« Jours de joie » d’Arne Lygre, m.e.s. Stéphane Braunschweig

Jours de joie est la cinquième œuvre d’Arne Lygre que Stephane Braunschweig met en scène. On se souvient de la précédente, Je disparais, montée au théâtre de la Colline en 2011. La première n’est pas sans rapport avec la seconde puisqu’ici aussi il s’agit d’une disparition. Néanmoins, dans cette nouvelle pièce écrite en pleine crise du Covid, Arne Lygre projette de se déployer dans le registre de la comédie, sinon du comique. Mais il faut avouer que quand on y rit, très peu en fin de compte, c’est d’un rire jaune et grinçant, à l’occasion de telle ou telle vacherie proférée par une mère plutôt indigne quoique réjouissante !

Alors de quoi s’agit-il ? C’est assez difficile à résumer, à l’instar du théâtre de Tchekhov, ou plutôt, si on le résume, on risque d’en perdre la substance. En bref, il s’agit de la rencontre dans deux lieux successifs de la même bande de personnages, d’abord sur un banc en pleine campagne, ensuite dans le salon de l’un d’entre eux. Entre les deux actes, s’est écoulé un certain laps de temps, pendant lequel l’un d’entre eux , Aksle a disparu. Il est en quelque sorte le centre absent de toutes les conversations. Les échanges sont tour à tour âpres, voire féroces et tendres. Chacun se bat les flancs pour accéder au bonheur, convaincu qu’il faut pardonner et atteindre la joie. Il est urgent de surmonter la tristesse qui menace d’envahir chacun. La mort et la disparition rodent sans relâche, et quand on a vu dans le même temps l’exposition Edvard Munch, on se dit qu’il y a là quelque chose d’inhérent à l’humeur norvégienne.

A ceci près que chez Lygre, le cri est articulé, ô combien ! Le langage est le matériau même de la création. Hélas, on en perd quelque chose dans la traduction, puisque Jours de joie est la première pièce de Lygre écrite en Nynorsk, langue littéraire inspirée des dialectes (c’est aussi dans cette langue qu’écrivent Jon Fosse et knausgård) et non en Bokmål, la langue courante. Lors de la création de la pièce au Det Norske Teater, à Oslo, les spectateurs ont pu apprécier la force de cette expression qui nous échappe. Mais ce qui est perdu en termes d’authenticité est gagné en termes d’universalité, comme c’est aussi le cas pour knausgård, avec qui Lygre partage l’interrogation angoissée sur la condition humaine, quand bien même on cherche à y échapper à force de recherche volontariste de la joie. Une des spécificités de cette écriture theâtrale est d’inclure les didascalies dans le texte, ce qui surprend et déroute au premier abord:

« Une mère dit : C’est bien , ici, au bord de la rivière »,

« Une sœur pense : Voilà ce que maman voulait me montrer ? »

Rapidement le dialogue se libère de ce poids, mais la mise à distance ironique demeure. Le ton est donné.

La mise en scène de Stéphane Braunschweig épouse merveilleusement ce projet, en demeurant dans une fraternelle complicité avec l’auteur qu’il connaît personnellement. Il a su porter sur un vaste plateau un drame plutôt intimiste, en orchestrant la dimension chorale de la partition. Un plateau dépouillé, une vaste prairie représentée par une surface jonchée de feuilles mortes, et au milieu un grand banc où vont venir prendre place les protagonistes, en s’y fuyant ou en s’y regroupant. C’est tout un ballet qui s’organise autour du banc, comme il le fera autour du canapé dans la seconde partie. S’asseoir ensemble , ça signifie une rencontre, un partage, fût-il hostile. Et les personnages de se convaincre qu’on est bien, ensemble. Tant pis si ça sonne faux, et que le malaise est omniprésent. Ça grince mais on s’obstine à prôner la joie.

Dans ce récit choral, les acteurs font merveille, avec une mention particulière pour Virginie Colemyn,l’actrice qui interprète la mère, dont la virtuosité n’a d’égal que sa force de conviction.

Au total un spectacle d’une grande force, dont on sort ragaillardi sinon aussi réjoui que nous le promettait le titre qui d’ailleurs ne trompait personne et relevait du clin d’œil.

Jours de joie
d’Arne Lygre
Mise en scène et scénographie Stéphane Braunschweig
Avec Virginie Colemyn, Cécile Coustillac, Alexandre Pallu, Pierric Plathier, Lamya Regragui Muzio, Chloé Réjon, Grégoire Tachnakian, Jean-Philippe Vidal
Traduction française Stéphane Braunschweig, Astrid Schenka
Collaboration artistique Anne-Françoise Benhamou
Collaboration à la scénographie Alexandre de Dardel
Costumes Thibault Vancraenenbroeck
Lumière Marion Hewlett
Son Xavier Jacquot
Maquillages/coiffures Emilie Vuez
Assistante à la mise en scène Clémentine Vignais

Production Odéon-Théâtre de l’Europe
Avec le soutien du Cercle de l’Odéon et de l’Ambassade Royale de Norvège

Jours de joie d’Arne Lygre est publié à L’Arche éditeur.

Durée : 2h20