Julie BESSARD du 25 mai au 21 juin 2005

 

 

Mémoires- Installation 2004 paille et agrafes 6m X 4m

L’œuvre, le lieu, le public

Les Ombres Portées de Julie Bessard, entre dessin et sculpture, bousculent les catégories artistiques. Reflets de son monde intérieur, projections de son imaginaire secret, traces d’une absence, ces silhouettes abandonnées, masques, ailes, mandibules, corsets, cocons, chrysalides, insectes sont repeuplées par les phantasmes lovés dans les coulisses de l’inconscient.

Ces formes-signes sont de véritables dessins dans l’espace. Elles s’inscrivent dans le prolongement des contestations de la sculpture moderne apparues dans les années vingt et trente. Œuvres – processus plus qu’objets terminés, elles flottent, autonomes, en suspens et questionnent la notion de l’installation, de la relation de l’œuvre avec le lieu d’exposition et du partage d’un espace sensible avec le public. Cependant le génie du lieu n’est pas, comme pour la plupart des artistes qui pratiquent l’in-situ, la source inspiratrice de l’œuvre. Au contraire, l’architecture de l’œuvre s’impose au lieu, le crée en quelque sorte. Une multitude d’éléments fins installés rythmiquement ponctuent l’espace. Le matériau, de la paille de modiste, renforce la remise en question de ce que l’on considère traditionnellement comme l’objet sculptural. Toute notion de masse est abolie. Le vide participe totalement à la matérialité de l’œuvre. Découvrir l’œuvre, c’est vivre l’immersion dans une vaste et unique installation pénétrable.
Quelle est, aujourd’hui,la pertinence des catégories artistiques ?

Envol 2005 huile sur toile 143 X 110

Des Chimères aux Ombres portées

Il arrive que certaines formes ou structures hantent, poursuivent sans cesse l’artiste. Il en est ainsi pour les Chimères de Julie Bessard qui ont pris naissance à partir des grandes peintures de la Série rouge.

Ces formes, ces structures obsédantes qui ne demandent qu’à reprendre vie, ne peuvent toujours exister sous les mêmes aspects. Ainsi, Julie Bessard déchire certains travaux, y ajoute des morceaux de papier de soie, prolonge ces formes, sent qu’il faut qu’elles prennent leur autonomie, deviennent volume. Elle veut qu’elles existent de façon indépendante.

Ce ne sont pas encore les Ombres mais ce ne sont déjà plus les Chimères. La paille, matériau souple, léger, lui impose une démarche différente :ces structures seront en suspens. Julie Bessard expérimente une nouvelle approche. Et c’est la naissance de ces formes, véritables dessins dans l’espace.

Une meilleure appropriation du matériau, l’intégration des agrafes lui permettent de mieux structurer les choses. Les Ombres portées prennent enfin forme. Quelquefois on retrouve dans ces formes-signes suspendues des aspects des Chimères mais l’artiste s’en détache rapidement au moyen d’attaches de paille, d’agrafes et un jeu de lumière.

À la lumière naturelle s’ajoute maintenant un éclairage artificiel et savant qui va multiplier les ombres des différentes pièces. C’est tout un jeu qui s’instaure entre les ombres portées et les ombres projetées.

Que se passe-t-il quand le tableau se libère du support mural
et investit l’espace d’exposition ?


Détail de MEMOIRES – installation – 2004- paille et agrafes

L’artiste, créateur de rêves

Ce qu’on peut discerner dans la démarche de Julie Bessard, c’est l’ancrage dans les pratiques de l’artisanat pour servir une recherche intimiste tournée vers le monde onirique. Le choix de la paille de modiste, matériau pratique et accessible, renvoie aux mouvements des mains de femme au travail, c’est-à-dire, en phase de création. De couleur jaune, ou rouge, ou bien sombre, le matériau, souple, se prête aux différents pliages et torsions, et accroche bien la lumière. De multiples agrafes retiennent l’ensemble et sont propices à créer des points de lumière. Les ombres portées proposent au regard de nouvelles créations, faisant intervenir l’imaginaire, celui de l’artiste, et celui du spectateur. Tout ici se définit en termes d’ombre, de lumière, et de volume.

La lumière, produite ici par des spots, permet à l’artiste de combiner des éléments du monde moderne et du passé. Elément générateur de nouvelles formes, elle modifie les contours et les volumes. Comme le moteur, qui est générateur de mouvement pour les objets suspendus qu’il anime ; il suscite le déplacement. Là où d’autres artistes du mixed media ont utilisé le mouvement créé par le vent, ou encore l’éclairage à la bougie, Julie Bessard fait le choix de maîtriser à son profit les inventions du monde moderne.

Ce qu’on a pu voir des objets créés dans les dernières décennies, formes organiques, mobiles, sculptures, objets suspendus, nous confirme bien l’ancrage de l’art contemporain dans le monde mythique. Ici, les objets suspendus évoquent alors le déplacement dans un monde onirique. Ces images qui échappent à la gravité pourraient peupler un monde transitoire. Créations fantastiques, ou messagères de l’âme, elles invitent à l’évasion et au détachement.

Comment le matériau est-il mis au service
de la création artistique ?

PETIT MASQUE – 2004 – paille et agrafes  30 X20 X20 cm

Matières et Chimères

La préparation de la paille, agrafée dans un premier temps sur un fil rigide qui va permettre de la plier ensuite aux désirs de l’artiste pour réaliser les formes, est un long travail, patient et comme expiatoire, entre chapelet et tapisserie. Il entretient une relation au temps mais aussi au corps. Car c’est une gestuelle machinale et obsessionnelle dans laquelle le corps s’engage tout entier. Comme si le sacrifice de ce temps mécanique était indispensable pour avoir accès au temps créateur.

Les agrafes ont une double fonction : une fonction pratique de structuration de la forme mais, disposées de différentes manières, elles sont aussi un composant plastique de l’oeuvre, tentatives de forger une nouvelle peau sur ces surfaces savamment couturées de balafres scintillantes pour reprendre l’expression de Pierre Buraglio.

Ces formes, dépouilles suspendues, sont un refus de la perspective, une négation de la gravité, un désir de libération de la forme désormais indépendante. Les ombres interviennent alors pour créer un univers inédit où les formes sont déformées, agrandies, sublimées, comme en naissance permanente et où elles échapperaient presque à l’artiste pour mener une vie autonome.

Avatars d’un motif initial, chaque élément reçoit, plutôt qu’un titre, un nom de code, petit surnom intime usité uniquement par l’artiste.

Le temps vous semble-t-il, dans tous les cas,
tenir une place importante dans l’acte de création ?

Détail de MEMOIRES – Installation – 2004 – paille et agrafes

Poétique de l’espace et image poétique dans l’œuvre de Julie Bessard

La première partie du titre, empruntée à Gaston Bachelard, semble convenir à l’ambiance que l’artiste crée dans ces installations.

L’oeuvre nous invite à un retour sur la rêverie poétique. Murmurante de mémoires et de sensations, entre ombres et lumières, l’installation dévoile dans un jeu subtil de clair-obscur, un territoire mental. Ecrites sur les plages blanches du mur, dans leur gangue de fragilité, en quête d’un équilibre précaire, les ombres ne délimitent pas et n’imitent pas matériellement un lieu. Elles dessinent, selon une logique spatiale qui leur est propre, un espace dans un montage d’images hétérogènes. Un corps, un souffle, un regard les fait vibrer, palpiter ou osciller comme des empreintes immatérielles, comme la trace d’un souvenir nocturne.

Entre ces formes en suspension tressées et agrafées qui suggèrent des ailes, des sexes féminins, des éléments végétaux ou aquatiques et l’image de leurs silhouettes, se modèle un espace dans lequel, l’activité d’imagination du regardeur est convoquée dans un dialogue magique.

Peut-on considérer comme de l’art la mise en couvre
d’attitude et d’intention intimes propres à un artiste ?

Julie BESSARD Née en 1971 à Chatellerault.

Après deux années à Paris à l’Académie Charpentier puis à l’école de stylisme E.S.M.O.D, Julie Bessard rentre en Martinique à L’Ecole Régionale d’Arts Plastiques où elle obtient son Diplôme National Supérieur d’Expression Plastique en 1995, avant de réussir au C.AP.E.S. d’arts plastiques en 1997.

Elle travaille depuis 1989 pour le théàtre et la danse avec Michelle Césaire, Josyane Antourel, Lucette Salibur, Ruddy Sylaire et Anabel Gueredrat.

De 1995 à 2002, elle préside l’Association de plasticiens SansTitre qui organise en Martinique les expositions : Recyclage, Autoportrait, Entropile et Bonheur à tout prix.

Elle expose aussi hors de Martinique

– 1996 Biennale de peinture de République Dominicaine

– 2001 Biennale de dessin de République Dominicaine

2002 Chimères Elancourt

2004 Martinique nouvelle vague Galerie J.M’Art (Paris)

– 2004 Mémoires Ministère de l’Outremer (Paris).

Reprise d’une édition du CMAC

Conception du livret et textes : Dominique Brebio,, Sophie D’Ingianni, Suzanna Lampla, Monique Mirabel – Traduction Suzanne Lampla Conception graphique Bleu Marine