Les fêtes de fin d’année approchent, et avec elles, l’espoir de déguster des plats traditionnels à base d’ignames locales. Pourtant, cette année encore, les tables martiniquaises risquent de se voir privées de cette précieuse racine, autrefois symbole de notre culture culinaire. Si les ignames péyi, cultivées sur notre sol, ont toujours occupé une place de choix dans les assiettes locales, la production s’effondre sous le poids de deux maladies dévastatrices : la rouille et l’anthracnose.
Des maladies dévastatrices
L’agriculteur Éric Fage, installé au Vauclin, déclare dans France Antilles avoir vu ses terres ravagées par ces infections fongiques. La rouille, notamment, a attaqué ses plantations d’ignames, et en particulier l’igname portugaise, sur laquelle il fondait ses espoirs économiques. Après plusieurs tentatives infructueuses de relance, il n’a plus que quelques variétés résistantes à cultiver, telles que l’igname jaune de Guinée. Malheureusement, même cette variété se trouve aujourd’hui menacée, victime de la rouille qui continue de détruire les récoltes avant leur maturation complète.
« J’avais quatre variétés de Saint-Vincent, l’igname atoutan, la portugaise, mais aussi la dominiquaise et l’igname jaune. Aujourd’hui, je n’arrive plus à produire qu’une petite quantité », se désole-t-il. Il faut dire que les maladies ne sont pas les seules responsables de cette chute de la production : les conditions climatiques, la rareté de la main-d’œuvre et l’absence de soutien à la filière contribuent également à fragiliser cette culture autrefois florissante.
L’importation comme solution temporaire
Face à cette pénurie de production locale, les consommateurs se tournent de plus en plus vers l’igname importée. Cette année, les supermarchés martiniquais vendent environ 15 tonnes d’ignames importées chaque semaine, soit trois fois plus que la moyenne annuelle. Des ignames soigneusement conditionnées, parfois venues de lointains pays comme le Costa Rica, et vendues à des prix plus compétitifs que celles cultivées en Martinique. En effet, l’igname locale, vendue entre 5 et 7 euros le kilo, reste bien plus chère que l’igname pakala importée, dont le prix est plus abordable, à environ 3,60 euros.
« À Noël, il nous est impossible de ne pas proposer de l’igname à nos clients, mais pour satisfaire la demande, nous n’avons pas d’autre choix que de nous approvisionner à l’extérieur », explique un responsable de magasin.
Une culture en danger
La situation est d’autant plus préoccupante que la production d’ignames en Martinique connaît une chute drastique depuis plus d’une décennie. Selon la Chambre d’Agriculture, la production a diminué de 35 % en 10 ans, et aujourd’hui, moins de 30 % des besoins des consommateurs sont couverts par la production locale. Dans les communes rurales, comme au Gros-Morne, des variétés comme l’igname jaune, plus résistantes aux maladies, continuent d’être cultivées, mais elles sont de plus en plus rares et précieuses.
Le phénomène touche particulièrement les zones du Nord de l’île, où le climat pourtant favorable à la culture de l’igname a du mal à maintenir une production stable. Les anciens producteurs, de plus en plus nombreux à cesser leur activité en raison de l’inefficacité des traitements contre les maladies, laissent place à un vide inquiétant.
Le futur de l’igname martiniquaise
Les agriculteurs, bien que découragés, tentent malgré tout de trouver des solutions pour relancer la production. Des expérimentations sont en cours pour multiplier les variétés et renforcer la résistance des cultures face aux maladies. Par exemple, des essais de plantation d’ignames de Saint-Vincent, variété réputée pour sa robustesse, sont menés dans l’espoir d’y trouver une alternative durable. Mais ces efforts sont freinés par le manque de soutien institutionnel et la difficulté d’accès à des semences de qualité.
« Les producteurs n’ont pas été accompagnés. Nous avons observé la disparition des cultures sans réagir », regrette Lucienne Page, présidente de l’association Dipa, dans France-Antilles. La chambre d’agriculture et les institutions, selon elle, n’ont pas fait assez pour protéger cette filière essentielle pour l’identité martiniquaise.
Les ignames, symboles de notre terroir, risquent ainsi de disparaître lentement si rien n’est fait pour préserver leur culture. Une prise de conscience collective, associée à des solutions adaptées, est indispensable pour inverser cette tendance. Le défi est de taille, mais la Martinique, toujours attachée à ses racines, pourrait encore trouver le chemin de la résilience.
Une tradition qui se perd
Alors que certains consommateurs, soucieux de préserver cette tradition culinaire, continuent de privilégier l’igname locale, d’autres, face à la montée des prix et à l’absence de produits sur les étals, se tournent sans hésiter vers l’igname importée. Cette situation soulève des questions profondes sur la pérennité de l’agriculture martiniquaise et de ses productions emblématiques. Si rien n’est fait pour sauver la culture de l’igname, cette tradition, chère aux cœurs des Martiniquais, risque de devenir un souvenir lointain.
En attendant, les marchés restent désertés par les anciennes variétés d’ignames, tandis que les nouvelles générations d’agriculteurs, souvent confrontées à des choix difficiles, tentent de maintenir la culture de cette racine essentielle à notre patrimoine culinaire. La relance de l’igname martiniquaise dépendra donc de l’engagement de chacun, des producteurs aux consommateurs, pour préserver cet héritage précieux.
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