Avignon 2018 : »Joueurs, Mao II, Les Noms, »

Don Delillo,
Julien Gosselin
Si vous pouviez lécher mon coeur,
création Festival d’Avignon juillet 2018

Julien Gosselin s’est fait une spécialité de l’adaptation théâtrale de textes romanesques: depuis « Les particules élémentaires » qui lui a valu sa première grande reconnaissance publique, en passant par « 2666 » de Roberto Bolano créé l’an dernier à Avignon jusqu’à Joueurs, Mao II et Les Noms de Don Delillo: les paris qu’ils relèvent sont de véritables gageures, surtout les deux derniers, puisqu’ils s’agit de romans longs, touffus et complexes dans leur forme. Néanmoins on y retrouve des thématiques identiques, l’obsession de la violence, du terrorisme et de la sexualité. La littérature est pourtant sa thématique de prédilection. A ce titre Don Delillo est un excellent représentant puisqu’il concentre en son oeuvre toutes ces thématiques, réflechissant sur la répercussion des séismes politiques sur la vie de l’individu. « Joueurs » raconte l’histoire d’un couple qui verse de l’ennui et la monotonie de leur vie de hipsters des années 80 pour verser dans l’action violente , Mao II dont l’intrigue croise le sort d’un écrivain en mal de solitude et mêlé à contrecoeur au terrorisme libanais des années 90, et enfin « Les Noms », l’histoire de la recherche parun homme esseulé d’une secte violente tuant ses victimes en se basant sur l’alphabet dans les années 70. Julien gosselin entreprendra pour la saison 2019/2020 l’adaptation théâtrale de « L’Homme qui tombe », récit intime des victimes du 11 septembre, avec les acteurs du ToneelGroep Amsterdam, continuant à dérouler le fil des violences terroristes et de leur répercussion sur l’intime.
L’essence du spectacle repose sur la force du verbe, la diction et le jeu des acteurs de la troupe « Si vous pouviez lécher mon coeur » ainsi que sur le travail cinématographique. tout l’enjeu est la rapport entre l’image cinématographique et la présence des corps sur le plateua, sans laquelle il n’est plus de théâtre du tout. Le jeu entre ces deux dimensions donne toute sa valeur à l’adaptation du roman; elle fournit au montage le même foisonnement, la même logique de chaos poétique que celle qui préside à la forme chez Don Delillo. Il existe une relation mimétique dans le roman comme dans son adaptation théâtrale entre l’objet et sa représentation: même énigme, même délinéarisation, même plongée dans l’obscurité des êtres et même puissance du verbe! forme mouvante, plastique, rendue sur le plateau par le mouvement des corps et la force des voix.
Remarquable travail de théâtre, ou devrait-on dire, remarquable travail cinématographique: on pense à Godard, soit pour la création audacieuse de l’image, soit pour la thématique. Les limites de l’entreprise sont la disparition programmée du plateau et le marathon que représente pour le spectateur la représentation.
Michèle Bigot