle à son égard, aussi indispensable fût-elle. Derrière les livres, il y a des hommes parfois à fleur de peau : c’est en effet le seul dilemme acceptable. »
« L’éloge faux-cul »
Jean Birnbaum
Rédacteur en chef du Monde des livres
« Au XIXe siècle, le champ littéraire était un champ de bataille, et la critique un geste offensif. Il y avait alors dix éreintements pour un article élogieux. Sans regretter cette époque, constatons que la proportion s’est aujourd’hui inversée. Pire : on tend à domestiquer les esprits critiques en faisant peser sur eux le soupçon d’agressivité. Et, pour se donner bonne conscience, on célèbre une poignée de snipers venimeux qui ne souhaitent rien d’autre qu’anéantir leur cible, ayant tout autre chose en tête que le triomphe de la littérature. Pendant ce temps, dans les colloques académiques comme sur la scène médiatique, on évite de se dire les choses, par peur de ressembler à ces brutes. C’est cet état de fait qui est violent, bien davantage que la prétendue méchanceté des critiques. La scène littéraire et intellectuelle se portera mieux quand on y préférera une lecture honnête à un éloge prodigieusement faux-cul. »